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Karl Rahner et Martin Heidegger : la question de l'Etre

Publié le : 28 Novembre 2019
Voici la cinquième parution d'Art & Théologie, nouvelle section des Ecrits mystiques, qui scrute aujourd'hui la question de la philosophie existentialiste du jésuite allemand Karl Rahner (1904-1984) et des concepts qu'il puise dans la pensée de Martin Heidegger (1889-1976). Le développement de sa réflexion le conduit à la question de l'Etre et de l'Incarnation, préfigurant le mouvement de renouveau liturgique qui s'est exprimé dans l'architecture sacrée du XXe siècle.

Karl Rahner entre dans la Compagnie de Jésus en 1922 ; il est ordonné prêtre en 1932. A partir de 1934, il va suivre pendant deux ans les séminaires du philosophe allemand, Martin Heidegger (1889-1976) à l’Université de Fribourg-en-Brisgau, qui vient de publier en 1932 Sein und Zeit (L’Etre et le Temps). Rahner rédige en 1940 l’Introduction au concept de philosophie existentiale chez Heidegger, « une simple introduction au système de pensée appelé philosophie existentiale (…) la philosophie développée par Martín Heidegger » (SW 2, 319), composée de six parties. Le mot d’existential concerne « l'être en tant que tel et dans son intégralité » (SW 2, 323) et non seulement l’expérience vécue de l’homme en particulier.

La question de l’être

Selon Heidegger, se pose la question de l’homme en la rapportant à la question de l’être en général (Zur Seinfrage). « Ce que Heidegger dit de l'homme, est toujours et avant tout subordonné à la question universelle de l'être » (SW 2, 324).

L’homme ek-siste, surgit à la vérité de l’être en s’arrachant à la banalité de la vie quotidienne pour retrouver l’existence authentique. L’existentialisme est le mode de philosopher qui pose le primat de l’existence sur l’essence et qui se donne pour objet l’analyse de l’existence humaine dans sa réalité concrète et vécue. Les existentiaux sont les catégories fondamentales de l’existence humaine (angoisse, souci, temps…). Karl Rahner reprend les concepts heideggériens dans son essai de 1940 : « L’ontologie fondamentale est l’analyse de l’homme dans sa relation à l’être, l’analytique existentiale de cet « homme concret », de cet « Existant », de ce « Présent », le Dasein suivant la terminologie de Heidegger. » (SW 2, 329)

Le Dasein

Le Dasein, qui se traduit littéralement par « l’Etre-là », définit l’homme hic et nunc (ici et maintenant) comme un être dans le monde, un être dans le temps, et donc un être-pour-la-mort (Sein zum Tode). L’homme vit un état de déréliction (Geworfenheit), il est « jeté dans le monde », dans un état d’abandon et de solitude. La finitude du Dasein réside dans l’état d’oubli de l’Etre. Le caractère du Dasein, lié au monde, est la préoccupation (Besorgen) qui fait de lui un être sans cesse jeté-en-avant de lui-même, un être de projet (Entwurf). Le souci (Sorge) est l’être-même du Dasein en tant qu’anticipation de soi, « pro-jeté en avant de lui-même ». Il est difficile de rendre en traduction toute la densité de la langue allemande avec son infinitif substantivé, ses particules très expressives, son génitif saxon et d’apprécier le style particulier du philosophe. Dans Vom Wesen des Grundes (1929), De l’essence du fondement, Heidegger écrit : « L’interprétation ontologique de l’être-là comme être-au-monde ne décide ni positivement ni négativement d’un possible être pour Dieu. Mais sans doute l’éclairement de la Transcendance permet-il pour la première fois un concept suffisant de l’être-là, en fonction duquel on peut désormais se demander ce qu’il en est sur le plan ontologique du rapport de l’être-là à Dieu. » (SW 2, 341)

La recherche de l’Etre

L’attitude de Heidegger vis-à-vis du problème de Dieu se traduit par un refus de l’onto-théo-logie traditionnelle : « Peut-être une pensée détachée de Dieu qui est contrainte d’abandonner le Dieu des philosophes, le Dieu en tant que causa sui, est-elle plus proche du Dieu divin. Mais cela veut dire uniquement qu’elle est plus libre pour le rencontrer que ne veut le reconnaître l’ontothéologie. » Identité et différence (Identität und Differenz) in Questions I. Car « ce Dieu (la Cause première de la métaphysique), l’homme ne peut ni le prier ni lui sacrifier. Il ne peut, devant la Causa sui, ni tomber à genoux plein de crainte, ni jouer des instruments, chanter ou danser. » La constitution ontothéologique in Questions I.

