Aldo Ciccolini: la lyrique pianistique
Publié le : 9 Février 2015
Ce coucher de soleil à Champrosay nous en apprend davantage sur celui qui l’a peint, Eugène Delacroix, que sur le pays représenté. Il en est toujours ainsi de toute œuvre d’art, à fortiori lorsqu’il s’agit de musique. Le soir tombe sur une campagne légèrement vallonnée, la pénombre envahit déjà le fond du tableau que divisent des tranches colorées fortement contrastées : le sol au premier plan et le ciel aux riches harmonies encadrent la forêt presque noire. Tout est prêt pour le chant d’un nocturne improvisé, comme le faisait Chopin à Nohant, offert à quelques amis choisis comme Delacroix.
Avez-vous remarqué ? Chopin n’a jamais donné de titres descriptifs à ses œuvres : Etudes, Préludes, Valses, Mazurkas, Polonaises... La musique ne décrit pas, elle chante en chacun de nous, elle nous introduit dans sa propre durée, elle transfigure notre propre chant intérieur ou le fait naître tout simplement.
Ce Nocturne en ut # mineur que nous offre Aldo Ciccolini est un modèle du genre tel que l’a pratiqué Frédéric Chopin : sur un accompagnement régulier et discret de la main gauche se déploie librement et souplement une mélodie étendue progressivement à l’ensemble du clavier. A la rigueur rythmique de la basse s’oppose la flexibilité lyrique du dessus. On entend là comme un écho du goût de Chopin pour le bel canto d’un Bellini par exemple.
Joué par un pianiste napolitain, cette musique s’éclaire d’une chaude lumière. Le genre appelé Nocturne ne signifie pas musique de la nuit, sombre, inquiétante, cauchemardesque, mais musique intérieure, chant de l’âme, paix du soir. La pénombre de la nuit n’exclut pas le surgissement d’une lueur même ténue : écoutez la fin de ce Nocturne posthume de Chopin et la douce lumière à peine suggérée par le changement de couleur tonale des derniers accords.
La pénombre lumineuse, comment dire cela ? Veille dans la nuit, attente du jour, espérance jamais éteinte :
Or, du fond de la nuit, nous témoignons encore
De la splendeur du jour et de tous ses présents.
Si nous ne dormons pas c’est pour guetter l’aurore
Qui prouvera qu’enfin nous vivons au présent.
Robert Desnos