Voir toutes les photos

Le reniement de Saint Pierre

Publié le 30 juin 2025
Écrit par Jeanne Villeneuve

A partir du Moyen-Age, la prière pendant le chemin de croix, devient un acte de dévotion qui symbolise le chemin accompli par Jésus à Jérusalem du Jardin des Oliviers, de son arrestation à Gethsémani par le garde du grand prêtre Caïphe, jusque vers le palais du gouverneur Ponce Pilate où il réaffirme qu’il est le fils de Dieu. Accusé de blasphème, il sera conduit vers le Mont Golgotha, lieu funèbre de sa crucifixion. Ces épisodes seront illustrés par bon nombre d’artistes ou d’artisan : Rembrandt, Ribera, Caravage…
Le reniement de Pierre est alors un des épisodes de la Passion du Christ.
Chacun des quatre Evangiles canoniques rapporte qu’après l’arrestation de Jésus, l’apôtre Pierre, par peur de risquer lui aussi la mort, nia par trois fois le connaître dans une immense lâcheté. Puis lorsque le coq chanta trois fois, Pierre sortit de la salle de jugement et pleura amèrement en se souvenant de la déclaration que le Christ lui avait faite : 

« Avant que le coq chante aujourd’hui, tu m’auras renié trois fois. « (Luc 22, 61-62) 

Dans la biographie de Patrick Marquès, artiste-peintre, expressionniste et humaniste, né en 1951, nous pouvons lire qu’il commence à peindre ses premières toiles dès l’âge de neuf ans, touché par la grâce de sa rencontre avec un autre artiste-peinte, prodigieux dessinateur de Clermont-Ferrand qui s’intéressait beaucoup à l’étude de la physionomie des visages : Christian Sandin (1918-2009).
Ingénieur, diplômé de l’Ecam, puis élève de l’école des Beaux-Arts de Clermont-Ferrand, Patrick Marquès n’a de cesse d’affirmer que tout l’invisible volatile de l’humanité est à peindre, qu’il faudrait même transpercer son » paraître » pour aller au creux abyssal de ce que nous recherchons : Dieu et son insaisissable, inaccessible demeure, tout en essayant de ne pas nous mettre trop à distance de sa Parole.

Cela nécessite donc d’être soi-même dans un état différent d’ouverture vers ces étincelles éphémères ; une condition presque sonore et particulière pour toucher l’immatérialité du divin qui est en chacun de nous et à pouvoir ensuite le transcrire en peinture. 

De façon plus précise, Patrick Marquès apprécie plus particulièrement l’art de peindre les expressions de nos profondes intériorités, en cernant au plus près de ses pinceaux, toute la palette de nos sentiments. Ainsi, tout ce que nous accomplissons dans la vie est souvent guidé par notre conscience plus ou moins claire, par une certaine forme de connaissance qui comporte des éléments affectifs et intuitifs, notre capacité d’apprécier un certain ordre des choses ou de valeurs, et plus généralement notre manière d’entrevoir nos parcours de vie. Le sentiment serait donc quand à lui une prise de conscience de l’état émotionnel qui définirait notre niveau d’humanité. Parfois ces émotions sont si fortes qu’elles peuvent même nous submerger et nous faire perdre nos moyens. Comme c’est le cas ici avec ce Reniement de Saint Pierre, ou la peur qui est un sentiment engendré par l’effroi est saisi dans le vif de sa grandeur sur un visage déformé qui transpire la craindre.

Mais, comment l’artiste a réussi à peindre cet indicible autrement que par le verbe, dans une touche colorée, vive et alerte ?

L’Eglise l’a d’abord décrit par des mots pour concevoir ensuite les moyens de la réflexion théologiques qui tendraient vers une élaboration de plus en plus poussée des définitions dogmatiques. Cependant Patrick Marquès a cherché d’autres voies : l’art et sa recherche seraient pour lui spirituels par essence, résonneraient et rayonneraient vers un invisible que seul l’artiste dans sa contemplation passionnée, fugitive tenterait de saisir en mettant des âmes dans des visages transfigurés, transformés.

C’est un des rares artistes aussi à avoir réussi à conscientiser cette émotion de peur dans des portraits qui s’ouvrent entièrement à la construction de nos propres espaces intérieurs, de nos singuliers schémas mentaux.

Nous le voyons dans cette toile, où Saint Pierre qui après avoir été interrogé, nie connaître le Christ (Mt 26, 69_95) est représenté seul en très gros plan, à la différence des portraits des autres artistes qui ont traité du même sujet et qui ont brossé des scènes religieuses de groupe, tirée d’un quotidien plus prosaïque évoquant des bas-fonds lugubres de quelques villes italiennes (sic Ribera).

