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ARDENNE - Exposition d’Éric Guglielmi

Publié le : 21 Février 2018
Christine Blanchet, commissaire d'exposition et critique d'art, nous livre le fruit de sa rencontre avec l'artiste Éric Guglielmi et Michaël Houlette, directeur de la Maison Doisneau, dans le cadre de l'exposition "Ardenne" qui s'est achevée le 15 avril 2018.

Salles, Chimay, Belgique, 2016 - Courtesy Galerie Maubert, Paris

« Si stupide que soit son existence, l'homme s'y rattache toujours. » Rimbaud

Originaire des Ardennes, Éric Guglielmi, photographe, a parcouru le monde pour le saisir, et en ramener des images fortes qui témoignent de son insatiable curiosité pour les autres, les cultures différentes, le « ailleurs ». Mais, à la Maison Doisneau, à Gentilly, cet enfant du pays de Rimbaud a choisi de revenir sur le territoire de son enfance. La sélection des images témoigne d’une région, entre trois pays, la France, la Belgique et le Luxembourg, où se tricotent sur la rudesse de son paysage, son histoire marquée par la crise industrielle et sa désertification.

Christine Blanchet : Comment est née l’exposition « Ardenne » (au singulier) ?

Michaël Houlette : Dans le catalogue, je raconte notre rencontre avec Éric qui à son image débordante, vient ici et me parle de son travail, de l’Afrique, me montre des tas de photos et des tas de catalogues. D’abord, il a fallu faire le tri. J’ai tout de suite remarqué la série des Ardennes, dans laquelle j’y vois sa manière américaine de photographier à la chambre comme Alec Soth, par exemple.

Sans que cela apparaisse systématiquement dans ma programmation, je suis sensible au lien affectif qui fait exister la photographie. Éric étant natif des Ardennes, il m’a semblé intéressant de jouer sur cette corde, d’une représentation de paysages qui pouvait se traduire en filigrane avec une certaine expérience émotionnelle.

Éric aime rappeler que l’on sent l’ennui dans ses images, le mal être des adolescents qui vivent à la campagne. Nous avons trouvé un terrain d’entente sur ces histoires familiales, historiques et politiques, et le projet est né de cet enchaînement de discussions.

Laifour, France, 2006 - Courtesy Galerie Maubert, Paris
C.B. : Si je comprends c’est toi qui a choisi les Ardennes ?

M.H. : La thématique est née dans la conversation. À la Maison photographique Robert Doisneau, nous avons un cahier des charges plutôt axé sur ce qu’on appelle la photographie humaniste, un concept difficilement cernable mais qui pourrait se traduire schématiquement par des œuvres dans lesquelles sont présents des hommes et des femmes.  

Éric Guglielmi : L’humanisme se retrouve dans mon travail, sans forcément que je photographie des hommes ou des femmes. Les traces laissées par l’homme sont obligatoirement humanistes, et la forme de ce travail, ce sont les êtres humains qui ont occupé ce territoire, l’ont modifié par des décisions politiques venant de Paris, de l’Europe. Il est vrai aussi que je ne voulais pas faire de portraits des ardennais, sinon je tombais dans un archétype d’une certaine vision de la Province.

M.H. : Et, puis il y a une logique à ne montrer quasiment personne dans une région qui est en train de se désertifier ! On est au carrefour de la France, du Luxembourg et de la Belgique, et un jour, Éric est arrivé en me disant : « J’ai fait 800 kilomètres et je n’ai vu personne ». C’est une réalité économique, une donnée physique de la région. Au final, nous nous sommes retrouvé sur ces points, mais aussi parce qu’Éric travaille à la chambre 4x5 inch, en argentique. À l’ère du numérique, Éric est à contre courant et reste sur une attitude anachronique qui m’intéressait !

Pétange, Luxembourg, 2016 - Courtesy Galerie Maubert, Paris
C.B. : Éric, tu présentes trois séries faites à différentes périodes, peux-tu revenir sur l’histoire de tes images ?

