Moïse : figures d’un prophète au musée d’art et d’histoire du Judaïsme
Publié le : 23 Octobre 2015Dix sections en tout nous éclairent sur la figure de Moïse. C’est sans aucun doute la relation privilégiée de l’homme avec Dieu qui fait de Moïse la préfiguration messianique idéale. Si les religions monothéistes exploitent les épisodes de sa vie pour démontrer leur propre part dans l’Élection divine, elles privilégient ou au contraire écartent certains d’entre eux. Ainsi l’Adoration du veau d’or, le Brisement des Tables de la Loi, ou encore la Manne et le Serpent d’airain, absents chez les juifs, sont très présents chez les chrétiens au Moyen Âge. La première salle expose ces différences à travers un choix d’images de manuscrits médiévaux hébraïques, français et latins. Elle rappelle également que la figure de Moïse appartient au répertoire iconographique juif dès l’Antiquité, ainsi que le montrent les exceptionnelles scènes bibliques des fresques d’une synagogue découvertes en 1920 sur le site de Doura Europos.
Les grandes étapes de la vie de Moise
La seconde section présente un ensemble de mises en images du récit mosaïque, de l’Antiquité aux Temps modernes. L’effort de traduction et d’édition des textes antiques par les humanistes a assuré à l’histoire de Moïse une diffusion et un rayonnement dès le XVIe siècle. Les quelques œuvres éminentes de la période moderne rassemblées dans l’exposition cernent les singularités de l’art dans les mondes juif et chrétien. On y trouve en point d’orgue la représentation de la Révélation, le don de la Loi au Sinaï, moment fondateur des deux cultes.
Les hébraïsants chrétiens : un pont entre deux cultures
L’importance de l’interprétation des sources juives est perceptible jusque dans la physionomie de Moïse, les deux représentations traditionnelles du prophète dans l’art occidental s’expliquant par une divergence de traduction. La Vulgate de saint Jérôme, traduction du texte hébreu en latin, dote Moïse de cornes une fois descendu du Sinaï : dans Exode 34, 29-30, qaran [rayonnante], devient cornuta [cornue], sous sa plume. Le célèbre Moïse de Michel-Ange pour le tombeau du pape Jules II est fidèle à cette leçon. En revanche, la Bible des Septante pourvoit le prophète de rayons lumineux, parti qu’adopte Philippe de Champaigne.
Moïse figure du Christ : l’héritage judéo-grec
Cette partie examine la permanence de l’allégorisme biblique développé par l’historien juif hellénisé Philon d’Alexandrie dans sa Vie de Moïse, traduite en latin dès le XVe siècle, puis en langues vernaculaires au XVIe siècle. Moïse devient l’idéal du roi-philosophe, du grand-prêtre, du législateur et du prophète. Cette interprétation exceptionnelle est adaptée par les Pères de l’Église qui voient en Moïse la préfiguration la plus accomplie du Christ et dans ses miracles l’annonce des sacrements de l’Église. Elle motive une grande partie des commandes artistiques de la Contre-Réforme : décors de couvents, tableaux de dévotion et de méditation privés. Un ensemble d’œuvres de Giulio Romano et Charles Le Brun montre les racines judéo-grecques de cette approche de la Bible, ainsi que sa survivance tant dans l’art protestant que dans la production catholique : la Manne y préfigure l’Eucharistie et le Serpent d’airain la Crucifixion, selon diverses astuces plastiques.
La figure du chef élu
Propagée par les Pères de l’Église, la pensée de Philon inspire nombre de traités politico-religieux et de manuels d’éducation des souverains, au premier rang desquels figure le célèbre Prince de Nicolas Machiavel. Des œuvres d’après Michel-Ange, Nicolas Poussin, et Charles Le Brun, toutes destinées à des puissants tels que les papes, Richelieu ou Colbert témoignent de l'étroitesse des rapports des hommes d'État européens avec Moïse. Le prophète semble alors une caution de leur autorité temporelle qui se réclame aussi d’une élection divine exprimée dans les épisodes du Buisson ardent, du don de la Loi et de Moïse présentant le Décalogue que privilégient les puissants dans leurs commandes.
