En finir avec Dieu ?
Publié le : 12 Juin 2014L’exposition que le Musée d’art moderne de la ville de Paris consacre actuellement au peintre italo-argentin Lucio Fontana (1899-1968) permet de faire l’expérience, en vrai, de la manière qu’a eue un grand artiste du XXe siècle de se lancer dans le combat avec l’ange pour se mesurer avec Dieu.
Dieu est invisible, Dieu est inconcevable,donc, aujourd'hui, un artiste ne peut représenter Dieu sur un fauteuil avec le monde dans sa main.» (Lucio Fontana)
Après des débuts d’artiste plutôt classiques, dès 1947, Lucio Fontana a renoncé à la figuration et inventé de creuser l’espace plan du tableau par des trous ou des fentes qui en révèlent l’arrière plan. Il ainsi donné naissance au spatialisme et transformé la bidimensionnalité de la peinture en une recherche sur la troisième dimension. En même temps, cet artiste qui était principalement au départ un sculpteur attaché au modelage ou à la taille de la pierre, s’est lancé dans une série de faïences polychromes plus éclatantes et vibrantes les unes que les autres.
C’est dans ce travail singulier d’une matière ductile, dans ce jeu de couleurs violentes, que se dessinent ici un Christ en croix à peine esquissé, là telles autres figures où l’on reconnaît Marie ou saint Jean. Formé à la conception de monuments funéraires, Fontana réalise des chemins de croix et des crucifix et concourt pour la 5e porte en bronze de la Cathédrale de Milan. Dans ces œuvres figuratives, suggestives et expressionnistes, se lit tout une quête de l’émotion et de la vie.
Un des acquis de cette exposition est de nous confirmer que l’évolution des formes artistiques n’est jamais chez un artiste simplement linéaire et chronologique. Lucio Fontana n’abandonne pas la figuration pour l’abstraction, radicalement et définitivement, en 1947, mais continue pendant ces années 1947-1958, à passer d’un langage à l’autre, à aller de la figuration à l’abstraction aller-retour, selon les circonstances, les commandes, les sujets abordés aussi.
Mais le lieu qui m’a semblé le plus fort est la salle consacrée à la Fin de Dieu et au triptyque Trinité. La Fin de Dieu, quel programme ! Fontana a réalisé toute une série de toiles portant ce titre, de couleurs plus vives les unes que les autre ; on a trop longtemps cru voir dans ces tableaux ovoïdes, largement troués, une évocation de la mort de Dieu, prophétisée par Nietzsche, Marx et bien des penseurs de la modernité.
Mais, comme le dit Fontana, « naturellement la fin de Dieu ne doit pas être comprise dans le sens de la religion catholique » ; il s’agit, plutôt, de « la fin de la figuration, du début de rien », ce rien sans doute préférable à toutes les fausses images de Dieu, qui ne peuvent en être que des caricatures ou de plates réductions. La fin de Dieu, ce tableau blessé dans les trous duquel se lit une béance, un manque, une lumière derrière la toile qui paraît venir d’ailleurs, est une interrogation métaphysique.
La Fin de Dieu n’est assurément pas la fin de la transcendance, mais celle d’un savoir assuré qui croirait pouvoir assigner à Dieu une forme, une représentation valide. Ce tableau, je le comprends comme le passage du savoir à la croyance, d’un Dieu réponse à un Dieu question, qui nous précède et nous relève par ses creux et ses blessures. Expérience du désert, du vide, du manque. L’exercice de la peinture tel que Lucio Fontana l’a vécu est de l’ordre d’une expérience intime, existentielle, spirituelle.
En finir avec Dieu? Plutôt en finir avec la représentation artificielle d’une idole que l’homme se crée, pour se retrouver face à une présence, une simple et réelle présence dans sa pauvreté essentielle.
Paul-Louis Rinuy
A propos de l'exposition Lucio Fontana, Retrospective au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris, jusqu'au 24 août 2014: tous les renseignements ici.