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Sublime Apocalypse. Une méditation pour accompagner et prolonger l’exposition Apocalypse. Hier et demain.

Tout au long de la très riche exposition « Apocalypse, hier et demain », que propose, jusqu’au 8 juin 2025, la BnF Paris (site François Mitterrand) se déploient de nombreux imaginaires, dont le triptyque d’Anne Imhof est l’image-emblème d’un phénomène qui engloutit tout mais nous apporte l’or des nuées.
Publié le 06 mai 2025
Écrit par Sylvie Bethmont-Gallerand

Le jeune homme aux cheveux de feu contemple trois panneaux peints et joints –  un triptyque aux couleurs de magma et de nuées ardentes. Bien que cet ensemble puisse évoquer un retable, cette œuvre n’orne pas un autel d’église mais est accrochée aux cimaises de l’exposition « Apocalypse, hier et demain » [ cliquez ici] (Fig.).

Fig. Vue d‘exposition : Embrasé par l’œuvre d’Anne Imhof (Sans titre 2022), huile sur toile imprimée, (270x 980 cm), Pinault Coll. Paris Inv. E09192 © photo SB

Née du talent de l’artiste allemande (née en 1978 à Giessen), elle  nous attire et nous inquiète à la fois. 

Ces nuages noirs, rouges et or, sont ceux de photographies collées sur la toile et recouvertes de peinture à l’huile. 

En utilisant l’huile – le médium par excellence de la grande peinture – Anne Imhoff    s’approprie ce réel et donne, au moyen de son travail de peintre classique, une ampleur que renforce la forme « Triptyque ». Elle nous place face à la terrible beauté qui accompagne les images des catastrophes naturelles, (venues du fond des temps mais accélérées par l’action de l’homme, en d’autres termes : conséquences de l’anthropocène), tout autant qu’elle provoque en nous le souvenir des désastres véhiculés par les actualités filmées et photographiées.  Que ceux-ci soient accidentels, ou nés des conflits armés, voire du terrorisme.  

La mort au galop

Nous avons été habitués au spectacle quasi-quotidien, dans les médias, des catastrophes naturelles, par exemple des incendies (parfois liés à un acte volontaire) en toutes saisons. 

L’action de la nature, où l’homme n’intervient pas, nous offre le spectacle de   éruptions dont chacun a vu (au moins en photo) le panache de fumée et, dévalant les flancs des volcans, les nuées ardentes formées de coulée et de nuages pyroclastiques. Ces sont ces « nuées ardentes » qui ont englouti les habitants de Pompéi et d’Herculanum (lors de l’éruption en 79 de n.è.). Les volcanologues Katia et Maurice Krafft, les ont étudiées et filmées jusqu’au bout de leur existence. Ils sont morts dans une coulée pyroclastique le 3 juin 1991 au Japon lors de l’éruption du mont Unzen.

Cette terrible beauté naturelle nous attire et nous repousse, de même que celle engendrée par les images de catastrophes provoquées par l’homme. Parmi les exemples quotidiennement déversés par les actualités, nous avons pu être fascinés par ce que l’on ne peut que nommer « le spectacle » de l’attaque des Twin Towers de New York, le  11 septembre 2001. Spectaculaire en effet étaient les flammes dévorant ces tours jumelles, suivies de leur effondrement et du nuage de poussières toxiques, terrible nuage qui s’est alors déversé, s’engouffrant dans les rues de New York. 

Effroyables sont les beautés de la mort au galop qui appellent la comparaison avec la vélocité du cheval pâle de l’Apocalypse suivi par l’Hadès : « celui qui le montait se nomme la Mort, et le séjour des morts l’accompagnait » (Ap 6, 7-8).

Le sublime :  une effroyable beauté 

Forgée par la réalité photographique (du déjà-vu) – mais conduite au-delà par le geste du peintre (du jamais vu) – l’œuvre d’Anne Imhoff est séduisante et belle dans son éclatement de couleurs d’une richesse inouïe. Mais nous ne savons comment nommer ce trop-plein de beauté qui nous saisit

Les philosophes, depuis l’Antiquité (le pseudo-Longin), jusqu’aux pré- romantiques au XVIIIe siècle – Edmund Burke (1720-1797) et Emmanuel Kant (1724-1804) – ont énoncé une théorie esthétique du sublime. Ils nous disent que le « sublime » se distingue du beau, « dont il est la part obscure, dure et âpre, car il naît de l’épreuve » [cliquez ici]. 

Devant le spectacle du sublime nous sommes saisis du sentiment de notre petitesse, et captés entre peur et émerveillement, alors que la beauté semble être à notre mesure. Mais est-ce si linéaire ? La beauté elle-même est effroyable écrit le philosophe Jean-Louis Chrétien méditant sur le Phèdre de Platon dans son ouvrage L’Effroi du beau [cliquez ici]. Cet auteur nous conduit à nous interroger sur l’expérience de la beauté qui nous fait éprouver « la proximité de l’insaisissable ». Ce qui nous pousse, en retour, « à la louange, à l’élégie, à l’œuvre d’art, à la poésie »… toutes ces inclinaisons de l’âme humaine qui tentent de traduire l’inouï de l’expérience du divin.

