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Le génie de la peinture, Gérard Garouste à Beaubourg

Publié le : 4 Octobre 2022
A l'occasion de la rétrospective consacrée à Gérard Garouste au Centre Pompidou, Paul-Louis Rinuy nous livre ses réflexions sur cet artiste « antimoderne » de notre temps, dont la peinture au langage puissant et inattendu puise librement dans les sources bibliques et les grandes figures mythologiques, livrant des visions vertigineuses, chemin singulier d'une quête de sens...

Sait-on ce qu’est la peinture ?  Quel est son génie propre ?

L’exposition de plus de cent toiles, souvent de très grandes dimensions, consacrée à Gérard Garouste par le Centre Pompidou invite à poser à nouveau cette question qui anime depuis plus de 40 ans ce peintre né en 1946.

Gérard Garouste, Adhara, 1981, huile sur toile, 253 × 395 cm, Collection Liliane & MichelDurand-Dessert © Adagp, Paris, 2022. Photo © Florian Kleinefenn

Singulier dans le monde de l’art des années 1980 comme il le demeure aujourd’hui, Gérard Garouste fut et reste un « antimoderne ». Il ne cesse d’explorer le monde contemporain et actuel aussi bien que la tradition de la peinture, en se montrant autant  petit-fils de Duchamp et de Picasso qu’héritier de Goya et Tintoret. Le point commun à toutes les figures, par essence contradictoires, de cette grande histoire de la peinture à laquelle le peintre nous confronte est une question de plaisir, de désir, d’énergie vitale.

Peindre, c’est chercher un sens qui s’incarne dans de l’huile, sur des toiles, avec des pigments, des formes, des stridences de couleurs. Dès 1983, avec l’ambitieuse Thérèse d’Avila peinte à l’occasion d’une grande exposition organisée par le Comité national d’art sacré sous la houlette de Renée Moineau, la peinture se révèle pour Garouste affaire de présence, de personnages, de légendes qui tissent des histoires auxquelles le spectateur est invité à croire. Et les tableaux mettent en scène des figures légendaires, issues d’univers littéraires multiples, Dante et sa Divine Comédie, les mythologies antiques, la Bible et l’imaginaire chrétien.

Dans cette même veine, il y eut ensuite en 1996-1997, avec une ampleur nouvelle, l’aventure trop peu connue mais ambitieuse et exemplaire des vitraux de l’église de Talant, tout près de Dijon (voir ici l'article publié sur Narthex). Sur un programme mettant en miroir, selon le principe de la typologie médiévale, l’Ancien et le Nouveau Testament, Garouste sut incarner, dans des alliances de couleur et de formes magnifiquement servies par le maître verrier Alain Parot, Marie-Madeleine, la Samaritaine, Anne, Joachim, Abraham. Toutes ces figures bibliques, et tant d’autres, prennent dans l’espace de cette église chair et corps grâce à ces vitraux de lumières-couleurs. Dans cet ensemble, oublié à l’exposition qui ne peut tout montrer, mon préféré est le vitrail de Jésus ressuscité, un Christ sortant de la mort sans gloriole ni triomphalisme.

Gérard Garouste, La Dive Bacbuc, 1998, acrylique sur toile et structure en fer battu, h. 285 × diam. 752 cm (toile : h. 270 × diam. 600 cm) Collection particulière, France - Photo © Adam Rzepka © Adagp, Paris, 2022

C’est que la peinture de Garouste suscite des émotions, le sourire ou l’inquiétude parfois. Elle intrigue souvent et fait toujours penser. Je songe à la Dive Bacbuc magnifiquement présentée à Beaubourg, où les images dansent en une farandole qui tient du cirque et du théâtre. L’ensemble fait référence à Rabelais et le spectateur se perd dans cette vaste composition qu’il découvre par fragments à travers des oculi, mais l’essentiel est que l’on pressent un sens à deviner, à inventer, derrière l’éclat des figures en  la fête. Et ce sens n’est jamais définitif, ni univoque, ni imposé par le peintre. Garouste a fait sien depuis longtemps le principe de l’interprétation sans fin des textes, fondée sur la manière dont les Juifs ne cessent de commenter, de réinterpréter, de traduire et de méditer la Torah. Garouste explique que Rabelais, justement, « comparait les mots de la Torah à des silex qu’on frotte les uns contre les autres et qui renvoient des étincelles. Ça, c’est une interprétation très juste des mots du texte ».

L’essentiel n’est donc pas dans les références littéraires ou religieuses, dans lesquelles le peintre  nous conduit et nous perd en même temps, mais dans la permanente invention formelle de ses tableaux. Car ces fictions, ces histoires, ces mensonges peut-être, qui animent la toile et séduisent le spectateur, suggèrent dans notre esprit des vérités, ou des croyances,  toujours nouvelles, toujours fragmentaires et singulières.

Gérard Garouste, Le Banquet, 2021, Triptyque (de g. à dr , 1er panneau : Pourim, 2e panneau : Festin d’Esther, 3e panneau : Le Don de la manne) huile sur toile 300 × 270,5 cm chaque panneau, Collection de l’artiste. © Adagp, Paris, 2022. Courtesy Templon, Paris-Brussels-New York. Photo Bertrand Huet-Tutti

L’exposition s’achève avec le triptyque du Banquet et ses ribambelles de personnages, bibliques ou contemporains. Garouste commente cette figuration très personnelle de la fête juive de Pourim et du Don de la manne en soulignant la richesse infinie des interprétations possibles. « Je fais des tableaux qui doivent inviter le spectateur à se questionner », expliquait-il sur France Culture l’an passé, à l’occasion d’une exposition à la galerie Templon,  en dialogue avec Marc-Alain Ouaknin - philosophe et rabbin. « Je n’ai jamais fait confiance à ma tête mais je fais confiance à mes mains. Elles m’ont sauvé. La peinture commence là. »

Et elle s’achève avec cette essentielle leçon que l’on garde en tête en quittant cette foisonnante exposition : « Il faut apprendre à savoir se perdre ».

Paul-Louis Rinuy


Rétrospective « Gérard Garouste » au Centre Pompidou, Place Georges-Pompidou 75004 Paris (Galerie 2, niveau 6)

Jusqu'au 2 janvier 2023

Toutes les informations pratiques sur l'exposition Gérard Garouste en cliquant ici

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Paul-Louis Rinuy

Paul-Louis Rinuy, professeur des universités et directeur du département d’Arts plastiques de l'Université Paris 8, est également Président du Comité artistique de Narthex.

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