Aller au contenu. | Aller à la navigation

Narthex - Art Sacré, patrimoine, création.

Bonjour, notre site va bénéficier d’une refonte dans les prochains mois. L’activité de Narthex est actuellement réduite. Nous vous remercions de votre compréhension.

Musique et Peinture : connivence, écho ?

Publié le : 9 Novembre 2020
En 1960, il y a exactement 60 ans, le compositeur André Jolivet (1905-1974) recevait une étrange commande de son confrère Henry Barraud (1900-1997) pour une émission radiophonique : composer une œuvre musicale commentant le célèbre tableau du Greco « L’enterrement du comte d’Orgaz », peint en 1586. Tâche apparemment impossible : la musique est-elle susceptible de commenter quoi que ce soit ?

Dans la musique qu’il nous propose, c’est le propre regard du musicien André Jolivet qui se laisse percevoir. La musique ne peut être commentaire, elle est seulement – c’est l’essentiel même d’une démarche artistique – la création sonore originale née d’une expérience personnelle de rencontre entre un peintre et un musicien.

Jolivet ne s’est pas intéressé à la frise des nobles personnages qui sépare le tableau en deux parties opposées : le bas dans la pénombre, le haut dans la lumière, cette lumière céleste qui descend jusqu’à la terre, matérialisée par les ornements dorés de saint Etienne et de saint Augustin apparaissant au moment d’inhumer le personnage vénérable qui a donné son nom au tableau. 

LE Greco (1541-1614), L'Enterrement du Comte d'Orgaz, huile sur toile, 1586-1588 © Wikimedia Commons

Jolivet ne s’est pas arrêté non plus au jeu subtil des regards de ceux qui assistent au miracle : certains tournés vers la tombe ouverte, d’autres levés vers le ciel. Seuls deux personnages regardent le spectateur : l’enfant du premier plan et l’homme placé juste au-dessus de la tête de saint Etienne, qui sont deux portraits, celui du Greco lui-même et celui de son propre fils.

LE GRECO (1541-1614), L'ENTERREMENT DU COMTE D'ORGAZ, HUILE SUR TOILE (détail), 1586-1588 © WIKIMEDIA COMMONS

Ce que Jolivet a vu dans ce tableau c’est le mouvement irrésistiblement ascendant des ténèbres à la lumière, mais un mouvement qui traverse un étranglement au centre du tableau, une « porte étroite » par laquelle il faut passer, inévitablement.

Dans ce regard du compositeur apparaît la possibilité de la musique ; le regard comme mouvement visuel épouse la musique comme mouvement sonore.

LE GRECO (1541-1614), L'ENTERREMENT DU COMTE D'ORGAZ (détail) HUILE SUR TOILE, 1586-1588 © WIKIMEDIA COMMONS

L’Adagio pour cordes n’est pas un commentaire, une évocation ou une interprétation personnelle de l’image. Il s’agit d’une œuvre autonome née d’une expérience esthétique personnelle qui nous touche parce qu’elle exprime le cœur de toute vie humaine : l’aspiration à la lumière au-delà des ombres de la vie.

Cet Adagio pour cordes peut nous paraître déroutant, en tout cas inattendu par son langage atonal résolument contemporain avec ses alternances de tensions harmoniques et rythmiques et ses détentes mélodiques presque lyriques.

Il faut écouter cette page très dense jusqu’au-delà de sa dernière mesure pour savourer la lumière enfin atteinte, lumière que seul peut traduire le très beau silence auquel nous sommes conduits.

Emmanuel Bellanger

Ajouter un commentaire

Vous pouvez ajouter un commentaire en complétant le formulaire ci-dessous. Le format doit être plain text. Les commentaires sont modérés.

Question: 10 - 5 ?
Your answer:
Emmanuel Bellanger

Après des études au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris et à l’Institut Grégorien, Emmanuel Bellanger a mené une carrière d’organiste comme titulaire de l’orgue de Saint Honoré d’Eylau à Paris, et d’enseignant à l’Institut Catholique de Paris : Institut de Musique Liturgique et Institut des Arts Sacrés (aujourd’hui ISTA) dont il fut successivement élu directeur. Ancien responsable du département de musique au SNPLS de la Conférence des évêques de France, il est actuellement directeur du comité de rédaction de Narthex. Il s’est toujours intéressé à la musique comme un lieu d’expérience sensible que chaque personne, qu’elle se considère comme musicienne ou non, est appelée à vivre.

Recherchez sur le site
Inscrivez-vous à la newsletter