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"FLORE" de Jean-Albert Lièvre: Le récit d'un combat contre Alzheimer (2014)

Publié le : 21 Septembre 2016
Témoignage intime et poignant, ce documentaire ouvre la voie à une large réflexion sur ce que l’on nomme aujourd’hui le «cinquième risque», c’est-à-dire le phénomène de dépendance du 3ème et 4ème âge. Dans le récit d’une renaissance inespérée, on découvre que la terrible maladie d’Alzheimer ne se guérit pas. Mais que l’on peut essayer de vivre avec. Un témoignage rendu possible grâce au cinéma et qui peut ouvrir des pistes de réflexion à tous les aidants et accompagnateurs…

Artiste peintre, Flore est atteinte de la maladie d’Alzheimer depuis plusieurs années. Elle a été « enfermée » successivement dans deux institutions spécialisées. Les traitements l’avaient rendu aphasique, muette, elle ne savait plus ni marcher ni manger ni sourire. Elle est devenue agressive, violente et ingérable. Pour les médecins, la seule perspective, c’était le placement dans une maison sécurisée. Contre l’avis général, son fils, Jean-Albert Lièvre et sa fille Véronique décident de l’installer dans la maison de famille, en Corse, entourée d’une équipe d’accompagnement atypique. Là-bas, pas à pas, mois après mois, pendant un an, elle va littéralement revenir à la vie.

Un documentaire sur la maladie d’Alzheimer

Au départ, Flore se présente comme un documentaire. C’était d’ailleurs le projet de J-A. Lièvre de rendre compte de l’évolution de la maladie mais sans avoir l’intention de faire un film  sur sa mère. Il filme d’abord pour montrer aux neurologues ses comportements étranges afin d‘obtenir un traitement adapté. « J’ai commencé à filmer avec mon téléphone portable, pour des raisons médicales, explique le réalisateur. Je voulais montrer son état au neurologue qui la suivait. Elle se dégradait tellement vite. Je n’ai pas pensé utiliser ces images un jour. Lorsque nous sommes arrivés en Corse, j’ai filmé, pour mémoire, pour ma famille. Comme j’étais avec elle toute la journée, la filmer m’occupait aussi, c’est mon métier. »

Les images sont parfois dérangeantes d’autant qu’elles peuvent aussi poser une question éthique car Flore n’a pas pu d’elle-même donner son consentement pour être filmée. J-A. Lièvre a hésité jusqu’au bout avant de les diffuser à un public. Pourtant l’envie de montrer les images spectaculaires du chemin parcouru était plus forte. Le réalisateur effectue un montage très convaincant en alternant images intimes et images publiques. La narration est peu présente, les images parlent d’elles-mêmes avec une bande originale très (trop) présente.

Le portait d’une mère

Filmé à chaque étape d’un processus de trois ans, Flore se présente au bout du compte comme un hommage à une mère. Le fils redonne la vie à celle qui lui en a fait don. Il est touché par la force et la beauté de ses progrès. A cause de la maladie, Flore revient au stade du nourrisson et semble retourner en enfance : elle doit réapprendre à manger, à parler. Cet éveil à la vie, bouleversant, inverse les rôles de la filiation; le fils réapprend à vivre à sa mère. La présence de Flore à l’écran est impressionnante. Son regard est intense, ses sourires et sa joie touchent profondément le spectateur. Le film tant sur le fond que sur la forme finit par dédramatiser la maladie sur laquelle il apporte un regard différent. Il montre aussi combien l’autre, au cœur de sa souffrance et de son silence, même dans l’étrangeté de ses réactions, reste un mystère et une personne à part entière ; que l’on ne peut préjuger de ce qu’il ressent ou perçoit…

L’histoire d’une renaissance

On sait aujourd’hui combien la maladie d’Alzheimer altère de manière irréversible la mémoire, l’autonomie et s’accompagne de comportements bizarres à la limite de la démence.  D’habitude on passe du domicile à la maison de retraite. ici Flore fait le chemin inverse. Entourée de ses proches et d’un personnel compétent, ramenée à ses racines dans sa maison de Corse, elle retrouve le sourire, reprend des forces et s’apaise. En 2010 elle arrive grabataire et totalement amaigrie. elle ira jusqu’à remarcher sur les sentiers du GR 20 et même à se baigner toute seule. Cette métamorphose inattendue constitue le cœur du film. Une renaissance où finalement «l’homme est le remède de l’homme» et non pas les traitements médicaux ou les institutions spécialisées.

Jean-Albert Lièvre et sa mère Flore. Atteinte d'Alzheimer, elle va voir son état s'améliorer au contact de la nature. ©Jean-Albert Lièvre/Les 400 coups
Un témoignage qui, sans être une solution, peut ouvrir des pistes à tous les aidants et accompagnateurs

Aussi ce film ouvre t-il des pistes à tous ceux qui vivent l’expérience de l’accompagnement des personnes très dépendantes. Certes, certains ne manqueront pas de souligner le contexte de l’histoire, avec des moyens financiers, matériels, la disponibilité de l’entourage, une grande maison en Corse, etc. L’enjeu est d’aller ensuite au-delà du film et de cet aspect. Comment passer d’un témoignage particulier dans un contexte spécifique, qui n’a pas vocation à devenir un modèle, à une réflexion plus globale sur la situation des aidants, des accompagnants. Comment l’humanité des présences et l’intelligence des volontés permettent des possibles que l’on aurait pu penser hors d’atteinte ? Jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour accompagner ces personnes ? Comment trouver la bonne posture et discerner la juste attitude ?

Telles sont toutes interrogations qui parcourent le film et qui justifient au final sa raison d’exister comme œuvre de cinéma. « Nous n’avons aucunement l’ambition de présenter cette histoire comme le modèle à suivre » précisait le réalisateur. Mais si elle contribue à sensibiliser l’opinion (…) et convaincre les politique de la nécessité d’aider au maintien à domicile, j’aurais fait œuvre utile. » Flore est aujourd’hui décédée mais reste dans nos mémoires par la magie du cinéma. Plus que jamais, elle impose une réflexion politique à l’heure où 900 000 personnes en France sont atteintes de la maladie d’Alzheimer.

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Pierre Vaccaro

Titulaire d’une maîtrise d’Histoire du cinéma à l’Université de Tours et d’un master en Communication au Celsa, Pierre Vaccaro a aussi étudié la théologie à l’Institut Catholique de Paris. Le cinéma représente pour lui une passion depuis de nombreuses années. Plusieurs travaux de recherches et de rédactions, notamment pour la revue 1895 de l’Association Française de Recherche sur l’Histoire du Cinéma, pour des sites de cinéma, ou encore pour Le Courrier Français via le groupe Bayard lui ont valu de collaborer pendant quelques années au Jury œcuménique au Festival de Cannes.

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