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Narthex - Art Sacré, patrimoine, création.

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La musique, porte du silence

Publié le : 22 Février 2023
La liturgie nous fait entrer dans le grand cycle pascal que nous vivons en deux grands volets articulés autour d’un axe central : le Carême, la Semaine Sainte, le temps pascal qui s’étend jusqu’à la Pentecôte. Traditionnellement, le Carême est une invitation à une forme de dépouillement de bien des encombrements dans nos vies : une belle occasion de retrouver la richesse du silence.

Église abbatiale de Valloires - Grille en fer forgé et grandes orgues ©Wikimedia commons

Les premières personnes qui ont à nous apprendre ce qu’est le silence ne sont-elles pas les musiciens d’abord ? Voici deux œuvres de langage très différent pour ne pas dire opposés, de deux compositeurs qui ont vécu dans les mêmes années, qui n’ont aucun point commun dans l’ordre de l’esthétique et qui, d’une certaine manière, ne sont pas si loin l’un de l’autre.

Le premier est Anton Webern (1883-1945), autrichien, le second est le français Jehan Alain (1911-1940). Leur mort les rapproche tragiquement : le premier a été tué par un soldat américain à la fin de la seconde guerre mondiale par suite d’une méprise dramatique ; le second est mort pour la France devant Saumur au début de la même guerre.

Anton Webern occupe une place très originale dans le monde musical : on pourrait presque le qualifier de musicien du silence. Il était très intéressé par le monde végétal et la vie mystérieuse qui s’y déploie. Sa musique, d’une richesse exceptionnelle, peut surprendre. Elle a beaucoup à nous apprendre sur ce que veut dire ‘écouter’. Suivant la technique d’écriture de son maître Arnold Schönberg, sa musique est pensée et organisée dans le moindre de ses détails : chaque note vient à sa place et ne peut venir qu’à cette place et pas à une autre.

Pourtant, c’est le grand mystère de cette musique, à l’écoute, tout semble parfaitement aléatoire. Nous sommes invités à écouter la musique non pas comme une longue mélodie facile à reconnaître, mais comme une succession d’évènements sonores inattendus dans leurs variations perpétuelles. Une mélodie n’est pas faite que de notes, elle est faite d’abord de timbres qui s’enrichissent les uns les autres au fur et à mesure de leurs enchaînements. Mais surtout, le plus important sans doute, ce sont les silences : cette musique enchâsse les silences, leur donnant un « timbre » particulier : les silences de Webern sont eux aussi du Webern.

Voici les « Cinq pièces pour orchestre » écrites en 1911, l’année de la naissance de Jehan Alain, dont nous parlerons ensuite.

Cette page porte les titres suivants :
Très calme et délicat.
Vif et animé délicatement.
Très lentement et extrêmement calme.
Fluide, extrêmement délicat.
Très fluide.

Jehan Alain (1911-1940) appartient à une famille de musiciens de grande qualité dont la plus connue fut sa jeune sœur Marie-Claire. Fils de l’organiste Albert Alain, Jehan était sur le chemin pour devenir un grand compositeur si la mort ne l’avait fauché si vite.

Le « choral cistercien » pour orgue est de 1934. Il est écrit pour l’orgue de l’ancienne abbaye cistercienne de Valloires dans la Somme, où la famille Alain passait des vacances.
Il s’agit d’une page toute simple, dépouillée à l’extrême, qui nous conduit elle aussi au seuil du silence.

Les deux portées de la partition sont écrites dans la même clé de sol : cela signifie que les deux mains (la droite en haut sur un clavier et la gauche en bas sur un autre clavier) sont dans le même registre, les accords comme enchevêtrés les uns dans les autres. Il n’y a pas d’espace dans cette musique. Peut-on prétendre qu’il y ait mélodie ? Plutôt succession d’harmonies douces, sans rythme vraiment affirmé. Nous est offerte dans cette page transparente une parcelle de temps à vivre et à prolonger dans le silence. Un accord suit le précédent et prépare le suivant, puis encore un accord, un autre encore et ainsi de suite jusqu’au silence final que nous sommes invités à poursuivre et à habiter.

Mais pour qu’il y ait vrai silence, ne fallait-il pas qu’il y eût d’abord de la musique ? Cette page est à écouter, à réentendre, à laisser vibrer dans le silence du souvenir, musique passée et toujours présente…

Emmanuel Bellanger

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Emmanuel Bellanger

Après des études au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris et à l’Institut Grégorien, Emmanuel Bellanger a mené une carrière d’organiste comme titulaire de l’orgue de Saint Honoré d’Eylau à Paris, et d’enseignant à l’Institut Catholique de Paris : Institut de Musique Liturgique et Institut des Arts Sacrés (aujourd’hui ISTA) dont il fut successivement élu directeur. Ancien responsable du département de musique au SNPLS de la Conférence des évêques de France, il est actuellement directeur du comité de rédaction de Narthex. Il s’est toujours intéressé à la musique comme un lieu d’expérience sensible que chaque personne, qu’elle se considère comme musicienne ou non, est appelée à vivre.

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