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Le Saint-Siège à la Biennale de Venise !

Publié le : 20 Août 2015
Le pavillon du Saint-Siège à la 56° Biennale de Venise, la célèbre exposition internationale d’art contemporain, a été dévoilé en avril dernier dans la salle de presse du Saint-Siège. Il s’intitule : « Au commencement... le Verbe s'est fait chair », une affirmation essentielle de l’Evangile selon saint Jean, qui a joué un très grand rôle dans l’histoire de l’Eglise et de la théologie et qui a suscité des milliers de questions et de débats. C’est la deuxième fois que le Saint-Siège est représenté à la Biennale de Venise, considérée comme une des plus anciennes et prestigieuses manifestations artistiques en Europe. Le P. Michel Brière vous propose de partir à la découverte de l'édition 2015.

Noir profond et velouté, camaïeu de gris froids et métalliques, une grande photo en noir et blanc me regarde intensément. Deux yeux au centre de l’image, découpés par un trou dans une surface de verre brisé, genre pare-brise de voiture abandonnée. Un autre morceau de visage à côté, la bouche, le nez, un œil dans l’ombre. Ce sont des enfants, je crois. Ils me regardent à travers cette cassure de l’image assimilée à la texture du verre. La matière glacée et détériorée, atone comme du papier calque, repose sur une base floue. Elle contraste avec la fraîcheur chaleureuse de jeunes visages. Un fragment de vie et d’ombre découpé dans un espace de mort trop clair. Plane et profonde à la fois cette image transperce ma surface, mon apparaître, pour me toucher au plus vrai. Autant dénuée d’information documentaire que de rhétorique démonstrative, elle trouve son équilibre entre esthétique et représentation. On se croirait à mi-chemin entre les séductions d’un Sebastião Salgado et la crudité de Walker Evans  présenté dans l’enceinte de la même exposition. Car je m’attarde sur cette photographie de Mario Macilau, "Raining days" dans le pavillon du Vatican à la 56° Biennale d’art contemporain de Venise.

Mario Macilau, Raining days © P. Michel Brière

Vous avez bien lu : « Pavillon du Vatican à la 56° Biennale d’art contemporain de Venise. » Et c’est une récidive. Oui, c’est la deuxième fois que le Saint-Siège est représenté à la Biennale de Venise. Car il faut parler du "Saint Siège" dont le Vatican n’est que la résidence administrative.

Pavillon du Saint-Siège © P. MICHEL BRIÈRE

En 2013, lors de la précédente édition, j’avais découvert dans les vastes bâtiments de l’Arsenal, un trio d’œuvres tout à fait à sa place et en même temps légèrement décalé dans la longue théorie des pavillons nationaux. Trois artistes, trois médiums : une installation multimédia interactive par le Studio Azzurro de Milan ; des photographies de Josef Koudelka et enfin, de précieux tableaux de Lawrence Carroll, représenté en France par la galerie Karsten Greve.

Josef Koudelka © P. MICHEL BRIÈRE

Mêlant de la cire à des matériaux pauvres comme des vieux papiers ou des fragments de toiles, il peint souvent sur bois et y colle ou agrafe des bouts de tissus trouvés, des fleurs fanées, fragiles et humbles, en ne s’éloignant guère de la blancheur laiteuse ou ivoirine. Aucune photographie ne peut rendre la richesse des textures, une peau dense et lumineuse à la fois. Trois artistes, trois médiums dans trois espaces délimités par des cloisons, comme les trois parties d’une dissertation appliquée : Création, Dé-création, Recréation, sur le thème des premiers chapitres de la Genèse.

Lawrence Caroll © P. MICHEL BRIÈRE

Mieux qu’un coup de com’, un projet

On peut inscrire l’origine du projet dans la belle continuité des papes, attentifs à maintenir sans cesse et même à renouveler le dialogue avec le monde de l’art. Après l’analyse de Paul VI et sa reconnaissance d’une responsabilité de l’Eglise dans l’écart creusé entre le monde l’art et l’Eglise,  en 1999 Jean-Paul II a adressé une longue Lettre aux artistes qui demeure et demeurera un texte de référence. Benoît XVI en a célébré le dixième anniversaire dans la chapelle Sixtine, entre autres pour souligner que « l’art sous toutes ses formes peut prendre une valeur religieuse et devenir un parcours de profonde réflexion intérieure et de spiritualité. » Et citant Georges Braque, que « l’art est fait pour troubler, quand la science rassure."  Enfin c’est à l’instigation du cardinal Gianfranco Ravasi, président du Conseil pontifical pour la culture, qu’est née l’idée d’un pavillon du Saint-Siège à la Biennale de Venise. Les organisateurs de la Biennale ont accueilli le projet très favorablement.

L’art sous toutes ses formes peut prendre une valeur religieuse et devenir un parcours de profonde réflexion intérieure et de spiritualité. » Benoit XVI.

