Le Livre de la vie, témoignage du temps
Publié le : 27 Mars 2014
« J’aimais beaucoup, quand je jouais avec d’autres fillettes, faire des monastères et nous imaginer religieuses.» (Livre de la vie, Chapitre I, 6)
Issue d’une famille de la noblesse espagnole, Teresa naît à Avila, en Vieille Castille, en 1515. Son père, Alonso Sanchez de Cepeda, avait eu d’un premier mariage deux enfants. Veuf, il se remarie, en 1509, avec Beatriz de Ahumada, qui lui donnera neuf enfants. L’enfance de Teresa se passe donc au milieu d’une vaste fratrie. Plusieurs de ses frères s’embarquent comme conquistadors pour le Pérou, le Chili ou les Indes occidentales.
En effet en 1517, Charles de Habsbourg ou Charles Quint (1500-1558), devient empereur du Saint- Empire Romain Germanique, après avoir pris possession, en 1516, de son royaume de Castille, cœur intellectuel et spirituel d’un empire immense sur lequel le soleil ne se couche pas. C’est alors l’apogée de la monarchie espagnole et sa plus grande extension territoriale en Amérique espagnole. L’Espagne est à l’apogée de son rayonnement culturel qui se poursuivra avec Philippe II. C’est le siècle d’or espagnol.
Au chapitre premier du Livre de la vie, Teresa évoque le projet formé avec son jeune frère Rodrigo « d’aller au pays des Maures, en demandant l’aumône pour l’amour de Dieu, afin qu’on nous y décapite. » L’épisode témoigne de l’esprit de la Reconquista dans des imaginations enfantines.
A l’âge de 13 ans, Teresa perd sa mère : « J’allai tout éplorée devant une statue de Notre-Dame et la suppliai avec force larmes d’être ma mère. » (I, 7) Entourée de nombreux cousins et tentée par une certaine frivolité, elle est envoyée, en 1531, par son père comme pensionnaire au couvent des Augustines. En 1535, elle entre au monastère de l’Incarnation d’Avila, où elle fait profession en 1537; elle y sera religieuse, puis prieure entre 1571 et 1574. Entre temps, elle devient prieure, jusqu’en 1567 du Monastère Saint Joseph d’Avila qu’elle a fondé en 1562, selon la règle primitive. Elle consacre aussi sa vie à ses autres fondations du Carmel réformé et à l’écriture, jusqu’à son décès en 1582.
Thérèse d’Avila est une femme de son siècle, qui rencontre les plus grands théologiens et spirituels de son temps. Elle ressent une grande affinité spirituelle avec la Compagnie de Jésus, dont elle apprécie la faculté de discernement. Elle fait la connaissance de François de Borgia, grand d’Espagne, ayant servi dans l’armée de Charles-Quint, ancien vice-roi de Catalogne, qui entra, étant veuf, chez les Jésuites et devint général de l’ordre en 1565 : « Ce père me fit prendre la voie d’une plus stricte perfection. Pour contenter Dieu, me disait-il, je ne devais rien négliger ; il s’y prenait avec beaucoup de douceur et d’adresse… Il me demanda de confier cela à Dieu pendant quelques jours… » Renonçant ainsi à « certaines amitiés »…j’ai eu le courage de tout quitter pour Dieu. » (XXIV, 5-7)
Elle trace aussi le portrait de Pierre d’Alcantara, « dont la maigreur était si extrême qu’il avait l’air fait de racines d’arbres » (XXVII, 18). « Auteur de petits livres sur l’oraison en castillan, dont on se sert beaucoup aujourd’hui (...), en homme qui l’a beaucoup pratiquée. Il a observé dans toute sa rigueur la règle primitive du bienheureux saint François. » (XXX, 2)
C’est lui qui va l’éclairer sur son oraison et la renforcer dans son projet de fondation du Carmel réformé. Elle s’attriste de sa mort survenue en 1562 : « Et qu’il était grand le courage, celui que sa Majesté a donné à ce saint homme, pour faire pendant quarante sept ans de si âpres pénitences, comme tout le monde le sait ! » Elle déplore que « le monde ne soit plus capable aujourd’hui de souffrir tant de perfection. » (XXVII, 16)
Thérèse a besoin d’appuis solides au sein de l’Eglise et de références qui font autorité, car elle est consciente des risques d’erreur spirituelle et des circonstances politiques. « En ce temps-là, des femmes étaient sujettes à de grandes illusions et à des mensonges que leur avait envoyé le démon, aussi commençai-je à avoir peur... » (XXIII, 2). Il s’agit du courant illuministe des alumbrados à la spiritualité radicale et à la sensibilité exaltée, en rupture avec l’Eglise, et surveillé par l’Inquisition. Elle se démarque aussi des Luthériens, qui paraissent alors une menace contre l’unité religieuse, mais aussi politique du Royaume.
C’est pourquoi l’auteur du Livre de la vie aimerait soumettre son manuscrit à Jean d’Avila, dont la réputation d’ascétisme s’est répandue dans toute l’Espagne : « Je vous supplie, mon père, de corriger (ce que j’ai écrit) et de le faire recopier, au cas où on le porterait au père maître Avila, parce que quelqu’un pourrait reconnaître mon écriture. J’ai grand désir que l’on fasse en sorte qu’il le voie, puisque c’est dans ce dessein que je l’ai entrepris ; s’il juge que je suis en bon chemin, j’en serai très réconfortée » Epilogue.