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L'aventure des détails de Jean-Michel Alberola au Palais de Tokyo

Publié le : 26 Février 2016
C’est l’un des artistes français les plus connus et pourtant l’un des plus mystérieux de sa génération. Jean-Michel Alberola (né en 1953 en Algérie, vit à Paris), se dévoile au Palais de Tokyo dans une exposition personnelle d’envergure. Jusqu’au 16 mai 2016, peintures, néons, films, textes, objets, installations, sculptures, murs peints, éditions et tracts convoquent les figures de penseurs majeurs, de Robert Louis Stevenson à Guy Debord, de Franz Kafka à Karl Marx. L’exposition « L’aventure des détails » forme ainsi le point de départ d’une réflexion plus large sur l’histoire et l’état du monde, sur le temps ou sur les déplacements, des plus infimes aux plus actuels.

« Je ne fais que des détails, je ne fais que ça. Je compte simplement sur l’addition des détails ».

« L’aventure des détails » met en scène de nombreuses œuvres inédites, dont un film sur Saint François d’Assise évoquant sa réflexion sur la pauvreté, une lithographie représentant la reine Zénobie de Palmyre, et « Passage de frontière », un monumental dessin sur tissu sur la question du déplacement. En dialogue avec de précédentes créations, parmi lesquelles l’intégralité de ses Néons, ainsi que plusieurs grandes peintures murales, l’exposition initie un voyage qui stimule le regard et la pensée.

Evoluant entre réflexions artistiques et questionnements politiques, entre conceptualisme, abstraction et figuration, l’œuvre de Jean-Michel Alberola, unique et percutante, n’est jamais dénuée d’humour. L’artiste travaille par morcellement et superpositions, alliant le verbe au langage des formes. Associant des fragments de corps ou de géographies à des énoncés ou des injonctions ambigües, telles La sortie est à l’intérieur ? ou Ni la loi, ni la grâce, il compose autant de rébus philosophiques qui questionnent notre regard tout comme le rôle de l’art dans la société.

Jean-Michel Alberola, La sortie est à l’intérieur, 2005 Gouache sur papier 150 x 117 cm ©Bertrand Huet / Tutti ; ADAGP, Paris 2016

A l’occasion de cette première exposition à Paris depuis sa rétrospective au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, il y a près de 20 ans, Narthex zoome sur la partie picturale d’une œuvre politique, poétique, engagée et profonde…

La peinture est métaphysique

Jean-Michel Alberola, qui est professeur chef d’atelier à l’Ecole des beaux-arts depuis 1991 incarne une position singulière dans la création picturale d’aujourd’hui. Vous avez le bonjour de Marcel, lança-t-il en 2007 en peignant le mur d’entrée du Musée national d’art moderne au Centre Pompidou. Porteur d’une pratique aussi savante qu’ironique et irrespectueuse, l’artiste du XXIe siècle tutoie aussi bien l’inventivité radicale d’un Marcel Duchamp que la puissance visionnaire de la peinture d’histoire occidentale d’un Velasquez ou d’un Manet et la force mythologique de l’autofiction d’un Marcel Proust.

Le Sacré-Cœur (aquarelle, fusain rehauts de blancs, 100 x 64 cm), signé et daté A. Fecit, 1989, fait partie du travail de Jean-Michel Alberola pour illustrer l’évangéliaire.

De fait, dans la diversité des mediums qu’il explore, de la peinture au livre, au vitrail ou au cinéma, Jean-Michel Alberola travaille sans relâche une vérité qui le dépasse et qui nous dépasse, cette vérité de l’art comme expérience décisive au sein de notre monde. « Je vous dois la vérité en peinture et je vous la dirai », écrivit Cézanne peu de temps avant de mourir. La vérité, pour un peintre, ne peut être ni de l’ordre de la parole ni de l’écriture ; elle est une tentative de réinventer la peinture, dans sa réelle ambition, « La peinture est métaphysique, déclare l’artiste, dans le sens où c’est une histoire du corps.

Quand je peins, c’est mon corps qui est atteint”. Peindre, créer, c’est, avant tout, refuser le dualisme simplificateur entre le corps et l’esprit, l’âme et la matière, la forme et le sens, s’engager résolument dans la matérialité de l’œuvre pour y révéler les fulgurances de mystère qui s’y déploient. Je songe à cette œuvre de 1990, Etudier le corps du Christ (Paris, Musée national d’art moderne) qui marque un tournant décisif dans l’œuvre d’Alberola. Le peintre avait jusque là trouvé dans la fable mythologique, l’histoire d’Actéon notamment, un des sujets de prédilection de son invention formelle ; la peinture est histoire de figures et de corps, de regard interdit, de désir jusqu’à l’aveuglement.

