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Narthex - Art Sacré, patrimoine, création.

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L'art roman

Publié le : 29 Juin 2009
L'apparition de l'art roman selon Elie Faure

 

Moissac. Le cloître. 

 

     L'église en croix sortit des vieilles basiliques, raide et drue, élevant avec effort vers le ciel ses deux tours trapues vibrantes de cloches et que le vent n'ébranlait pas. Si le lourd berceau qui pesait sur la nef centrale n'écrasait pas ses supports, c'est qu'on chargeait les autre nefs de voûtes longitudinales calées sur d'énormes murs et supprimant les vides où la fenêtre eût pu s'ouvrir. Plus s'étendait la nef, plus s'épaississaient les murailles et plus s'épaississait la nuit dans le sanctuaire barbouillé de rouge et de bleu où les courts piliers peints semblaient porter, sur leurs chapiteaux entamés de formes grossières, le formidable poids d'un ciel plein de regards qui jugent et de portes fermées sur les paradis entrevus. C'était comme un monstre accroupi dont l'échine, trop pesante, rampait sur des pattes épaisses. Même quand le soleil faisait craquer le sol au centre des cloîtres silencieux qui découpent un carré d'ombre dans la lumière du Midi, le froid tombait de la voûte. De ces formes ramassées, de ces façades nettes où le plein cintre positif s'ouvrait entre des colonnes massives, une force nue rayonnait, affirmant l'élégance austère, brutale et catégorique d'une caste en possession d'un pouvoir indiscuté. C'était l'image exacte d'un catholicisme fixé, l'autorité des conciles assise sur le roc. Aucune échappée sur la vie, l'âme seule a droit à la vie à condition de ne jamais franchir le cercle continu de pierre où le dogme la maintient. Rome a cimenté la pensée de saint Paul dans la matière des églises.

 

Saulieu. Fuite en Egypte. 

 

     Quand la morale intransigeante de ce monde rigide, habillé de bure et de fer, voulut quitter les pages des manuscrits et la chaire des temples pour montrer à la multitude son visage symbolisé, quand les quatre animaux des Evangiles consentirent à laisser croître à côté d'eux un monde neuf de formes animées qui descendit le long des colonnes, s'échappa jusqu'aux tympans des portes, envahit leurs linteaux, saint Bernard fut le seul à s'apercevoir qu'une ère allait prendre fin. Les moines ne pouvaient plus fermer leurs yeux que le jour avait effleurés. Puisque la vie pénétrait le dogme, c'en était fait, fallût-il encore quelques siècles pour la désagréger, de la masse compacte et fermée du christianisme doctrinaire. Il avait beau ouvrir l'enfer, faire ramper sur la pierre de raides monstres dévorants, déchaîner d'horribles batailles entre les vertus absolues et les vices irréductibles, diviser le monde en vérités et en erreurs définitives, la vie, pauvre et meurtrie, mais peu à peu envahissante, introduisait lentement ses passages subtils entre ces entités morales pour les animer et les unir.

 

 

Moissac. Saint Paul.

 

     Le moine sculpteur des églises romanes, le théologien armé du ciseau ne pouvait évidemment découvrir tout d'abord, dans cet univers fermé depuis dix siècles, que de sèches images, une maigre nature émaciée, comprimée, souffrante comme lui. De longues et plates figures qui tentaient, dans un tragique effort, de briser la gangue byzantine, se plaquaient aux façades neuves, exprimant mécaniquement un symbolisme arrêté. Ceux qui seuls, à ce moment-là, gardaient le droit d'exprimer la forme et la vie, étaient précisément les héritiers et les dépositaires de mille années théologiques qui n'avaient cessé de voir et de condamner, dans la forme et la vie, de méprisables apparences. Le peuple, écrasé depuis le même temps entre l'invasion matérielle des barbares et l'invasion morale du christianisme, s'était abandonné, dans l'espoir promis d'une vie future, aux hasards de la vie présente et ne trouvait plus, quand il fuyait la dévastation des campagnes, que le refuge intérieur des sentiments surnaturels.

 

Autun. Fuite en Egypte. 

 

     Mais malgré tout, et contre l'existence et contre l'idéal qu'ils avaient acceptés, les moines artistes exprimaient, dans ces sculptures primitives qui envahissaient les porches des églises d'une foule de plus en plus drue, les premiers tressaillements des besoins de leur époque. Une force singulière y montait très vite, en végétations serrées de formes frustes où circulait quelque chose de la savoureuse énergie qui soulevait aux mêmes siècles la pierre travaillée des pyramides dravidiennes et des temples cambodgiens. Un rythme sourd, un rythme lourd et vigoureux comme celui qui pousse hors du sol, par bourgeonnements épais, la marée printanière, parcourait ces figures rudes, ces têtes et ces corps à peine équarris qui se levaient d'un mouvement. Une grâce puissante, un charme candide et robuste hésitaient dans la pierre même. Des plans drus définissaient les mouvements élémentaires qui inclinent la face vers la face et tendent la main vers la main, comme pour obéir à la musique silencieuse qui groupe les nombres en constructions et en figures selon l'apparence sommaire, mais essentielle, qui les révèle à notre émoi. Expression fruste, mais ardente, rencontre dramatique du symbolisme chrétien à sa plus haute tension et du réalisme populaire à sa plus innocente aurore. La poitrine du monde se dilatait avec lenteur, d'un effort irrésistible qui devait briser son armure.

 

Souillac. Isaïe. 

 

Elie Faure, Histoire de l'art, L'art médiéval, "le christianisme et la commune", Gallimard, Folio Essais, 1988, p.234-238.

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