L’avenir du patrimoine culturel syrien
Publié le : 4 Novembre 2016Combien de participants étaient réunis à Berlin ?
Pierre Leriche: Cent-cinquante participants environ. Des archéologues, des historiens, des spécialistes de littérature ou de musique et tous les membres de la Direction Générale des Antiquités et des Musées de Syrie (DGAMS) y compris les personnalités de l’opposition.
Quelle était l’enjeu de cette réunion ?
Le but était de rappeler les principes généraux de l’action que nous devrions mener sur le patrimoine syrien. L’objectif était à la suite de la première réunion de ce type qui avait eu lieu en 2015 au siège de l’UNESCO à Paris, de mobiliser la communauté de personnes intéressées par ce patrimoine. Les ateliers ont permis de nous rencontrer, de travailler, d’échanger et surtout de maintenir le contact avec la Direction Générale des Antiquités et des Musées de Syrie et les administrations syriennes pour faire en sorte que le maximum soit fait pour la préservation du patrimoine.
Quels thèmes ont été abordés ?
Une séance plénière portait sur l’état de conservation du patrimoine monumental mobilier et immatériel. Une seconde session évoquait plusieurs thématiques que sont les communautés locales, la documentation, les archives, l’évaluation des dommages, les technologies et innovation ; les activités et renforcement des capacités et les besoins à venir ainsi que la préparation des plans de conservation futurs : villes, sites archéologiques, musées, etc. Les participants se déplaçaient de salle en salle pour pouvoir intervenir dans chacun des thèmes discutés par salle.
Ces consultations ont-elles permis de déboucher sur des avancées ?
Il n’y a pas eu de décisions majeures puisque la guerre est toujours présente. Tant que les gouvernements camperont sur leur position actuelle, il n’y aura pas de paix. Une prochaine réunion sera indispensable le jour où il y aura une vraie perspective d’arrêt des combats.
Vous deviez évaluer les dommages causés aux sites du patrimoine culturel. Peut-on dresser un inventaire ?
Les grands sites archéologiques : Mari, Palmyre, Europos-Doura ou Apamée, tout comme les moins connus, sont très endommagés. Ils ont été pillés, surtout par les habitants qui se sont fournis en détecteurs de métaux. Les monnaies sont les objets qui se vendent le plus. La photographie aérienne d’Apamée nous montre ainsi de nombreux cratères dûs aux pillages.
Pourra-t-on reconstruire certains sites archéologiques ?
Je ne sais pas si reconstruire à l’identique sera possible. Prenons l’exemple des temples de Bêl et de Baalchamin à Palmyre. Nous sommes assez documentés : ainsi la porte du temple de Bêl a justement été reconstruite grandeur nature à Londres et à New-York avec une imprimante 3D (avec beaucoup d’imperfections cependant). Mais nous avons suffisamment de moyens pour pouvoir reconstruire ce qui a été détruit avec ce qui est authentique en faisant peut-être quelques ajouts si nécessaires. Les trois-quarts des blocs sont encore intacts. On pourrait les remettre en place. Nous aurons alors une ruine incomplète plutôt qu’un bâtiment complet jusqu’au couronnement. Nous pourrons aussi installer des photographies et des maquettes à côté. Prenons aussi l’exemple de bouddhas géants de Bâmyian (Afghanistan), ils ne sont toujours pas reconstruits. Or les Indiens avaient promis de les reconstruire, mais la guerre continue, hélas.
Quelles actions faudra-t-il mettre en place pour préserver le patrimoine ?
Une fois les sites déminés, il faudra mettre en place un système de sécurité pour arrêter le pillage, puis réaliser l’inventaire de la situation. Parallèlement, nous procèderons à la consolidation d’urgence des monuments en danger imminent c’est-à-dire intervenir sur tous ceux qui risquent de s’écrouler. Il va y avoir par la suite la liste « de ce qu’il sera possible » de faire. Cela devra se faire absolument en coopération entre les États et la Direction générale des Antiquités et des Musées. Une direction qui devra avoir la maîtrise des opérations. Par ailleurs, la recherche de mécènes sera indispensable. Il faudra trouver des fonds car la Syrie ne sera pas en état de financer des projets.
Comment procéder ?
Nous devrons mobiliser des experts dans le domaine de la préservation : des architectes et des spécialistes des bâtiments puis établir des stratégies site par site.
Par ailleurs, il faut dès maintenant aider la Direction Générale des Antiquités et des Musées de Syrie à réaliser l’inventaire de tout ce qui existe déjà dans ses archives. En Syrie, une mission archéologique se doit de remettre à la fin d’une fouille tous les objets trouvés à la DGAMS. Les archéologues remplissent un cahier de fouilles au fur et à mesure des fouilles. La copie carbone du cahier est conservée ainsi aux archives de la DGAMS.
Grâce aux archives, un travail d’inventaire se prépare pour connaître le nombre d’œuvres pillées…
Un travail de gestion administrative est nécessaire pour vérifier ce qui existe et ce qui n’existe pas dans ces archives et sur le terrain. Le nombre d’œuvres volés est gigantesque. Des centaines de milliers d’œuvres ont été pillés : des monnaies, des sculptures, des statues, des fragments de peintures et même des mosaïques.
La question du pillage et du trafic illicite d’œuvres d’art a-t-elle été abordée lors de cette réunion ?
L’industrie du faux est un phénomène qui existait avant la guerre mais qui s’est fortement développée. Je pense que le meilleur moyen est de tarir le marché des antiquités en l’inondant de bonnes copies (comme en Italie ou en Grèce, par exemple. Cette activité doit être encouragée car la production d’antiquités est insuffisante pour nourrir un tel marché. Et il est évident que les originaux doivent rester dans le pays. Sur le plan international, Interpol intervient pour les œuvres pillées et confisque de nombreuses œuvres. Quant à L’International Council of Museums (ICOM), elle a des listes auxquelles les professionnels doivent se référer.
La Direction Générale des Antiquités et des Musées de Syrie semble avoir un rôle très important ?
C’est elle qu’il faut absolument soutenir financièrement pour lui donner les moyens d’agir. En ce moment, elle ne peut pas vraiment intervenir mais elle travaille sur les archives et le matériel et forme ses cadres. Elle a aussi effectué un gros travail en transférant tous les objets des musées de Palmyre, de Deir ez Zor et des musées du Nord et en les mettant à l’abri au secret.
Quel avenir pour le patrimoine culturel syrien ?
Le tourisme est une ressource importante pour la Syrie. Il faudra inciter les voyageurs à retourner sur le terrain. C’est un drame épouvantable sur lequel nous devons nous mobiliser. Ce patrimoine est la richesse de la Syrie, mais aussi le nôtre. Il faut absolument faire en sorte qu’il soit remis en valeur, mais l’avenir est d’ores et déjà préparé.
Propos recueillis par Elise Delanoë, chargée de communication à l'Oeuvre d'Orient.