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Photographie & spiritualité : trois photographies et trois interrogations

Publié le : 31 Mars 2020
Pour cette nouvelle série sur son blog dédié à la photographie, Françoise Paviot poursuit son exploration du 8e art à travers une grande diversité d'approches, du XIXe siècle à l'époque actuelle. Riche et passionnante, la thématique de cette nouvelle séquence est une interrogation sur Photographie & spiritualité, leurs liens et interactions - à découvrir au fil des mois...

Jean-Claude Lemagny (1) a dit un jour : « Je ne sais pas si la photographie est un art, mais je sais que certains photographes sont des artistes ». Il est vrai que dans le domaine des images, la photographie a subi et subit encore des critiques, des doutes sur sa capacité à faire « art ». Alors quand il s’agit de la penser dans le champ de la spiritualité qu’advient-il d’elle ? Face à son manque d’épaisseur, face aux illusions qu’elle peut provoquer, on peut s’interroger sur la réelle nature et la profondeur du regard qu’elle provoque en nous.

Les trois photographies qui vont suivre constituent le point de départ d’une première approche qui pourra se poursuivre au fil du temps et s’enrichir avec d’autres images.

E. J. Muybridge : un excès d’exactitude

E. J.Muybridge, Animal Locomotion, 1887

Interrogé sur la notion de vérité en art, Rodin affirme que la photographie, témoignage mécanique irrécusable, est menteuse. Capter un instant, est contraire à la vie qui, elle, ne s’arrête jamais.

En 1887, un photographe, nommé E. J. Muybridge, trouve le moyen de photographier le mouvement d’un cheval au galop et prouve ainsi que les représentations que la peinture en avait faites étaient fausses. Avec cette avancée, purement technique, la photographie trouve ses lettres de noblesse dans le monde de la science et, en montrant ce que l’œil humain ne pouvait voir, accède à une nouvelle forme de reconnaissance. Cependant, dans un entretien avec Auguste Rodin, Paul Gsell (1) fait appel de la vérité en photographie pour interroger « le maître » sur la notion de vérité en art. Rodin affirme alors que la photographie, témoignage mécanique irrécusable, est menteuse. Capter un instant, est contraire à la vie qui, elle, ne s’arrête jamais. Et prenant son Saint Jean Baptiste «  en marche » comme exemple , Rodin s’explique : «  C’est l’artiste qui est véridique et la photographie qui est menteuse ; car dans la réalité le temps ne s’arrête jamais : et si l’artiste réussit à produire l’impression d’un geste qui s’exécute en plusieurs instants, son œuvre est certes beaucoup moins conventionnelle que l’image scientifique où le temps est brusquement suspendu. » Ainsi la photographie, par excès d’exactitude, doit, pour Rodin, s’effacer devant sa sculpture de Saint Jean Baptiste où le déroulement progressif du geste de l’apôtre se résout dans l’accomplissement d’une mission divine.

Comment nous est-il possible, dans le cadre de cette réflexion, d’accueillir la photographie en termes d’instant, l’avant et l’après d’un moment isolé ? Quelle influence ont sur notre esprit les photographies choc, souvent violentes auxquelles nous sommes régulièrement confrontés ?

Yung Chen Li : un ancrage du sens

Yung Chen Lin, série « Images surréalistes », 2017 © D.R.

On le répète très souvent : une image vaut mille mots et on peut faire dire beaucoup de choses à une image prise isolément.

Examinons cette deuxième photographie. Postée sur Internet, elle s’offre publiquement à notre regard. Nous avons donc toute liberté de nous l’approprier et d’en faire une lecture personnelle.

Que voyons-nous ? un mur sans décor, un balai - serpillère et une femme de dos dont les cheveux mi-longs rappellent les franges du balai. Les deux sont appuyés de façon identique sur le mur. Première supposition, cette personne, par mesure d’hygiène, prend quelques instants de repos pendant son travail. Deuxième interprétation : cette personne ne peut plus travailler, épuisée par tous les nettoyages qu’on lui impose. Troisième interprétation, dans l’air du temps : « voyez comme on exploite les femmes dans les tâches ménagères ».

Cette image qui s’inscrit dans une volonté de faire « art » vient illustrer à son insu le terme « acédie », notion très complexe et longuement commentée par les Pères de l’Eglise.

