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Le non-savoir dans « Couplets du même, faits sur une extase de haute contemplation » de Jean de la Croix

Publié le : 21 Novembre 2013
Le dépassement de tout savoir humain dans l’expérience mystique est le thème de ce poème et constitue le refrain de ses huit couplets.

La 1ère strophe évoque le contenu de cette expérience : découverte de l’inconnu, compréhension de grandes choses, impossibilité à en rendre compte.

Les conditions sont suggérées dans la 2ème strophe : quiétude, solitude, révélation secrète, directe et ineffable.

La 3ème strophe décrit l’extase comme un ravissement, un transport, une dépossession de soi, de tout sentir et de toute intellectualité.

Cette expérience inédite est généralisée à la 4ème strophe en une connaissance qui transcende l’homme.

Elle est illustrée au 5ème couplet par l’image du vol de l’oiseau qui, à mesure qu’il monte dans les airs, pénètre dans une ténébreuse nuée : le savoir sublime dépasse toujours l’entendement humain. En effet ce savoir suprême est si élevé qu’aucune argumentation intellectuelle ou théologique ne le cernera jamais.

L’orgueil humain sera toujours abaissé : strophes 6 et 7.

Enfin la dernière strophe nous révèle les caractères de cette « souveraine science (qui) consiste en un très haut sentir de la toute divine essence», don gracieux à l’homme:


Je suis entré où ne savais
Et je suis resté ne sachant
Toute science dépassant.

 

Moi je n’ai pas su où j’entrais,
Même lorsqu’en cet endroit me vis
Sans savoir où je me trouvais
De grandes choses j’ai compris ;
Point ne dirai ce qu’ai senti,
Car je suis resté ne sachant,
Toute science dépassant.

 

De piété, de quiétude
C’était là science parfaite,
Au profond d’une solitude
Une voie entendue directe ;
C’était là chose si secrète
Que suis resté balbutiant,
Toute science dépassant.

 

J’étais en tel ravissement,
Si absorbé, si transporté,
Qu’est demeuré mon sentiment
De tout sentir dépossédé,
Ainsi que mon esprit doué
D’un comprendre non comprenant,
Toute science dépassant.

 

Qui en ce lieu parvient vraiment,
De soi-même a perdu le sens,
Ce qu’il savait auparavant
Tout cela lui semble ignorance,
Et tant augmente sa science
Qu’il en demeure ne sachant,
Toute science dépassant.

 

D’autant plus haut il est monté
Et d’autant moins il a compris
Quelle ténébreuse nuée
Peu à peu éclairait la nuit ;
Ainsi qui savoir en a pris
Demeure toujours ne sachant,
Toute science dépassant.

 

Il est ce non-savoir sachant
Chargé d’un si puissant pouvoir
Que les sages argumentant
N’en tireront jamais victoire, car il ne peut, tout leur savoir,
Ne point comprendre en comprenant,
Toute science dépassant.

 

Et une si haute excellence
Est en ce suprême savoir,
Que ni faculté ni science
De le défier n’a pouvoir ;
Qui de soi tirera victoire
Avec un non-savoir sachant,
Il ira toujours dépassant.

 

Et  si vous désirez l’ouïr,
Cette souveraine science
Consiste en un très haut sentir
De la toute divine essence ;
C’est une œuvre de sa clémence
Faire rester ne comprenant,
Toute science dépassant.


L’explication 17 du Cantique spirituel nous éclaire sur ce non-savoir : « Parce que ce breuvage de très haute sagesse de Dieu, que l’âme a bu alors, lui fait oublier toutes les choses du monde, et il semble à l’âme que ce qu’elle savait avant était pure ignorance en comparaison de ce savoir, et cette déification et cette élévation de l’esprit en Dieu où elle est comme ravie, absorbée en amour, toute transformée en Dieu… »
Ce non-savoir est déjà celui de l’Epouse dans le Cantique des Cantiques, où, après avoir dit son union avec son ami, elle dit ce mot : « Nescivi » : « Je n’ai pas su » ou « J’ai ignoré ».

 

Vittore CARPACCIO, La Vision de Saint Augustin (détail) -1502- San Giorgio degli Schiavoni, Venise

Denys l’Aréopagite, à la fin du IVème siècle, distingue trois modes d’approche de Dieu liés entre eux. La théologie affirmative affirme que « Dieu est » par les Ecritures, la philosophie, le symbole. La théologie négative nie ce que l’on peut dire de Dieu, car Il est toujours au-delà. La théologie mystique fait la synthèse de ces deux approches : la négation renforce l’affirmation.

« Arrivé à ce stade de la connaissance par l’inconnaissance de la Ténèbre divine, au-delà des perceptions sensibles et des opérations intellectuelles, se produit l’expérience mystique de l’extase : la sortie de soi et l’union à Dieu dans le silence, et la divinisation de l’homme. »

L’humaniste Nicolas de Cues publie en 1440 « La docte ignorance », où il montre toute la distance entre l’Infini de Dieu et la finitude de l’homme. Cependant pour Jean de la Croix, Dieu vient chercher l’homme dans son néant et l’élève à Lui : « L’épouse dit dans cette chanson (CS 36), qu’après être entrée au plus profond dans cette sagesse et ces épreuves, tous deux vont connaître les hauts mystères de Dieu fait homme, qui sont les plus hauts en sagesse et les plus cachés en Dieu, qu’ils y entreront, l’âme s’y noyant et s’y perdant, et qu’elle et l’époux jouiront et goûteront la saveur que cause leur connaissance. »

 

Jan VERMEULEN, Vanité, Musée des Beaux-Arts, Nantes
Laurence Pasteau
Laurence Pasteau a écrit :
21/11/2013 18:34

Captivant car ce texte est tellement en prise sur notre époque rationaliste , orgueilleuse et athėe . Il faudrait l'aire connaître ce poème avec ton excellente explication. L'année derniēre lors de notre séjour à Venise nous avons pu admirer l'œuvre de Carpaccio. Bravo pour ton texte.

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Martine Petrini-Poli

Martine Petrini-Poli, professeur de lettres (titulaire du CAPES et du Doctorat de 3ème cycle) en classes préparatoires HEC au Lycée de Chartreux et à l’Ecole des Avocats de Lyon (EDA), rédactrice à Espace prépas, Ellipses et Studyrama. Responsable de la Pastorale du Tourisme (PRTL 71).

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