Un comité d’experts a été constitué : Sandro Barbagallo, journaliste à L’Osservatore Romano, spécialiste d’art contemporain, le P. Andrea Dall’Asta, directeur des musées diocésains de Milan et de Bologne, Francesca Buranelli et Pasquale Iacobone, deux membres du Conseil pontifical pour la culture, et Micol Forti, directrice de la collection d’art contemporain des musées du Vatican et commissaire de l’exposition. Il a fallu trouver des sponsors, plus nombreux cette année, pour financer un pavillon dont le coût s’élève à 400 000 €. D’aucuns se réjouissent d’une opération de communication intéressante, d’autres se moquent d’une Eglise qui s’abaisse bien bas. On se scandalise d’une telle dépense. Un autre enfin, Jean de Loisy, actuel directeur du Palais de Tokyo, regrettait : « Il aurait fallu une exposition bien plus radicale, qui nous brûle, nous bouleverse. » Micol Forti, lui a répondu : « Patience, ce n’est qu’une première étape. Il faudra nous juger sur la durée. »

Mieux qu’un dialogue, un échange

On attendait donc cette seconde participation. D’emblée, le projet énonce le rapport fécond entre la foi et l’art, ainsi qu’une confiance dans le dialogue. « L’Eglise croit fermement dans le rapport fécond entre foi et art…/… et il ne s’agit pas pour l’Eglise d’adopter le comportement des princes de la Renaissance. » a affirmé le cardinal Ravasi. « Nous sommes ici dans un désir de dialogue, de communication, exactement comme les autres pavillons. Nous misons sur un esprit de respect réciproque et nous sommes là avec humilité » a ajouté le président du Conseil pontifical de la Culture, jeune institution fondée par Jean-Paul II en 1997 « afin d’aider l’Eglise à vivre l’échange salvifique où l’inculturation de l’Evangile va de pair avec l’évangélisation des cultures. »  Car ce qui sauve, c’est un échange. Ainsi parmi les pavillons nationaux de l’une des plus anciennes et prestigieuses manifestations artistiques en Europe, le pavillon du Vatican veut donner à expérimenter "un échange salvifique’’ entre l’Evangile et l’art. Un échange où l’on éprouve combien la foi en Jésus-Christ peut éclairer et nourrir l’art en même temps que l’art peut, par la mise en œuvres de ses intuitions inspirées, émouvoir ma connaissance de l’Evangile, me rendre la Parole plus intime et plus sensible.

Elpida Hadzi-Vasileva © P. MICHEL BRIÈRE

Or, ce deuxième pavillon, dans le prolongement de la première participation, développe le thème du commencement, passant du récit biblique de la Genèse sur la Création, au Nouveau Testament : « Au commencement… le Verbe se fait chair. » De nouveau, trois artistes présentent leur travail. Evidemment, les artistes de ce "pavillon national" n’en ont pas la nationalité ! C’est la diversité des provenances, intercontinentales, qui manifeste la catholicité. Et leur jeunesse m’apparaît, à l’instar des représentations du Christ dans les catacombes romaines, emblématique d’une Eglise habitée par la dynamique créative de l’Esprit Saint. Monika Bravo, colombienne de naissance, Elpida Hadzi-Vasileva, originaire de Macédoine, pour une installation monumentale dont le « tissu », presque une peau, a été réalisé avec du matériel organique résiduel; et enfin, le photographe trentenaire, Mário Macilau dont j’admirai le travail.

J’apprends dans le catalogue que la série de neuf photos en noir et blanc réalisées à Maputo, capitale du Mozambique où il est né, est « dédiée aux enfants des rues qui doivent dès leur enfance affronter la vie pour survivre. » Comme une authentique œuvre d’art, ces photos ne constituent ni un reportage ni l’illustration du thème. Elles échappent de leur cadre au regard de ceux qui les prennent en considération pour imprégner leur mémoire. Chacune met en branle une énergie où tous les duos d’opposés trouvent une harmonie poétique capable de nourrir, d’activer et de stimuler la réflexion. En une méditation que je vis aux confins de la prière.

Maro Macilau, Stairs of shadow © P. MICHEL BRIÈRE

Mieux qu’un loisir ou un manifeste, un appel au Mystère

Ces trois jeunes artistes occupent encore trois espaces, bien raisonnablement agencés, mais moins hermétiquement contraints par la définition d’un argumentaire théorique. La qualité de leur travail rend leur participation évidente, en même temps qu’on peut trouver la proposition légèrement décalée. Un décalage bénéfique, analogue à mes yeux à celui des disciples du Christ qui sont "dans le monde" sans être "du monde", parce qu'ils sont envoyés dans le monde sans lui appartenir. (Cf. Jn. 17,14-18)

Certes, l’Esprit Saint ne réside pas à demeure dans le Pavillon du Saint Siège ; il traverse de nombreuses autres œuvres. Mais il est heureux qu’au nom de l’Eglise universelle le modeste Etat du Vatican donne à en éprouver le souffle créateur et propose au monde de discerner en l’art, bien mieux qu’un loisir de luxe ou un manifeste idéologique : selon le propos de saint Jean-Paul II, un « appel au Mystère. »

P. Michel Brière, au service du Monde de l’art, Paris et aumônier des Beaux-arts.

On peut trouver les commentaires du P. Brière sur l’ensemble de la Biennale de Venise, sur la page Facebook de « L’âme de l’art » : https://www.facebook.com/lamedelart

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