Des Livres & nous : « La solitude Caravage » de Yannick Haenel
Publié le : 20 Mai 2020LA SOLITUDE CARAVAGE
Au fil des pages de ce livre inclassable et fascinant, le romancier Yannick Haenel dévoile sa passion pour l’œuvre du peintre, génie excessif et baroque né en 1571 à Milan au cours de cette période heurtée qui suit le Concile de Trente. Il nous fait pénétrer de manière extrêmement vivante et incarnée dans son univers tourmenté, enracinant sa propre vocation d’écrivain dans la découverte d’une image du célèbre tableau Judith décapitant Holopherne, alors qu’il est encore pensionnaire au Prytanée militaire de La Flèche.
il ne s’agit pas de nier la noirceur du monde mais d’y laisser jaillir un désir de vivre qui engloutit la perspective de la mort.
Dans cet ouvrage, Yannick Haenel confronte son expérience de création à celle du peintre à travers l’idée d’une solitude affrontée, pour chacun, dans sa vérité singulière : « Faire parler la solitude du Caravage implique qu’on en cherche l’inflexion dans la nôtre, dans le lieu où nous aussi nous sommes seuls, absolument uniques, c’est-à-dire dans nos phrases ». L’art, pour Caravage comme pour Haenel, est alors bien ce lieu d’une quête, celle d’une « vie qui connaît la mort et n’en meurt pas »; dans ce combat entre création et néant, entre le Mal et le Salut, il ne s’agit pas de nier la noirceur du monde mais d’y laisser jaillir un désir de vivre qui engloutit la perspective de la mort.
« Ouvrir sa bouche, étancher sa soif, chercher Dieu : je ne sais dans quel ordre le mystère s’ouvre, ni comment il nous gratifie, mais la goutte d’eau n’est pas seulement ce qui rassasie, elle est une rosée qui double en filigrane le passage des jours; et même si le fond de l’existence est noir, la fraîcheur d’un ruissellement secret nous fait tendre les lèvres: à chaque seconde, un psaume réclame en silence une rivière pour notre gorge asséchée; la détresse connaît bien cette espérance, elle en discerne même la lumière, car à travers une goutte d’eau c’est le monde entier qui se donne, et c’est précisément ce monde entier qui scintille sur la toile d’un peintre, reflété en un prisme où la nacre rejoue à l’infini le mouvement des couleurs et la variété des formes. »
A travers l’écriture d’Haenel, La solitude Caravage révèle très profondément à quel point expérience sensible, quête existentielle et recherche spirituelle s’épousent intimement, en une vocation artistique vécue comme soif d’absolu et approche du mystère. A l’origine de tout art est une source, écrit-il encore, ce miracle qui « fait apparaître ce qu’on ne voit pas » et nous fait entrer dans le sacré.
Odile de Loisy
Yannick Haenel, La solitude Caravage, Fayard, 2019, 330 pages, 20€.
Essai récompensé par le prix Méditerranée 2019.