Grâce à cette guidance dans cette toile découpée, marouflée sur le mur de l’Eglise de Brignais, Marquès nous entraine dans le domaine des émotions, des sensations, des sentiments, de la douleur, de la peur, de la crainte et du désespoir. 

Nous sommes alors guidé par Marquès dans l’état affectif et subliminal de nos émotions. Voilà aussi pourquoi sa peinture résonne si bien avec le patrimoine religieux de Brignais.

Le portrait de Pierre terrorisé est peint à l’instant précis du troisième reniement, juste après qu’il soit sorti du Palais du gouverneur Pilate et qu’il se mit à pleurer.

Au moment donc où Pierre a renié trois fois Jésus en affirmant haut et fort, devant toute l’assemblée législative et le jugement de Sanhedrin qui l’interroge, qu’il ne connaît pas cet homme ! Les yeux globuleux sont tournés vers l’extérieur et sont en proie à un effroi terrible et invisible, les dents dessinées, laissent apparaitre une mâchoire crispée, les mains de par et d’autre du visage, le soutiennent et l’encadrent comme pour contenir un contour qui ne demanderait qu’à se déliter, les grosses rides du front accusent la crainte du mensonge éhonté, les sourcils froncés et épais grossissent les traits d’un visage tendu vers un tache rouge. Le tout dans une matière picturale, dense épaisse et rustique quasi en monochrome beige. 

Cette seule tache rouge symbolise à elle seule la terrible menace de la mort à venir. Celle du Christ qui va expier en remettant son esprit au Père. 

C’est aussi cet Esprit qui nous conduit à la vérité toute entière : celle de l’amour jaillissant du cœur de Jésus transpercé.  Elle nous autorise à regarder ensemble dans la même prière universelle de l’espérance.

Le peintre est arrivé à fabriquer une nouvelle enveloppe de chair pour y glisser le sentiment de peur assorti de l’émotion d’effroi dans un esprit vital et spirituel, immanent et transcendant. « Le corps est le tombeau de l’âme » disait justement Platon (428-348 avant J.C).

Malgré ce visage qui pourrait faire obstacle à l’âme de Pierre, nous arrivons à contempler sa quête véritable : celui d’un être qui n’aspire pas à l’immortalité mais à l’éternité ; que sa vie terrestre se continue dans l’au-delà par le biais de la transmigration de son âme. Marquès en cela réalise la synthèse entre le corps, l’âme et l’esprit comme on l’a fait dans les premiers temps du christianisme. Ensuite les Méditations métaphysiques de René Descartes (1596-1650) qui avaient pour objectif affiché de démontrer l’existence de Dieu et la distinction réelle entre l’âme et le corps voient le jour afin de récuser les idées de certains libres penseurs selon lesquelles l’âme meurt avec le corps

Devant cette toile du reniement de Saint Pierre, et comme le remarque Georges Vigarello nous sommes au croisement du charnel et du mental mêlant l’immédiateté du corps à l’immédiateté de la conscience. 

La peinture de Marquès est bien une silencieuse promesse qui entraine celui qui la regarde vers un voyage intérieur insidieusement des plus profonds. 

 

Jeanne Villeneuve

Toile de 40 cm X 40 cm, marouflée sur le mur de l’Eglise Saint Clair de Brignais (69) 2021 Station IV sur XIV du Chemin de Croix (Via Crucis) Artiste : Patrick MARQUES

Via Crucis de l’Eglise de Brignais. Œuvre de Patrick Marqués

Une peinture monumentale, contemporaine expressionniste et humaniste. Une matière picturale dynamique, violente et paisible à la fois, dans laquelle s’affrontent et se complètent, une liberté gestuelle profondément contemporaine et l’amour de la peinture classique. Des couleurs étonnamment abstraites au service d’une figuration saisissante, au-delà du réel. Expression de l’être dans les rayonnements insondables de sa chair et de son âme.

Peintures à l’huile sur toile, réalisées en atelier, puis marouflées sur les murs de l’église.

Témoignage de Patrick Marqués sur ses inspirations, à travers quelques stations :

« Je n’aime pas cette œuvre de Patrick Marquès, elle est trop violente et elle ne représente pas un chemin de croix »

J’ai entendu cela quelques fois. Certes, on peut le comprendre car je n’ai peint que des visages, des mains, et une marche d’humanité (dans l’horizontalité de la croix). Alors je respecte ce point de vue qui, pour moi, pose la vraie question du « pourquoi » de la présence de cet incontournable traditionnel chemin de croix qui orne tristement, au premier regard, les murs de nos églises. 

