Aller au contenu. | Aller à la navigation

Narthex - Art Sacré, patrimoine, création.

Bonjour, notre site va bénéficier d’une refonte dans les prochains mois. L’activité de Narthex est actuellement réduite. Nous vous remercions de votre compréhension.

Caroline Duchatelet, un souffle au seuil du visible - De l'atelier... à la Tourette II/II

Publié le : 11 Janvier 2022
Depuis dix ans, l’artiste Caroline Duchatelet élabore de courts films silencieux et contemplatifs. Elle y enregistre les jeux de la lumière à l’aube ou au crépuscule et par temps instables et s’intéresse à la vibration essentielle des formes, au seuil du visible. De l’atelier au couvent dominicain de la Tourette où ses « Souffles » sont exposés jusqu’au 15 janvier 2022, sous le commissariat du Frère Marc Chauveau, elle nous convie à accueillir avec elle les infinies transformations du réel à travers ses vidéos et photogrammes. Voici le second volet de cette rencontre avec l'artiste.

Caroline Duchatelet, « samedi 25 septembre », série « Regards-respiration », 1/4 tirages fine art COMMANDITES PAR LE COUVENT DE LA TOURETTE, jet d’encre pigmentaire, 37 x 66 cm, 2021 © Caroline Duchatelet

A la Tourette, c’est un heureux défi que nous adressent les films de Caroline Duchatelet. Dehors, les formes de l’architecture corbuséenne s’entrechoquent avec fracas et luttent pour ordonner le chaos. Dedans, ses vidéos et photogrammes ouvrent « une fenêtre dans la vie lente » (1), une oasis apaisante dans les tumultes du monde, tels ces « Regards-respiration » réalisés in situ et commandités par le frère Marc Chauveau, commissaire de l'exposition. Que nous est-il demandé si ce n’est d’échapper, l’espace d’un moment, aux convulsions d’une époque incertaine ? De nous asseoir dans le noir pour accueillir ce qui s’offre à nous. D’éprouver simplement la ferveur de l’attente. De prime abord, on n’y voit pourtant rien (2). Dans les salles du couvent où les films sont montrés, tout commence dans l’obscurité, nous invitant à évacuer toute distraction pour aiguiser notre attention, à nous tenir à l’écoute de notre intériorité pour une entière disponibilité à ce qui vient. De même l’artiste s’est-elle longuement tenue à l’écoute du monde pour donner naissance à ces films silencieux en lesquels elle enregistre et recompose l’émergence du paysage, à l’aube, et ses métamorphoses sous la lumière par temps variables.

Caroline Duchatelet, « mercredi 4 novembre », vidéo HD, 9’40’’ - 2010 © Caroline Duchatelet

Elles ne sont pourtant pas exemptes de troubles ni d’inquiétude, les séries de Caroline Duchatelet : Aubes noires ou Aubes bleues, Films-sabliers et Regards-respiration disent l’instabilité essentielle de formes qui ne se fixent pas, la fluidité de leurs mouvements, les crescendo et decrescendo de leurs partitions lumineuses. Leur part d’ombre enfouie peut-être aussi, pour celle qui consent à se tenir là « où le doute, cette adoration ténébreuse, aborde en tremblant l’Infini » (3) ? « Les choses naissent au lever du jour tout en gardant un peu d’ombre autour » écrivait justement Thomas Gleb, exposé à la Tourette l’an dernier. Plus qu’objets circonscrits, les « Souffles » de Caroline Duchatelet s’y proposent dès lors comme moments en œuvre à expérimenter dans la fugacité de l’instant. Figures du temps qui passe, ils ne se figent pourtant jamais en de sévères vanités ou de mélancoliques tombeaux ; horizons, lisières, paysages et intérieurs s’y découvrent en autant d’espaces infiniment changeants. La pellicule est filtre sensible, les frontières poreuses, les lueurs instables — tantôt voilées, tantôt incandescentes —, les repères flottants : ici un mur se révèle être une porte, là mer et ciel se confondent en un même déluge monochrome, plus loin la forêt se fait buisson ardent reliant la terre au ciel, ailleurs encore des nuages vaporeux percent une fenêtre dans le béton aveugle du couvent… La lumière les anime en une même pulsation. Comme un mystère venu des origines, depuis un temps qui les précède, à la croisée de l’éternité et de l’instant ; alors « le monde n’est plus un spectacle pittoresque mais une réalité détachée de la continuité historique. L’instant s’isole dans un vide que lui seul éclaire. » (4)

Caroline Duchatelet, « vendredi 8 janvier », vidéo HD, 12’ - 2021 © Caroline Duchatelet (réalisé avec Vent des forêts, présentation en avant-première)

Caroline Duchatelet, « lundi 26 avril », vidéo HDV, 7’ - 2010 © Caroline Duchatelet