É.G. :  Il y a huit photographies extraites de la série Je suis un piéton, rien de plus… liée à l’histoire de Rimbaud, que j’ai faites entre 2005 et 2008. Ces images sont particulières par rapport aux suivantes car elles, seules, figurent des hommes et femmes. Ensuite, les deux autres séries témoignent plus de la trace humaine que de sa présence incarnée.

En 2012, j’ai réalisé ma seconde série intitulée Elle sera verte ma vallée. Pendant plusieurs mois, j’ai été régulièrement à Revin, la ville dans laquelle j’ai grandi, au chevet de mon père malade. Comme je ne voulais pas m’éloigner de la maison, j’ai tracé au compas sur la carte un rayon de 80 km, et je me suis donné le protocole de photographier en noir et blanc toute cette zone, qui touche aussi la Belgique, puisque la frontière n’est qu’à six kilomètres.

Elle sera verte ma vallée vient d’une déclaration du Général de Gaulle qui en pleine ébullition industrielle de la région, déclare qu’il veut faire des Ardennes, une zone verte. Cela a créée des tensions fortes au niveau politique et social, et aujourd’hui, c’est une phrase qui est résonne encore dans la conscience du pays.      

Et, enfin la dernière partie, où je suis revenu à la couleur, est le projet que j’ai lancé avec Michaël en 2015 autour de la forêt Arduin, donc Ardenne au singulier. C’est une zone forestière qui touche trois pays : la France, la Belgique et le Luxembourg, et l’idée a été de tricoter, de rentrer-sortir dans toutes ces frontières, sans pouvoir les différencier et sans vraiment avoir un trajet précis, en voiture ou en marchant !

Les Hauts-Buttés, France Novembre 2012 Noir et blanc
C.B. : Pourquoi être revenu sur le pays de ton enfance ?

É.G. : Les Ardennes sont à l’image de ces grands sapins, c’est une région à l’aspect dur qui dégage aussi une sorte de fragilité que mes photographies essaient de transcrire. Et puis l’histoire de ma famille, mon grand père maternel et mon oncle ont été résistants durant la Seconde Guerre mondiale, ici, puis envoyés dans les camps de travaux en Allemagne.

Il y a un rapport fort au territoire. Cette image en noir et blanc  par exemple, Les Hauts-Buttés (France novembre 2012), raconte le massacre des résistants par les SS. Ces hommes qui venaient tous de Revin ont été dénoncés par le boulanger, encore vivant aujourd’hui, mais qui sous la torture et la menace a lâché la planque à 1 000 mètres d’altitude, des 133 résistants dont le plus jeune avait 13 ans et le plus âgé, 75 ans. L’endroit est encore pur, l’on voit les trous où après avoir été fusillées, ils ont été enterrés.  

Pour moi cette image fait partie de mes questionnements sur ce territoire : Qu’est-ce qui restent de ces Ardennes ? De cette fragilité, de ce sang qui coule ? Mais aussi de cette relation à l’Église, car c’est une région très catholique.

Cul-des-Sarts Belgique Juin, 2016 couleur
C.B. : Effectivement, certaines de tes photographies montrent des églises, des statuaires religieuses, comment tu perçois ces éléments religieux ?

É.G. : C’est encore une question de territoire, et pour moi l’Église a occupé ces zones vides. On a mis des signes religieux qui permettent d’avoir une sorte de clé de lecture qui rapprochait l’homme à autre chose que la dureté de la nature et du paysage.

Je ne fais pas de mise en scène comme dans cette photographie par exemple, Cul-des-Sarts (Belgique, juin, 2016), on est dans un espace abandonné et sur la cheminée, il reste ce crucifix. Les seules mises en scène que je m’autorise, sont les changements de la lumière. La photographie, c’est l’attente, celle de la lumière qui va m’amener une sensation, une émotion. Finalement, la définition littérale de la photographie est photo-lumière, graphie-écrire, c’est écrire avec la lumière.

C.B. : Tu parlais d’industries, tu as aussi figé les usines abandonnées ?

