Stabat Mater (1/2)
Publié le : 6 Mars 2017
La séquence « Stabat Mater » est due au franciscain italien Jacopone da Todi (1236-1306). S’y laisse percevoir une forme de dévotion en évolution qui laisse davantage la place aux sentiments. La prière à la Vierge Marie en déploration en est un exemple impressionnant qui ne pouvait qu’inspirer peintres et musiciens :
Debout, la mère des douleurs se tenait en larmes près de la croix où pendait son fils.
Parmi les nombreux compositeurs qui se sont affrontés à ce texte, en voici deux que nous présenterons le premier dans cet article et le second dans le prochain : nous sont proposées une lecture postromantique et une lecture contemporaine.
LE STABAT MATER D’ANTON DVORAK
1876-1879 sont des années importantes dans la vie d’Anton Dvorak (1841-1904), heureuses et dramatiques à la fois. Sa notoriété commence à franchir les frontières tchèques jusqu’en Amérique, mais en ces années meurent trois de ses enfants en bas âge : lumière et deuils, confiance et violence nourrissent les pages de son Stabat Mater créé à Prague le 23 décembre 1880, c’est-à-dire deux jours avant Noël, ce qui en dit long sur son état d’esprit.
Ecrit pour grand orchestre symphonique, chœur et quatre solistes, le Stabat Mater de Dvorak se présente comme une vaste symphonie en dix mouvements qui suivent strophe après strophe la séquence. Nous écouterons le n° 3 de la partition sur le texte suivant :
Eia Mater, fons amoris Ô Mère, source d’amour,
Me sentire vim doloris Faites-moi sentir la violence de vos douleurs
fac ut tecum lugeam. Afin que je pleure avec vous.
Que nous apporte la musique ? En quoi nourrit-elle la vie du musicien ? Qu’apporte-t-elle aux auditeurs ? En quoi les associe-t-elle à la démarche du compositeur et au-delà à une expérience spirituelle ?
Le texte lui-même est déjà mouvement musical dans son rythme presque lancinant à la longue avec ses strophes de trois vers, deux de huit syllabes conclues par un de sept, le tout repris vingt fois : cette structure poétique met irrésistiblement l’auditeur en marche presque physiquement. La contemplation n’est pas immobilité figée, le mouvement n’est pas agitation désordonnée. Comment ne pas se sentir en marche alors qu’on n’a pas bougé ? C’est exactement ce qu’exprime Dvorak dans ces pages de son Stabat Mater.
L’ensemble de ce troisième mouvement est une marche funèbre lancée dès la première mesure par les instruments graves violoncelles, contrebasses et bassons. La silhouette rythmique de ce dessin initial épouse le mouvement traditionnel de la marche : ce rythme caractéristique (croche pointée-double croche) est présent tout au long du mouvement, nous nous trouvons ainsi emportés comme malgré nous dans cette prière.
La dynamique générale de cette page est plutôt de niveau moyen ce qui donne plus de force à l’impératif Fac répété trois fois, FAITES que je pleure avec vous sur un unisson du chœur qui accentue encore la violence de l’appel. Cette violence sonore nous révèle ce qui habite profondément le compositeur et qu’il ne peut dire autrement : il ne s’agit pas de simplement pleurer avec Marie au pied de la Croix mais de chercher sens et espérance à nos propres souffrances, celles du compositeur et de toute l’humanité.
Ecoutez comment est traité le mot lugeam avec sa belle vocalise aux soprani prolongée par les alti : la musique pleure.
Le volet central est comme une psalmodie sur des unissons du chœur alors que la marche funèbre poursuit sa route à l’orchestre.
Le troisième volet est une reprise du premier différemment développé pour conduire au paroxysme de la fin sur Fac…fac…fac….
Liturgique disions-nous en ouverture : il est clair qu’une telle œuvre ne peut être pensée comme telle, mais elle en est nourrie avec une dimension incarnée qui lui donne encore davantage de force.