A la fin des années 1980, à Naples, Alberola fait de la figure du Christ, de son corps, incarnation rationnellement impossible du divin et de l’absolu, l’objet et le sujet même de son exercice de la peinture. Ce corps, qui a configuré, peut-on dire, l’aventure de l’art occidental jusqu’à aujourd’hui, est aussi la figure sensible de tous les corps qui souffrent, une ouverture sur le monde actuel dans sa dureté quotidienne. Alberola reproduit en la dessinant la silhouette d’un Christ ancien, et joue de décalages, de brisures, de recomposition. La violence des cassures, la transparence de l’huile qui ressort du verso de la toile, la force évocatrice de la ligne produisent une image mystérieuse dans son évidence même : « c’est la chance d’un artiste de savoir qu’il va devoir prendre en charge tout ce qui l’a précédé », précise l’artiste1.

Il faudrait dire aussi la réalisation en 1992 de l’Evangéliaire, sous la houlette de Renée Moineau qui dirigeait à l’époque le Comité national d’art sacré et se souvient de cette commande hors du commun : « l’artiste a connu des difficultés dans le processus de création de certains thèmes, notamment sur la Résurrection. Il ne se sentait pas non plus capable de représenter la figure humaine, l’enfant Jésus, et Marie. Alors il a puisé dans la réserve des Anciens en la retravaillant »2. Le résultat est là, livre imposant jusque dans sa simplicité. Livre à regarder autant qu’à lire, à manier surtout, à regarder avec ses mains et tout son corps. Livre pour la célébration liturgique dont les images, la mise en page, la forme de la maquette expriment, incarnent la force de la parole vivante. Et la singularité d’Alberola a tenu dans l’invention d’un style propre, d’une voix personnelle en refusant toute démonstration virtuose ou recherche d’effet : « je viens après tout le monde, je ne peux que m’effacer »3, confesse l’artiste.

Resterait enfin à évoquer l’aventure, unique au XXe siècle, des vitraux de la cathédrale de Nevers, dans laquelle Alberola intervint durant plus de deux décennies, de 1985 jusqu’à l’achèvement du programme collectif des 1052 m2, en 2011. « Dès le début, se souvient Alberola, je suis parti avec l’idée de la citation, ne rien inventer »4 . Le résultat, Adam et Eve, La main de Dieu , La Création, bien d’autres vitraux encore, plonge le spectateur, le fidèle dans un univers de couleurs, de références, dans une intensité d’image qui est sans égale en notre siècle car Alberola rejoue, dans chacune de ses œuvres, la Passion et la Résurrection : « Tout tableau à deux dimensions, horizontale et vertical, est par définition une sorte de crucifixion, une toile clouée sur un châssis mis en croix »5 , explique-t-il.

©Alberola, Adam et Eve, Viraux de la Cathédrale de Nevers, ADAGP, Paris 2012

Plus récemment, Alberola a peint sur des toiles et écrit sur une lithographie la formule, énigmatique, « La question du pouvoir est la seule réponse ». Pouvoir de la peinture, sans doute, mais pouvoir, aussi, dans tous les sens du mot car la peinture ne peut cesser d’interroger le monde réel, et de nous le dévoiler.

Paul-Louis Rinuy, Novembre 2012

Notes :

1. Alberola, Œuvres du Hieron, Restaurer, Montrer, étudier, cat. d’exposition, Paray-Le-Monial

2. Ibidem, p. 36

3. Ibidem, p. 65

4. Jean de Loisy (dir), L’affaire des 1052 m2. Les vitraux de la cathédrale de Nevers, Dijon, les Presses du Réel, 2011, p. 204

5. Op. cit. note 1, p. 40

Né en 1953, Alberola vit et travaille à Paris. Son œuvre est multiple, présente dans de très nombreux musées et a fait l’objet de très nombreuses expositions personnelles. La monographie la plus complète sur son travail a été publiée aux éditions Ereme en 2006, Jean Michel Alberola Le seul état de mes idées.

 

L’exposition personnelle de Jean-Michel Alberola au Palais de Tokyo entend cartographier la diversité méconnue de son travail, en arpentant avec lui les intervalles entre esthétique, politique, et sentiment. « Il y aurait donc une tentative, ici, de démontrer qu’une unité se faufile au milieu de ce désordre. Comme une fourmi qui porterait plus que son poids vers l’entrée de la fourmilière. »

Jean-Michel Alberola, Reprendre la conversation, 2003 Huile sur toile 55 x 38 cm - Collection particulière, Paris © Bertrand Huet / Tutti ; ADAGP, Paris 2016

Informations pratiques : www.palaisdetokyo.com

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