La lumière y parle en silence. Ainsi du film sobrement intitulé 25 mars. « Annonciation » indique le calendrier pour cette date qui suit de peu l’équinoxe de printemps, période où la vie renaît de la clarté montante. Sur l’écran, dans un fin camaïeu d’ocres et de terres, des mains délicatement croisées émergent, corolles lentement déployées par la lumière de part et d’autre d’une géométrie douce. Dans ces détails d’une fresque familière, on reconnaît le geste d’hospitalité mutuelle – accueil et salutation – de l’Ange face à la Vierge dans l’Annonciation peinte par Fra Angelico au couvent San Marco, à Florence. Là, depuis la fenêtre située à gauche de l’œuvre, une luminosité tremblante entre progressivement dans l’ombre ; le rayon ricoche et se propage, embrase l’Ange puis englobe la scène d’un rose subtil, manifestant l’Incarnation du Verbe fait chair : « Je suis la lumière du monde » lit-on en Jean 8,12. Sous nos yeux a lieu la « transformation silencieuse » (5) opérée par la lumière qui agit et donne vie. N’est-ce pas là le véritable sujet de cette épiphanie en laquelle se manifeste l’invisible, l’efficacité de la parole, le temps fracassé par l’instant, l’in-ouï de la Présence s’incarnant dans la « fragilité accueillante » (6) de la Vierge ?

Caroline Duchatelet, « le 25 mars », film vidéo, 40’ - 2015 © Caroline Duchatelet

Dans le couvent, cependant, la visite se poursuit. Voici que vous longez le cloître. Quatre rectangles de taille modeste arrêtent votre regard à hauteur de visage, quatre monochromes déclinant d’infinies nuances de vermillon : bruns bleutés, mauves délicats, carmins ardents et orange vifs y mêlent leurs encres pigmentaires. On songe à Rothko. Sans verre protecteur, ces regards-respiration palpitent tels des cœurs mis à nu. Réalisés in situ en un geste suspendu entre les extrémités intérieure et extérieure d’une cellule, ils semblent flotter, évanescents, en ce point de rencontre du dedans et du dehors qui nous met en demeure d’être. « Au ras de leur étendue, au large de leur extension, quand d’une seule nappe la terre aborde la terre et tend l’horizon sous nos pas, nous ne l’accueillons qu’à nous dresser dans le ciel, diastole de notre souffle. Et du même battement qui l’ouvre à lui-même, il nous ouvre, à hauteur d’homme, la profondeur du monde », écrit justement Henri Maldiney (7).

Caroline Duchatelet, « samedi 25 septembre », série « Regards-respiration », 4 tirages fine art COMMANDITES PAR LE COUVENT DE LA TOURETTE, jet d’encre pigmentaire, 37 x 66 cm, 2021 © Caroline Duchatelet

Dans la salle du chapitre et dans le réfectoire, bleus profonds et vapeurs grises modulent également leurs fragiles variations : un arbre se devine, des nuages s’esquissent ou se fondent, des brouillards s’estompent ou s'épaississent, l’indécision des formes affleure dans la densité de la couleur. Tels des brumes volatiles sur des fonds insondables. Portant le regard vers le paysage, au-dehors, il vous semble que vallées et collines leur répondent au loin.

Caroline Duchatelet, « lundi 12 novembre », photogramme extrait d’une aube filmée, 1/12 tirages fine art, jet d’encre pigmentaire, 40 x 70 cm, 2021 © Caroline Duchatelet

Ainsi dépouillé de tout artifice, l’art de Caroline Duchatelet s’offre absolument nu ; ne nous invite-t-il pas à nous tenir au plus près de notre être, là où celui-ci coïncide avec le monde, aux confins des abîmes qui le creusent et de l’altérité qui l’ébranle? Nous accompagnant ici dans notre plus noble tâche, celle qui consiste à exister.

Odile de Loisy

Notes

1) Christian Bobin, La part manquante, Paris, Folio Gallimard, 1989, p.55.
2) En écho à l’ouvrage de Daniel Arasse, On n’y voit rien, Paris, Folio Gallimard, 2003.
3) Marie Noël, Notes intimes, Paris, Stock, 1998 pour la dernière édition, p.10.
4) Henri Maldiney, Regard Parole Espace, L’Âge d’Homme, Lausanne, 1973 et 1994, p.15.
5) François Jullien, « Des transformations silencieuses qui font le monde », extrait du catalogue Caroline Duchatelet, Éditions Villa Saint Clair, Sète, 2014, p.20.
6) Yannick Haenel, op. cit., p.33.
7) Henri Maldiney, op. cit., p.119.

Exposition Caroline Duchatelet, « Souffles », jusqu’au 15 janvier 2022.
Couvent de la Tourette - 69210 Eveux
Tél : 04 72 19 10 90 - accueil@couventdelatourette.fr
Du lundi au samedi de 10h à 12h et de 14h à 18h
Visites guidées uniquement, soumises aux normes sanitaires en vigueur.
Réservation obligatoire.

Site de l’artiste : www.documentsdartistes.org/artistes/duchatelet

Toutes les infos pratiques sur l'exposition en cliquant ici

Ajouter un commentaire

Vous pouvez ajouter un commentaire en complétant le formulaire ci-dessous. Le format doit être plain text. Les commentaires sont modérés.

Question: 4 + 4 ?
Your answer:
Recherchez sur le site
Inscrivez-vous à la newsletter