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La musicalité de la langue castillane dans les poèmes de Jean de la Croix

Publié le : 18 Décembre 2013
Autrefois la poésie était chantée et organisée comme la musique avec une certaine arithmétique qui était connue et appréciée. En effet, une poésie est une chanson, les mots chantent. Il faut certes penser au sens, mais aussi écouter les mots résonner entre eux.

La métrique est l’ensemble des principes constitutifs du vers (mètre ou mesure du vers, rythme et rime). Or la métrique espagnole présente des caractéristiques spécifiques bien différentes des règles françaises.

Le poète catalan Juan Boscan (1490-1550) introduisit en Espagne les formes et mètres italiens de l’hendécasyllabe et Garcilaso de la Vega importa aussi d’Italie en Espagne une strophe, la « lira », dite « castillane ». C’est la strophe de l’Arte mayor la plus utilisée par Jean de la Croix.


Ainsi commencent les Chansons entre l’Ame et l’Epoux (Canciones entre el Alma y el Esposo) ou Cantique spirituel, composées de 39 liras :

Esposa                                                             
Epouse

Adonde te escondiste                                     
Mais où t’es-tu caché

amado y me dejaste con gemido ?                  
me laissant gémissante mon ami ?

Como el ciervo huiste                                     
Après m’avoir blessée

habiendome herido                                          
tel le cerf tu as fui,

sali tras ti clamando, y eras ido.                     
sortant j’ai crié, tu étais parti.

La strophe, la lira, est ici constituée de cinq vers ou quintils: un heptasyllabe, un hendécasyllabe, deux heptasyllabes et un hendécasyllabe, soit 7/11/7/7/11/. C’est donc le choix d’un vers impair en 7 et 11 syllabes, « plus vague et plus soluble dans l’air » (Verlaine), dont la métrique alternée apporte d’emblée un sentiment de décalage, une légère tension.

La « lira », avec cette métrique impaire, compose aussi le poème de Jean de la Croix, La Nuit obscure ou Chansons de l’âme qui se réjouit d’avoir atteint le haut état de perfection qui est l’union avec Dieu, par le chemin de la négation spirituelle. Cette fois-ci, nous trouvons 8 liras de quintils. Or la traduction classique du père Cyprien de la Nativité de 1641, rééditée en 1941 avec une préface du poète Paul Valéry, a transformé la strophe originale en une strophe régulière de six octosyllabes, dissipant, selon Ancet,  « la tension entre vers longs et vers brefs. »

En effet le rythme est un élément fondamental dans la poésie espagnole. L’accent de la versification espagnole modifie le rythme du vers. La versification se soucie plutôt de maintenir le rythme, quitte à modifier le nombre de syllabes. La structure rythmique exige que l’accent porte sur l’avant-dernière syllabe : (-) (‘-) (-). Ce qui frappe, d’emblée, dans cette écriture de Jean de la Croix, ce sont les échos sonores par la rime presque unique en « a » et les nombreuses rimes intérieures :


A oscuras, y segura,                                                     
Dans l’obscur et très sûre

por la secreta escala disfrazada,                                
Par la secrète échelle déguisée

oh dichosa ventura                                                    
Oh joyeuse aventure

a oscuras y en celada,                                                
Dans l’obscur et cachée

estando ya mi casa sosegada.                                    
Quand ma maison fut enfin apaisée.


Ainsi se crée une musique vocalique, parfois adoucie par les nasales. Un jeu sonore s’instaure entre le « a » dominant et le « o » plus ténu de « noche » qui éclate à la 5ème strophe en trois interjections « oh noche »: 

           
O nuit qui as conduit,
Nuit plus aimable que l’aube levée

O nuit qui as uni
L’ami avec l’aimée

L’aimée en l’ami même transformée.     

                  
Une troisième forme de liras castillanes se trouve dans le poème Flamme d’amour vive, Canciones del alma : 4 liras formées de sizains.

Domenico ZAMPIERI, dit Le Dominiquin, Le roi David jouant de la harpe (détail), vers 1620, Huile sur toile 241X171cm, Château de Versailles.

On est ainsi frappé, dans l’ensemble des poèmes de Jean de la Croix, par la variété des formes strophiques et poétiques : lira, cancion, couplets (copla) ou gloses (glosa), cantar, versillos, letrillas, romance… La Glose en style divin (a la divino), composée d’octosyllabes,  comporte un refrain développé par les vers suivants. Chacun des trois couplets de 9 vers reprend à la fin un des trois vers du refrain :


Sans appui et avec appui,

Sans lumière en l’obscur vivant,

Tout entier me vais consumant.


Le refrain peut être aussi une simple reprise du troisième vers du tercet initial à la fin de chacune des huit strophes comme dans Coplas del mismo ou Couplets du même faits sur une extase de très haute contemplation :


Je suis entré où ne savais

Et je suis resté ne sachant,

Toute science dépassant

 

Ainsi le refrain exprime l’essence du poème.

Dans Autres couplets du même en style divin, le refrain des 4 octains aux dominantes vocaliques et nasales « Que le di a la caza alcance » (Que de ma proie fit la capture)  est précédé d’un vers où se répète le son « tan alto » (si haut) avec une légère variété formelle. La virtuosité du poète est telle qu’il choisit toujours la forme poétique la plus adaptée à son sujet.

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Martine Petrini-Poli

Martine Petrini-Poli, professeur de lettres (titulaire du CAPES et du Doctorat de 3ème cycle) en classes préparatoires HEC au Lycée de Chartreux et à l’Ecole des Avocats de Lyon (EDA), rédactrice à Espace prépas, Ellipses et Studyrama. Responsable de la Pastorale du Tourisme (PRTL 71).

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