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Narthex - Art Sacré, patrimoine, création.

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Transcription : appropriation ou trahison ?

Publié le : 10 Février 2020
Nous célébrons cette année le 150ème anniversaire de la naissance de l’organiste et compositeur Louis Vierne (Poitiers 1870 - Paris 1937). C’est une œuvre, certes mineure dans sa production mais intéressante par les questions qu’elle invite à se poser, qui va nous retenir aujourd’hui : la transcription pour orgue du fameux prélude en ut # mineur de Serge Rachmaninov.

Le prélude en ut # mineur de Rachmaninov est presque la première composition de ce musicien né en Russie en 1873 et mort en 1943 aux Etats-Unis (où il s’était exilé en 1917).

Cette page de facture orchestrale avec ses accords très fournis (Rachmaninov a eu besoin de trois portées pour les transcrire) et aux vigoureux contrastes dynamiques, a remporté dès sa création un succès foudroyant qui risquait d’occulter ses autres œuvres. C’est pourquoi Rachmaninov refusait de la jouer aux concerts. On peut comprendre que Vierne ait choisi de transcrire pour l’orgue cette page : l’écriture en larges accords appelle l’instrument à tuyaux. Pourtant, on ne peut éliminer d’emblée la question de la pertinence d’une telle démarche, en-dehors de l’intérêt personnel que le musicien retire de ce travail d’appropriation.

Ce prélude de Rachmaninov en ut # mineur fait partie d’un ensemble intitulé Cinq morceaux de fantaisie publiés en 1892. Le recueil comporte les titres suivants : Elégie, Prélude, Mélodie, Polichinelle, Sérénade.

Nous écoutons d’abord la version originale : observons le pianiste qui aborde son instrument d’une manière intime, tout en douceur, laissant surgir la puissance du sein du développement. La musique se déploie comme une question inlassablement répétée sur les mêmes accords jusqu’à la dernière résonance. C’est le pianiste russe Evgeny Kissin qui joue ce prélude en bis à l’issue d’un concert.

C’est en 1932, c’est-à-dire dans les dernières années de sa carrière, que Vierne propose cette transcription pour orgue de cette page de Rachmaninov.

A l’écoute de cette page, les questions surgissent. Nous avons l’habitude aujourd’hui de nouer un contact presque direct avec la musique grâce aux techniques de reproduction ; contact qui ne remplacera jamais évidemment l’audition directe. C’est quand même mieux que ce qu’ont connu nos prédécesseurs qui n’avaient accès aux œuvres que par les transcriptions. Toutefois, ici, il s’agit de passer du piano à l’orgue, c’est-à-dire d’un instrument le plus répandu à un instrument réservé aux seuls organistes. La raison est bien autre : Vierne a voulu s’approprier cette page dans son propre monde sonore.

Mais s’agit-il dans ce cas encore du prélude de Rachmaninov ? Certes les notes y sont intégralement mais le rapport musique/instrumentiste, le sens de l’espace, le passage de la corde frappée donnant un son discontinu avec une l’attaque franche, au tuyau qui donne un son démuni d’attaque mais continu, tout cela ne dénature-t-il pas quelque peu l’œuvre ? Mais en même temps, l’approche à l’orgue ne nous révèle-t-elle pas quelque chose de l’essence profonde de ce prélude ? C’est à chacun de répondre suivant sa sensibilité. La musique n’est pas la traduction objective d’un message : elle s’invite en chacun pour y résonner selon sa nature.

Dernière remarque : observez comment l’organiste s’empare de cette page par rapport à ce que faisait le pianiste. Un instrument de musique, cela s’aborde avec souplesse mais cela se dompte parfois.

Voici l’interprétation que nous donne Frédéric Ledroit sur le grand orgue de la cathédrale d’Angoulême.

Emmanuel Bellanger

François
François a écrit :
15/02/2020 15:17

Notre époque, la faute à Baumarchais peut-être, a exacerbé à outrance la notion de copyright et les droits d'auteurs.
La grande affaire de la créativité intellectuelle et artistique est d'abord une affaire de diffusion et de transmission. Qui dit transmission dit incorporation, transformation. C'est une atrophie née de l'économie libérale que de considérer l'oeuvre uniquement sous l'angle du copyright et de la restriction. On pourrait même dire que les droits d'auteur et la volonté de mainmise de la procution intellectuelle et artistique sur l'ouevre est contraire à la nature intrinsèque de la production intellectuelle et artistique. C'est une mainmise économique sur une production qui, par essence, n'est pas du domaine de l'économie mais de la libéralité.
Donc oui, la transcription, loin d'être une trahison, est essentielle.

Chevalier
Chevalier a écrit :
16/02/2020 21:51

Je ne vois absolument pas où est le problème. Louis Vierne en a fait une magnifique transcription et le talent de Frédéric Ledroit le prouve amplement. Franchement, je ne vois pas l'intérêt de ce débat...

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Emmanuel Bellanger

Après des études au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris et à l’Institut Grégorien, Emmanuel Bellanger a mené une carrière d’organiste comme titulaire de l’orgue de Saint Honoré d’Eylau à Paris, et d’enseignant à l’Institut Catholique de Paris : Institut de Musique Liturgique et Institut des Arts Sacrés (aujourd’hui ISTA) dont il fut successivement élu directeur. Ancien responsable du département de musique au SNPLS de la Conférence des évêques de France, il est actuellement directeur du comité de rédaction de Narthex. Il s’est toujours intéressé à la musique comme un lieu d’expérience sensible que chaque personne, qu’elle se considère comme musicienne ou non, est appelée à vivre.

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