En fait, après consultation du site de l’artiste, il se trouve que cette photographie fait partie d’une série intitulée « Images surréalistes ».  Yung-Cheng Lin, artiste taïwanais, photographe et sculpteur, soumet le corps féminin à d'étranges métamorphoses. A travers des images mises en scène et retouchées, ses expérimentations photographiques et digitales questionnent l’identité du corps en revendiquant une référence à l’imagerie surréaliste.

Quant à la photographie reproduite ici, elle a été choisie par un site pour illustrer le terme « acédie » que l’on pourrait traduire, en la simplifiant beaucoup, maladie de l’âme et aussi manque de soin de sa vie spirituelle. (3) Qu’en conclure ? Cette image qui s’inscrit dans une volonté de faire « art » vient illustrer à son insu une notion très complexe et longuement commentée par les Pères de l’Eglise. L’image, polysémique, échappe à celui qui l’a faite, pour s’ouvrir à l’interprétation, voire la méditation, de celui qui la regarde, comme elle peut aussi laisser tout simplement son œil glisser à sa surface.

Véronique Ellena : un acte de contemplation

Véronique Ellena, San Agostino, Gênes [série les Invisibles], 2011 © VÉRONIQUE ELLENA

Face à la capture radicale d’un instant, à la composition, voire la fabrication, d’une image artificielle, le travail de Véronique Ellena propose une autre approche de la photographie.

Il y a d’abord le choix des sujets : ils sont simples et concernent le quotidien. « Ces activités banales, a priori dénuées de tout intérêt artistique, s’inscrivent ainsi dans une quête permanente de beauté et de spiritualité au quotidien, qui trouve dans les portraits de « Ceux qui ont la foi » une incarnation plus parfaite encore. » Avec bienveillance et sans voyeurisme elle photographie « ceux qui croient », en Dieu, mais aussi ceux qui défendent un idéal politique ou s’engagent dans un effort sportif.

Pour moi, la photographie est fondamentalement un acte de contemplation. J’utilise un appareil argentique de grand format. J’obtiens une définition d’image merveilleuse, un rendu velouté à la fois sensuel et spirituel. Cela m’oblige aussi à travailler avec une lenteur qui permet de saisir l’essence des êtres et des choses.

Par contre, sa conception de la photographie et son mode de travail accompagnent les sujets qu’elle choisit pour que les deux ne fassent plus qu’un : « Pour moi, la photographie est fondamentalement un acte de contemplation. J’utilise un appareil argentique de grand format : une chambre 4 x 5. J’obtiens une définition d’image merveilleuse, un rendu velouté à la fois sensuel et spirituel. Cela m’oblige aussi à travailler avec une lenteur qui permet de saisir l’essence des êtres et des choses. » Comme dans sa série sur « Les invisibles » où elle redonne une existence à ceux qu’on ne regarde plus, elle retrouve le sens premier de la photographie : apparition dans le laboratoire, montée miraculeuse du sujet, manifestation d’une présence qui se donne à voir à la fois dans l’image mais aussi dans le processus même de sa matérialisation.

Sans vouloir illustrer mais grâce à un projet qui rencontre un medium, Véronique Ellena offre à la photographie, en lui donnant corps, la possibilité d’échapper à la fatalité de la représentation. Ses idées fortes et simples s’incarnent dans la matière du papier, prennent place dans la durée pour nous proposer le temps de la réflexion, une réflexion sur la place de l’homme dans la société, sur le rapport de l’art et de la spiritualité.

Françoise Paviot

(1) Ancien conservateur en chef pour la photographie à la Bibliothèque nationale de France.
(2) Auguste Rodin – L’Art – Les Cahiers Rouges – Grasset – 1911
(3) www.eglise.catholique.fr/glossaire/acedie/
(4) www.veronique-ellena.net

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Françoise Paviot

Titulaire d’un DEA de lettres, enseignante à l’IESA, Françoise Paviot a été rédacteur en chef de la revue Interphotothèque Actualités puis du journal interne du Centre Georges Pompidou. Elle est à l’origine de nombreuses publications sur la photographie ancienne et contemporaine et se voit confier tout au long de sa carrière le commissariat d’expositions à la maison rouge (Paris), à l’espace Van Gogh (Arles)… Depuis 1996, elle co-dirige avec son mari la Galerie Françoise Paviot spécialisée dans la photographie et située rue sainte Anne à Paris. Elle représente une vingtaine d’artistes contemporains dont Bogdan Konopka, Juliette Agnel ou Raphaël Chipault.

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