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L’image de la caverne : néoplatonisme de Jean de la Croix ?

Publié le : 10 Septembre 2013
Revenant sur l'allégorie de la caverne de Platon, Martine Petrini-Poli montre, dans ce dernier article, l'inspiration de Jean de la Croix pour cette dernière.

L’image de la caverne fait penser à l’allégorie de Platon, théorie de la connaissance exposée dans le Livre VII du Dialogue de la République : des hommes enchaînés dans une caverne tournent le dos à un feu qui projette sur la paroi l’ombre d’objets qu’ils prennent pour la réalité-même. Il est douloureux pour eux d’être contraints à regarder le feu, mais aveuglés, ils ne reconnaissent pas encore leur erreur. Seul y parvient celui qui  sort de la caverne, en suivant un chemin escarpé, et contemple le soleil, il admet alors l’existence de réalités supérieures. Mais s’il retourne dans la caverne, ébloui par les ténèbres, instruire ses compagnons, il en est la risée. : « Eh bien, mon cher Glaucon, c’est là l’image complète de cette vie terrestre : la prison, c’est le monde sensible où nous vivons ; le feu qui l’éclaire, c’est la lumière du soleil ; ce prisonnier qui monte pour aller contempler la région supérieure, c’est l’âme s’élevant jusqu’au monde intelligible. »  L’allégorie de la caverne est ainsi un mythe d’ascension spirituelle vers le monde des Idées, du Beau, du Bien, du Vrai, symbolisé par le soleil. Denys l’Aréopagite reprend cette théorie de la contemplation platonicienne pour la christianiser, comme le fera plus tard l’humaniste Marsile Ficin, en fondant l’Académie platonicienne.

 

Théophane le grec, Denys l’Aréopagite, - 1378- fresque, Eglise de la Transfiguration, rue Ilyina, Novgorod, Russie -

 

Il semble qu’il y ait un point commun entre le mythe de Platon et le vide des sens et de l’esprit opéré dans la Nuit obscure de Jean de la Croix. Cet arrachement au sensible est douloureux à l’âme encore emprisonnée dans son corps. On note un jeu de mots grec dans le Gorgias de Platon entre sôma, le corps, et sêma, la prison : le corps est la prison de l’âme,  ce que l’on retrouve chez Jean de la Croix dans l’Explication 8 du Cantique spirituel : « l’âme doit forcément éprouver un grand tourment, car la vie naturelle lui est comme une mort, puisqu’elle la prive de la vie spirituelle dans laquelle elle emploie tout son être… » De même, la division de l’âme, chez le poète, en sentido et spiritu (sensation et esprit) est d’origine platonicienne :

O torches de lumière,

Dans vos vives lueurs

Les profondes cavernes du sentir

Aveugle, obscur naguère,

Par d’étranges faveurs,

Chaleur, clarté à l’ami font sentir.          Flamme d’amour vive, strophe 3

 

« Les cavernes du sentir sont les puissances de l’âme : la mémoire, l’entendement et la volonté, lesquelles sont d’autant plus profondes qu’elles sont plus capables de grands biens- vu qu’elles ne se remplissent qu’avec rien moins que l’infini. »

Nous observons ainsi que la caverne, dans les poèmes de Jean de la Croix, prend un sens positif : on ne sort pas de la caverne, on y entre en présence de l’Aimé, car elle recèle tous les trésors divins ; le Christ est «comme une mine abondante, aux maintes cavités pleines de trésors, et on aura beau l’explorer, on n’en trouvera jamais le fond ni le terme, mais, au contraire, de nouvelles veines aux nouvelles richesses ici ou là.» CS, Explication 36

Aux cavernes élevées

De la pierre ensuite nous monterons,

Qui sont si bien cachées,

Et nous y entrerons

Et le jus des grenades y goûterons.                         CS, Chanson 36

 

Les « cavernes élevées » sont « les hauts mystères, élevés et profonds en sagesse de Dieu qu’il y a dans le Christ…C’est donc dans ces creux que l’âme désire pénétrer pour s’absorber, s’enivrer et se transformer dans l’amour de leur connaissance, en se cachant dans le sein de son ami » (CS Explication 36). « Et elle (l’âme) ne dit pas : « Moi seule y entrerai », mais « nous y entrerons », c’est-à-dire elle et l’ami, pour donner à entendre que cette œuvre, ce n’est pas elle qui l’accomplit, mais l’époux avec elle ».

Ainsi la caverne des lions évoque, lors des épousailles spirituelles, les vertus déjà possédées par l’âme entrée en perfection, que protège «l’époux fort comme un lion» contre les assauts du mal :

Notre couche fleurie

De cavernes de lions entrelacée,

Tout de pourpre nourrie,

De paix édifiée,

D’écus dorés par milliers couronnée.                              CS, Chanson 15

 

L’image de la caverne englobe certes, chez Jean de la Croix, une théorie néoplatonicienne de la connaissance : l’âme doit dépasser les apparences trompeuses, se détacher des biens illusoires de ce monde pour tendre vers un au-delà où elle atteindra sa plénitude dans l’unique contemplation de la lumière divine. Cependant la métaphore s’enrichit de sens annexes, christologiques : la caverne est aussi cette mine inépuisable des mystères divins ou la demeure du lion, emblème  de la royauté céleste.

 

Prophète Elie dans le désert - fin XVème siècle- 97X73cm, Icône d’Elijah, Musée d’Art Yaroslavl, Russie - Sources wikimédia
 

« Certains théologiens pensent que notre Père Elie a vu Dieu dans ce sifflement délicat qu’il a senti sur la montagne, à l’entrée de sa grotte. » Cantique spirituel, Explication 14

 

Martine Petrini-Poli

10 septembre 2013

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Martine Petrini-Poli

Martine Petrini-Poli, professeur de lettres (titulaire du CAPES et du Doctorat de 3ème cycle) en classes préparatoires HEC au Lycée de Chartreux et à l’Ecole des Avocats de Lyon (EDA), rédactrice à Espace prépas, Ellipses et Studyrama. Responsable de la Pastorale du Tourisme (PRTL 71).

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