Ainsi l’œuvre d’Anne Imhof peut-elle nous conduire, depuis le phénomènes naturels, observés, jusqu’au sentiment du divin, éprouvé. De l’image des nuages à celle des nuées bibliques  qui accompagnent la manifestation de la présence de dieu, la Théophanie

La nuée divine

Dans le premier Testament les références à la nuée abondent. Ainsi le livre de Job, dans son langage poétique, nous décrit les nuages- nuées posés sur l’eau primordiale, entre la terre et le ciel, pour tout envelopper et couvrir. Semblables à des vêtements, ou des langes de nouveaux- nés, ils cachent et révèlent la présence de Dieu : 

« Qui enferma la mer à deux battants/Quand elle sortit du sein bondissante / quand je mis sur elle une nuée pour vêtement/ Et fis des nuage sombres ses langes » (Jb 38,8-9, traduction de la Bible de Jérusalem)

Plus loin dans l’Ecriture nous est décrite la colonne de nuée, « Amoud Anan », qui guide les enfants d’Israël au désert (Ex 13, 21). 

Mais aussi Moïse éprouvant la présence de Dieu : « Et Moïse monta sur la montagne, et la nuée couvrit la montagne. Et la gloire de l’Eternel demeura sur la montagne de Sinaï, et la nuée la couvrit pendant six jours ; et le septième jour Il appela Moïse du milieu de la nuée. Et l’apparence de la gloire de l’Eternel était comme un feu dévorant sur le sommet de la montagne, aux yeux des fils d’Israël. Et Moïse entra au milieu de la nuée, et monta sur la montagne ; et Moïse fut sur la montagne quarante jours et quarante nuits » (Ex. 24, 15-18 ; 19, 9 ; 20 , 21 ; 34, 5). 

Cette nuée qui couvre la montagne pendant six jours et se manifeste à Moïse le septième jour, est une nuée de plénitude. Une nuée qui envahit le Temple lorsque Dieu se manifeste dans le Saint des Saints : « La gloire de ‘Yhwh ‘ s’éleva au-dessus du chérubin, vers le seuil de la maison ; la maison fut remplie de la nuée, et la cour fut remplie de la splendeur de la gloire de Dieu » (Ez 10,4). 

« Personne n’est semblable à moi » (Is 46, 10). 

La nuée dit une présence et une absence. Lors de la Transfiguration du Christ : « Survint une nuée qui les couvrit de son ombre, et de la nuée une voix se fit entendre : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé : écoutez-le ! » (Mc 9, 7). Elle  cache Jésus lors de l’Ascension : une nuée vint le soustraire à leurs yeux « Et comme ils fixaient encore le ciel où Jésus s’en allait, voici que, devant eux, se tenaient deux hommes en vêtements blancs qui leur dirent : « Galiléens, pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? Ce Jésus qui a été enlevé au ciel d’auprès de vous, viendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel. » (Ac 1, 9-11). Jésus est « avant toute chose, et tout subsiste en lui. Il est aussi la tête du corps, la tête de l’Église : c’est lui le commencement, le premier-né d’entre les morts, afin qu’il ait en tout la primauté. Car Dieu a jugé bon qu’habite en lui toute plénitude » (Col 1, 17-19). 

Ce triptyque n’a pas de titre, la nuée ne peut être enfermée. On ne peut la nommer cette nuée que l’on devine expansion jusqu’à nous engloutir. 

Au-dessus des nuages le ciel est d’or semblable aux fonds or des mosaïques byzantines et romaines héritées de l’Antiquité, qui abritent et révèlent la Théophanie, tout en la cachant. Car ce fond or est aniconique. La première abside de Saint-Pierre du Vatican était nommée une chambre ardente (camera fulgens), en premier lieu par les auteurs du le Liber pontificalis [cliquez ici].

Notes

  • Exposition Apocalypse. Hier et demain, site François-Mitterrand – galeries 1 & 2, jusqu’au 8 juin 2025.

Pour aller plus loin

À lire

  • LONGIN (PSEUDO-), Du sublime [1er ou 3ème siècle après J.-C.], trad. J. Pigeaud, Rivages poche, 1993.
  • BURKE, E., Recherche philosophique sur l’origine de nos idées du sublime et du beau [1757-1759], trad. B. Saint Girons, Vrin, 2009.
  • Louis MARIN, « La description du tableau et le sublime en peinture », Communications, 34, 1981. 
  • Mireille MENTRE, Création et Apocalypse, Histoire d’un regard humain sur le divin, 1984, Paris éd. ŒIL.
  • Jean-Louis CHRETIEN, L’Effroi du beau, collection La nuit surveillée, Paris, Cerf, 2008.
  • Pour une lecture critique des choix ayant présidé à cette exposition, voir l’article essentiel de Jérôme COTTIN, « L’Apocalypse dans l’Art à Paris (2025), Une exposition biblique et artistique à la Bibliothèque nationale de France François Mitterrand », site Protestantisme et images.
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