É.G. : Le site Porcher, spécialisé dans les sanitaires, lavabos, toilettes, etc., que j’ai eu la chance de photographier, car ce sont les dernières images de l’usine. Dans les années 1980, 6 000 personnes travaillaient là, dans une ville qui compte 14 000 habitants. Le groupe a été racheté par une boîte américaine, Ideal standart, qui a licencié le personnel puisque la seule chose qui l’intéressait, c’était de récupérer le carnet de commandes.

L’autre site, c’est Arthur Martin, l’électroménager, les gazinières, qui a été repris par Electrolux, groupe suédois, qui a fermé l’usine pour fabriquer en Chine. Terrible ! L’usine existait depuis 1854 et elle a eu jusqu’à 10 000 salariés. Elle n’est pas détruite parce qu’on essaie de la faire classer au patrimoine industriel. Il y a eu une véritable déshérence suite à ces fermetures.

C.B. : Je crois que tu as travaillé dans l’usine Arthur Martin ?

É.G. : Quand j’ai eu 16 ans, j’ai dit à mes parents, que je ne voulais plus aller à l’école. Ma mère m’a dit d’accord à condition de travailler, et là-bas, c’était l’usine. Elle espérait que je déchante vite pour que je retourne au lycée mais j’ai adoré. J’étais libre, je gagnais de l’argent, l’ambiance était incroyable, je faisais une vraie expérience humaine.

La Girgaine, Bertrix, Belgique, 2016 - Courtesy Galerie Maubert, Paris
C.B. : Comment es-tu devenu photographe ?

É.G. : Depuis que j’ai 12 ans, je dis à mon père que « je veux être photographe » pour voyager dans le monde. Mon père ne m’a jamais pris au sérieux, et il me répondait : « C’est bien, tu as trouvé une occupation pour tes week-ends ». 

J’ai grandi dans un milieu ouvrier, il n’y avait pas de livres excepté l’ Universalis, et mon premier rapport à la photographie, c’étaient les images publiées dans cette encyclopédie. Puis, à 14 ans, j’ai eu accès à une bibliothèque publique et j’ai pu consulter mes premiers livres sur la photographie et constituer mes références. La première était Salgado, aujourd’hui j’ai beaucoup plus de distance avec son travail, mais à l’époque, il montrait le « ailleurs », et pour moi, qui venait du pays de Rimbaud, la formule avait tout son sens.

C.B. : Aujourd’hui, quelles sont tes références ?

É.G. : Walker Evans pendant longtemps, mais surtout Ansel Adams, et plutôt la photographie américaine !

Doische, Belgique, 2016
Courtesy Galerie Maubert, Paris
C.B. : Prépares-tu tes pérégrinations en amont ?

É.G. : Pas du tout même si les cartes sont importantes pour le repérage ! Toute ma difficulté est de pouvoir jongler entre mes moyens mécaniques et pédestres ! Je n’ai pas de 4X4, j’ai une voiture familiale, et forcément je suis dans les contraintes d’aller où c’est possible, surtout en forêt. Dès que la voiture ne peut plus passer, je finis à pieds. Je pense toujours à cette photo de la voiture d’Ansel Adams, où il avait installé une galerie sur le toit, pour fixer sa chambre, et il disait, je ne peux aller à plus de 500 mètres de ma voiture. Moi, je peux faire des marches de plus de 10 kilomètres avec ma chambre qui pèse entre 13 et 17 kg, selon le matériel que je prends.

C.B. : Tes séries ont-elles une fin ?

É.G. : J’estime qu’au moment où il y a une exposition et une publication, c’est la fin d’une série ! Pour moi, les Ardennes c’est terminé ! Je passe à d’autres projets, notamment une série sur l’Autriche et une autre sur la Méditerranée.

Avec Ausblicke Austria, je poursuis mes questionnements sur la notion de frontière, et sur les multiples réalités qu’elle peut recouvrir, de l’artificialité à la fracture physique et culturelle. Située au cœur de l’espace européen et limitrophe de huit pays, l’Autriche est une interface. Les quelque 2562 kilomètres de frontière terrestre qui séparent ce territoire de ses pays voisins constituent une porte ouverte vers une Europe à multiples facettes et mettent en exergue l’hétérogénéité de l’espace européen.

Christine Blanchet

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