« L’Etre est sans doute la seule question digne d’être posée, et la pensée profonde rejoint en cela la haute poésie, mais c’est une question difficile et posée trop tôt. »

L’Etre apparaît chez Heidegger comme Celui dont on ne peut parler, sur lequel on ne peut que faire silence, parce que la parole est toujours dégradation, mise en système, clôture, alors que l’Etre est Ouverture. C’est pourquoi, en lecteur du mystique rhénan Maître Eckhart, il reprend les termes de la theologica negativa, parlant de l’Etre en termes superlatifs ou négatifs, antithétiques : il est celui qui se dit et le plus silencieux, le plus proche et le plus lointain, l’Innommé, l’Inconnu qui pourtant donne sa mesure à l’homme :
« L’Etre est sans doute la seule question digne d’être posée, et la pensée profonde rejoint en cela la haute poésie, mais c’est une question difficile et posée trop tôt. » L’homme habite en poète in Essais et conférences.

Vitraux des 12 apôtres (1998) du prêtre dominicain coréen Kim En Joong, © cathédrale d’Evry

De la question de l’Etre à la christologie avec Karl Rahner

Karl Rahner, expert théologique au Concile de Vatican II, a anticipé le mouvement de renouveau liturgique qui s’exprime dans l’architecture religieuse du XXe siècle.

« Au stade ultime de cette analytique, le premier a priori de la transcendance humaine devait se révéler comme l’infinité de l’absolu » conclut Karl Rahner dans son essai sur Heidegger. Cependant pour le jésuite, l’infinité de l’absolu, le Verbe, a pris chair. L’homme peut avoir la révélation « du Dieu d'Abraham, Isaac et Jacob, de la Parole de Dieu, comprise, contemplée, touchée par les mains des hommes, Jésus de Nazareth » (SW 2, 345-346). Dans une libre disposition de lui-même, en pleine conscience de soi existentielle, Il s’est offert pour le salut de l’humanité. Karl Rahner, expert théologique au Concile de Vatican II, a anticipé le mouvement de renouveau liturgique qui s’exprime dans l’architecture religieuse du XXe siècle.

La cathédrale de la Résurrection d’Evry, qui a reçu le Label du Patrimoine du XXe siècle en 2011, a été construite entre 1992 et 1995 par l’architecte suisse Mario Botta (cylindre taillé de biais de 17 à 34 mètres de hauteur et 38 mètres de diamètre, toit triangulaire couronné de 24 tilleuls argentés, symbole des 12 apôtres et des 12 tribus d’Israël). Cette « maison à étage unique tendue entre ciel et terre afin d’en faire un instrument de relation spirituelle » s’intègre au nouveau centre urbain de la ville nouvelle d’Evry avec son architecture moderne de briques.

Martine Petrini-Poli

Intérieur de la cathédrale de la Résurrection d’Evry (autel en marbre de Carrare, sa colonne de 5 m prend appui dans la crypte funéraire des évêques d’Evry)

Références bibliographiques

Karl Rahner, « Introduction au concept de philosophie existentiale chez Heidegger », Recherches de sciences religieuses, 30, 1940, pp. 152-171 ou SW 2, pp. 319-346.

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Martine Petrini-Poli

Martine Petrini-Poli, professeur de lettres (titulaire du CAPES et du Doctorat de 3ème cycle) en classes préparatoires HEC au Lycée de Chartreux et à l’Ecole des Avocats de Lyon (EDA), rédactrice à Espace prépas, Ellipses et Studyrama. Responsable de la Pastorale du Tourisme (PRTL 71).

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