La figure du libérateur
Moïse n’est pas seulement le prophète et le législateur des Hébreux, il est avant tout leur libérateur. En butte à l’hostilité des catholiques, les protestants se sont fréquemment assimilés au peuple élu persécuté afin de légitimer leur résistance. Le « prophétisme protestant » a ainsi un fort impact sur l’art des nations gagnées par la Réforme. Ce phénomène est plus rare dans les pays où le catholicisme s’est maintenu comme religion majoritaire, telle la France, où les destructions occasionnées par la révocation de l'édit de Nantes expliquent la rareté des œuvres huguenotes du XVIIe siècle. L’exposition montre néanmoins le cas exceptionnel d’une approche protestante de l’histoire de Moïse exaltant le rôle libérateur du prophète. Il s’agit du cycle peint par le protestant Sébastien Bourdon et tissé à Aubusson, d’après ses compositions, pour le baron de Vauvert, un gentilhomme huguenot reconnu pour son action protectrice envers les protestants du Languedoc.
Moïse dans la tradition iconographique juive
L’image de Moïse portant les Tables de la Loi imprègne la culture des communautés juives d’Europe occidentale, chez les élites comme dans les foyers modestes. Objets de culte et images accrochés aux murs des maisons et des synagogues témoignent des formes de cette présence. Incarnation de la Loi, intercesseur élu et modèle d’humilité, Moïse est une figure dont on aime se sentir proche afin de bénéficier de ses vertus.
Le grand émancipateur
Au tournant du XXe siècle, l’émergence du sionisme s’accompagne d’une effervescence artistique juive. Moïse devient la figure tutélaire de cette quête nationale et identitaire. Le corps même de Moïse, son incarnation plastique dans les œuvres des artistes juifs du début du XXe siècle devient le symbole de cette nouvelle ère du peuple d'Israël. Boris Schatz va réaliser un cycle d’œuvres autour de la figure du prophète. Il est l’un des premiers, avec Ephraim Moses Lilien, à associer visuellement Moïse et Theodor Herzl, « Moïse moderne » considéré comme la réincarnation emblématique du prophète. Cette identification deviendra un lieu commun des arts visuels juifs au début du XXe siècle et cette iconographie aura une importance considérable sur la diffusion et la promotion du sionisme. Ce transfert visuel et symbolique s’exprime avec force dans le Moïse regarde la Terre promise avant sa mort de Lesser Ury.
Le Moïse prophétique de Reuven Rubin et Marc Chagall
Empruntant les traits de l’artiste, le Moïse de Reuven Rubin, totalement dénudé – variation radicale sur les sandales ôtées devant le Buisson ardent – évoque la rencontre avec une nouvelle terre, une nouvelle identité et un nouveau Dieu dont la présence « enflamme » littéralement le prophète. Celui-ci reçoit en son sein le feu créateur, libérateur et régénérant. Cette re-naissance est une expérience intérieure, une méditation sur l’acte même de création. Marc Chagall, qui a croisé la route de Reuven Rubin en Palestine, propose une vision à la portée universelle, qui fait dialoguer l’esprit prophétique de Moïse et celui du Christ.
Face à face : portrait de l’artiste en Moïse
Moïse est le prophète qui a vu Dieu et dialogué avec Lui, qui a fait l’expérience de l’Ineffable puis est redescendu en témoigner auprès des hommes ; prophète bègue il est avant tout un homme du geste et de la vision. Les artistes en font donc une figure tutélaire et l’associent à leurs interrogations sur l’essence et les possibilités de leur pratique artistique, dans un processus de projection et d’identification. Le Portrait de Michel-Ange en Moïse par Federico Zuccari montre de façon flagrante cette identification de l’artiste à Moïse.
Informations pratiques :
Moïse : Figures d'un prophète
Du 14 octobre 2015 au 21 février 2016
Musée d’art et d’histoire du Judaïsme
Hôtel de Saint-Aignan
71, rue du Temple
75003 Paris
Horaires d’ouverture de l’exposition
Lundi, mardi, jeudi, vendredi de 11 h à 18 h
Mercredi de 11 h à 21 h
Dimanche de 10 h à 19 h
Informations complémentaires :
www.mahj.org
01 53 01 86 65
info@mahj.org
Tarifs
Exposition plein tarif : 7 € ; tarif réduit : 4,50 €