«Je donnerais toute mon œuvre pour une conversation»
Publié le : 20 Juin 2013« Je donnerais toute mon œuvre pour une conversation »...
Cette phrase de Giacometti, c’est un autre sculpteur, Emmanuel Saulnier, qui m’en a fait comprendre la portée cardinale. Je songe à ALTER, œuvre de verre, d’eau et d’encre, présentée en ce moment dans la Collégiale Saint-Mexme de Chinon. Deux corps abstraits de verre, l’un transparent, l’autre noirci d’encre, positionnés au sol tête-bêche, que deux balanciers de verre emplis d’eau mettent en tension. Rien que du verre soufflé, de l’encre, de l’eau. Une présence, affirmée dans le murmure.
Par essence, par vocation, la sculpture est un partage. Plus encore, la sculpture de commande. Les nombreux allers-retours d’un projet, les vicissitudes de sa mise en œuvre, les rencontres qui rendent possible sa réalisation, tout cela se vit au fil du temps comme un travail partagé, qui s’enrichit des apports successifs de chacun.
Ici, la commande de la ville de Chinon est venue croiser une invention, d’abord célibataire, d’Emmanuel Saulnier. La pièce n’était alors faite que d’un seul corps, transparent. Le projet de la Ville de Chinon, né en 1997 en réponse à la demande d’un particulier, consistait à trouver les moyens plastiques pour témoigner aujourd’hui du massacre de la communauté juive en 1321, dont il ne reste que des traces faibles ou inexistantes. La sculpture, passant par des phases diverses, des interrogations, des difficultés, des incompréhensions, mit dix ans à se concrétiser, de 2003 à 2013, changea de forme comme de lieu et quitta finalement la place publique choisie au départ, pour trouver maintenant son ancrage en la collégiale Saint-Mexme, avant qu’elle rejoigne le musée, en 2014. Toute une aventure partagée à plusieurs, avec ses aléas et ses découvertes, ses risques et ses difficultés, se vécut au fil des années.
Maintenant, dans cette sculpture de silence, de quoi s’agit-il, si ce n’est de la manifestation possible d’une mémoire enfouie, d’un Autre, d’un passé violent et déchirant que nous pouvons évoquer par la seule émotion d’un échange réel, d’une vraie conversation, les uns avec les autres ? « En un temps de détresse », si nous osons qualifier notre époque avec les mots qu’employait vers 1800, Hölderlin dans son élégie Pain et vin, que découvrir dans cette œuvre fragile, qu’il faudra soigneusement entretenir, notamment pour vérifier régulièrement son niveau d’eau? Deux corps abstraits, deux simples lignes de verre, deux balanciers en suspens, l’un de transparence et l’autre d’encre noircie. Allongés au sol de notre quotidien.
Ces présences ne tirent leur mystère, leur vie, que l’une de l’autre. L’art ne cesse de susciter en nous le désir de l’Autre. ALTER, nous murmure Emmanuel Saulnier.
Paul-Louis Rinuy
Le 20 juin 2013
ALTER, commande de la ville de Chinon dans la cadre de l’opération Nouveaux Commanditaires, de la Fondation de France, a été installée en juin 2013 dans la collégiale Saint-Mexme de Chinon où elle sera présentée jusqu’au 29 septembre 2013. Cette commande est née d’une initiative du docteur Benjamin Dushvani, habitant de Paris, accompagné dans sa démarche par Etienne Degraeve, habitant de Chinon. |
Ces vitraux à la Matisse font-ils partie de l'œuvre ALTER ?
Si non, de quel artiste sont-ils?