Le graduel Locus iste pour la dédicace d’une église nous fait entrer dans ce qu’est, au-delà des apparences, une cathédrale pour les chrétiens :
Ce lieu a été créé par Dieu,
Un mystère inestimable,
Au-delà de tout reproche.
En 1869, Anton BRUCNER (1824 – 1896) a composé sur ce texte un motet à l’occasion de la consécration d’une chapelle située dans la cathédrale de Linz, ville autrichienne où il avait été organiste.
L’envol mélodique jusqu’à la note la plus aigüe de l’œuvre (un SOL) sur les mots a Deo – par Dieu oriente la contemplation vers ce qui ne se voit pas : ce qui donne vie à ce lieu, ce ne sont pas les volumes, les vitraux, les matériaux, les formes ou les statues, mais l’assemblée des diocésains réunis autour de leur Evêque, signe à travers eux et au milieu d’eux de la Présence de ce Dieu qu’ils sont venus louer et supplier.
La méditation musicale sur irreprehensibilis – irréprochable approfondit ce mot en le répétant plusieurs fois dans une descente en imitations chromatiques aboutissant à un pianissimo presque inaudible, comme pour laisser s’enraciner au plus profond de l’auditeur cette réalité du mystère de la cathédrale.
La conclusion sur la reprise du mot a Deo, longuement étiré, éclaire ce texte d’une lumière certes discrète mais pénétrante.
L’architecture est l’art des volumes comme chacun sait, mais c’est d’abord, comme toute œuvre d’art, la trace d’un geste créateur. La cathédrale déployée de Créteil en est une image lumineuse. Les architectes se sont inspirés d’une image toute simple mais d’une extraordinaire richesse humaine et symbolique : deux mains jointes pour la prière comme nous les montre Albrecht Dürer :
A l’image des paumes de ces deux mains, deux coques de 64 arcs en épicéa revêtues de bois de douglas, se rejoignent, mais elles ne ferment pas l’espace. Elles s’ouvrent en un grand arc-en-ciel qu’illuminent les vitraux de Udo Zembok.
C’est de l’extrémité des doigts que vient la lumière, comme un don reçu d’En-Haut pour éclairer tout l’espace et lui donner la vie : le geste orant devenu geste architectural est transfiguré en un geste de lumière.
En 1960 Olivier MESSIAEN (1908 – 1992) composa son Verset pour la fête de la Dédicace. Cette pièce assez brève pour orgue est constituée d’une succession d’épisodes bien contrastés : une monodie (c’est-à-dire une simple mélodie sans accompagnement) à la manière d’un plain-chant liturgique transfiguré par le langage personnel du compositeur, des chants d’oiseaux (Messiaen s’est inspiré ici de la grive musicienne), un grand crescendo central comme une imploration, puis après la reprise de tous ces éléments, une conclusion apaisée dans une « douce vocalise d’extase ».
Ainsi Messiaen traduit-il en geste musical la vie de la cathédrale où respire la prière des chrétiens dans ses multiples fonctions : la louange, l’exubérance, la joie, la peine, la supplication, l’apaisement : vidéo ici.
Emmanuel Bellanger