Devoir de mémoire ? de repentance ? Mémorial destiné à la commémoration de cet atroce événement vieux d’environ 2000 ans, qui a marqué l’histoire au point de bouleverser notre calendrier ? Alors on se repasse le film de cette vielle affaire. Merci aux artistes de nous le réexpliquer en image, car il n’y avait pas de camera à l’époque. « Mais de grâce, l’artiste, fait nous une belle description pas trop méchante, qui soit visible pour tous, en famille. Surtout que nous, chrétiens on avance dans la joie vers le triomphe de la résurrection qui nous sauve… Christ est vivant »

Tous les artistes ont ce point commun de ressentir si fortement leurs émotions qu’ils ne peuvent s’en sortir qu’en les disant au monde. Alors voici un témoignage personnel de ma démarche intime à propos de cette œuvre :

« Christ est vivant ». Ce sont justement ces trois mots qui ont guidé mon esprit pendant toute la réalisation de ces peintures, avec, en plus, le Via Crucis de Liszt dans les oreilles en permanence. 

De toute évidence, il ne s’agissait pas, pour moi, de peindre une illustration historique de 20 siècles en arrière, mais de dire combien cette « passion » se réalise aujourd’hui, comme hier et demain, au cœur du mystère de l’universalité et intemporalité du christ « vivant ». N’est-ce pas cela, la vraie raison du chemin de croix dans nos églises, réalisé par des artistes d’aujourd’hui ?  Une invitation à vivre notre propre vie en notre propre chemin, dans une relation intime et vivante avec ce christ qui nous sauve.

Il nous sauve de quoi, au juste ? Et comment ? Je l’ai ressenti en profondeur, seulement après avoir peint ces visages :  Il nous sauve en nous témoignant de son amour infini en traversant, en nous, chaque instant de nos vies, des plus lumineux jusqu’aux plus sombres jusqu’à en mourir sous nos propres coups. Il nous sauve en vivant cette mort ignoble devant nous, parce qu’il marche avec nous, par amour, jusqu’aux profondeurs de nos ténèbres. Il nous sauve par ce témoignage indissociable de celui de sa résurrection qui s’en suit, en nous redisant qu’il est l’amour et qu’il est la vie. « Qui me voit, voit le père » « Qui croit en moi aura la vie éternelle » …

Alors j’ai voulu peindre une œuvre dans laquelle chacun pourra se reconnaitre en chaque visage exprimé, comme devant un autoportrait mental. Chacun regardant une toile, a-t-il conscience que la toile le regarde ? Qui ? Qui ne se reconnaitra pas devant l’angoisse du Christ, le calcul du juge, la trahison de Juda, la souffrance, l’humiliation, la galère de Simon, Les larmes et la puissance de consolation et d’annonce des femmes de Jérusalem, l’ultime conversion du bon larron au bout du rouleau, recevant le pardon par un simple regard, le divin amour maternel de Marie, … Et bien sûr, le reniement de Pierre choisi pour l’illustration de ce texte.

« Pierre ! » Chacun son image mentale des évènements, alors Je l’imagine bien : Un homme fort et courageux, ambitieux… Mais voilà qu’Il s’avère minable face à la peur. Il vient de renier son ami, son maître, en qui il croyait, comme celui-ci le lui avait prédit. Devant le regard croisé de Jésus, triste, tendre et interpellateur, il est alors transpercé de douleur. Il a été tellement minable ! Mais il a tellement peur… Son cœur et son esprit sont comme coincés dans un étau… D’ailleurs s’était-il trompé sur Jésus ? Il commence à douter. L’expression peinte est cette imbrication de mépris de soi, de peur, et de doute. Ce tableau est exceptionnellement petit, à l’image de son ressenti, coincé de part et d’autre entre deux toiles plus grandes représentant le juge du sanhédrin, et la foule en colère réclamant à Pilate la mise à mort de Jésus.

Concernant l’architecture globale de l’œuvre :

Chaque toile est indissociable du tout, dans son expression propre, tel un miroir de nous-même, dans un recoin de notre humanité. Mais chacune est pensée et construite dans son expression, sa couleur, sa forme et son emplacement pour qu’elle contribue à la constitution de l’œuvre monumentale globale, À regarder dans son ensemble.

Le mur de gauche exprime notre condition humaine, que nous traversons avec Jésus. L’expressivité des couleurs et de la touche picturale sont au service de la description de tous les sentiments que nous traversons. La couleur rouge, est la couleur expressive par excellence car elle exprime un très grand nombre de sentiments, qui vont de la haine à l’amour, et, surprenant, même le divin. Raison pour laquelle le rouge est omniprésent en chaque toile.

