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Narthex - Art Sacré, patrimoine, création.

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VERBA VOLANT, SCRIPTA MANENT

Publié le : 20 Juin 2022
« Les paroles s’envolent, les écrits restent » dit la sagesse populaire, réflexion frappée au coin du bon sens. Pourtant cela est-il si évident ? Des paroles envolées, ne reste-t-il vraiment rien ? Les écrits conservent-ils l’intégrité de ce qui a été prononcé ? Et qu’en est-il de la musique ? Une partition est-elle vraiment la musique ? L’examen des manuscrits des compositeurs nous en apprendra beaucoup sur ces questions.

C’est à un voyage d’un genre particulier que je vous invite au seuil de l’été qui vient : les contrées que nous allons visiter sont d’une richesse insoupçonnée. Comme avant tout départ, on consulte la carte. C’est ce que fait le musicien avant de se saisir de son instrument : il se penche sur la partition pour y discerner déjà ce qui se cache au-delà des signes. La musique n’est pas faite seulement de notes organisées en hauteurs et durées (ce que donne la partition), mais de beaucoup d’autres éléments comme le souffle, l’élan, les gestes sonores et corporels, le rapport à l’espace… Comment ce qui reste écrit dans la partition est la trace de ce qui s’envole dans la musique ? Les manuscrits musicaux sont de précieux guides.

Écrire la musique au temps de Charlemagne

Voici un manuscrit liturgique conservé à la bibliothèque de Saint-Gall en Suisse ; il date du IXème siècle.

Alleluia, Cantatorium de Saint Gall, 922-926 (Codex Sangallensis 359) © Wikimedia commons 

Ce ne sont ni les hauteurs ni les durées qui y sont consignées mais tout le reste qui nous renseigne sur la manière de chanter.

Le chant liturgique au temps de Charlemagne était le moyen privilégié pour manifester l’unité de l’Eglise partout dans le monde connu d’alors. Il était donc indispensable de le répandre, d’où la nécessité d’une transcription fidèle. Le contenu mélodique était transmis par tradition orale : les anciens chantres apprenant les chants aux nouveaux. Par contre, la manière de chanter, les accentuations, les ralentissements, les élans, les rebonds et toutes subtilités devaient être consignés avec soin : c’est le rôle de ces manuscrits dits « neumatiques ». On les utilisait un peu à la manière de signes sténographiques pour aider la mémoire. On a coutume de dire que ces neumes fixent sur la feuille le geste que faisait le scribe en chantant : retrouver ce geste à partir des neumes aide à retrouver le « geste sonore ».

Début du graduel Tu es Deus, CANTATORIUM DE SAINT GALL, 922-926 (CODEX SANGALLENSIS 359) © WIKIMEDIA COMMONS

Voici l’enregistrement sonore de l’introït Esto mihil. L’écriture sur lignes, apparue autour des IX/XIIème siècles est enrichie sur cette image des neumes du IXème copiés sur un manuscrit de Saint-Gall (en rouge dans la vidéo ci-dessous). On comparera la précision figée de l’écriture sur portée à la souplesse des neumes manuscrits.

Il s’agit du psaume 30 :

Sois pour moi le Dieu qui protège ;
un lieu de refuge pour me sauver.
Car tu es mon appui et mon refuge :
à cause de ton nom, tu seras mon guide et tu me nourriras.

Pour que le « verbe » nourrisse la vie et y demeure, ne faut-il pas d’abord qu’il « vole » ?

Bon voyage au pays des manuscrits.

Emmanuel Bellanger

Vignette en une : Portrait du moine copiste Ugo de Florence par Vincent Beauvais, 1320.

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Emmanuel Bellanger

Après des études au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris et à l’Institut Grégorien, Emmanuel Bellanger a mené une carrière d’organiste comme titulaire de l’orgue de Saint Honoré d’Eylau à Paris, et d’enseignant à l’Institut Catholique de Paris : Institut de Musique Liturgique et Institut des Arts Sacrés (aujourd’hui ISTA) dont il fut successivement élu directeur. Ancien responsable du département de musique au SNPLS de la Conférence des évêques de France, il est actuellement directeur du comité de rédaction de Narthex. Il s’est toujours intéressé à la musique comme un lieu d’expérience sensible que chaque personne, qu’elle se considère comme musicienne ou non, est appelée à vivre.

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