Le mur de droite est au service de la révélation divine. La distribution des toiles est moins chaotique, plus paisible.

Deux toiles ont une position charnière de grande importance : « Les femmes de Jérusalem » et « la crucifixion »

« Les femmes de Jérusalem » :  dernière toile du mur de gauche. La femme principale, rayonnante de couleurs, consolatrice, la main posée sur l’épaule de la femme rouge en pleurs, telle la main de jésus sur l’épaule de Simon dans le tableau qui précède, semble lui dire : « Ne pleure plus, regarde le mur d’en face, tout prend un sens ».

« La crucifixion » : Première toile du mur de droite. La main n’est plus souffrante, mais devient une main qui annonce. J’ai voulu faire de cette toile la question de la foi, en prolongeant une forme de clou rouge pour la terminer en petite croix jusqu’au fond du ciel : « Où faut-il chercher Dieu ? Dans la main de l’homme ou au fin fond du cosmos ? »

« Le bon larron » : c’est la toile qui suit. Pourquoi parler spécialement aussi de celle-ci ? Parce que j’ai moi-même découvert après l’avoir peinte, que cette toile est la réponse à la question d’avant : La disposition des toiles laisse penser clairement que la main du tableau précédant est la main de cet homme…  « Alors la toile semble chuchoter à l’oreille de notre âme : « regarde cet homme, au plus profond de son regard, avec tout l’amour qui s’ouvre en toi. Alors tu trouveras ce que tu cherches. »

« Marie au pied de la croix avec Jean. » Voici ta mère voici ton fils » Elle est transfigurée par la révélation en plein cœur de qui est son fils. Elle est alors la mère du monde. D’où son visage transfiguré, les mains sur son cœur et son ventre. Elle est rouge car elle revêt tous les sentiments humains.

« Jésus meurt sur la croix » en criant au père dans la verticalité de ce flash lumineux du tableau : « Pourquoi m’as-tu abandonné ». Cette même lumière inonde dans l’horizontalité, la marche de l’humanité. La tête du christ tout en bas de la croix surprend parfois : c’est au moment ou Jésus est au plus bas de la condition humaine, écrasé sous le poid des ténèbres de notre « non-amour », qu’il va révéler sa toute-puissance : la puissance de son amour infini. « Mon royaume n’est pas de ce monde » Comment pourrions-nous comprendre cette révélation sans la passion et la résurrection du Christ ? 

Univers artistique de Patrick Marqués: (quelques phrases choisies dans les recueils de pensées de l’artiste) : 

J’aime la couleur pour elle-même, dans son mystère propre et ses valeurs d’abstraction. Mais mon obsession d’exprimer la figure humaine m’a presque toujours conduit à pousser cette abstraction jusqu’à la figuration ! D’où cette situation permanente de risque à vouloir faire concourir ces deux formes d’expression en un point ultime d’équilibre. 

Mon combat est de peindre la forme, en construisant son environnement sensible, au-delà d’elle-même. Un lieu d’amour entre la forme et l’espace, au cœur du mystère de l’être : Toujours construire et déconstruire, blessant la forme et bousculant la couleur, pour y chercher l’essence de la beauté universelle, dans l’unité du corps et de l’esprit. Dès lors, la frontière entre figuration et abstraction a déjà perdu tout son sens, et puisse ma peinture être libre et vibrante pour être, à chaque instant, recréée par le regard de l’autre… 

Ma peinture n’aura de sens, et ne prendra vie, qu’à la lumière de votre regard. Alors saura-t-elle, en retour, vous offrir la beauté de votre âme ?

La peinture est un rayonnement qui irradie nos cœurs, suscitant en nous un désir créateur. Elle est matière vivante, telle une silencieuse promesse… Promesse de quoi ? Promesse d’un possible…

Peindre l’instant traversé par un souffle de vie. Une mort pour une renaissance. C’est tout le tragique et l’espoir contenu dans l’éphémère…

Je crois que l’art est sans intérêt pour celui qui n’a jamais ressenti dans sa chair le moindre désir de dépasser une barrière de l’insaisissable et de l’inaccessible.

De quel mystère provient cette impression d’universel et d’intemporel devant une œuvre d’art ?

Femme inaccessible… Tes mystères sont les mystères de mes désirs… Je cherche en ma peinture cette densité charnelle et ce rayonnement spirituel qui feront de toi ce que tu es : infiniment belle… 

 

Patrick Marques

Contenus associés
Commentaires
Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

INSCRIPTION NEWSLETTERRecevez quotidiennement nos actualités, les informations des derniers articles mis en ligne et notre sélection des expositions à ne pas rater.