C’est ainsi que le montrent la troisième et quatrième règle : « Je considérerai, comme si j’étais à l’article de la mort, de quelle manière et avec quel soin je voudrais m’être conduit dans l’élection présente; et, me réglant sur ce que je voudrais avoir fait alors, je le ferai fidèlement maintenant (§186). Je considérerai avec attention quelles seront mes pensées au jour du jugement; je me demanderai comment je voudrais avoir délibéré dans l’élection actuelle; et la règle que je voudrais alors avoir suivie est celle que je suivrai à cette heure, afin de me trouver en ce jour dans un entier contentement et dans une grande joie (§187). »
Cette méditation sur la mort remonte à l’Antiquité, qui a développé le thème du « Memento mori » (Souviens-toi que tu es mortel), qui va être christianisé. Le Christianisme reprend l’idée antique de la nécessaire familiarité avec la pensée de la mort et du rappel de son imminence. Cependant, tandis que la poésie épicurienne prône le « carpe diem » (cueille le jour, profite du moment présent), l’Eglise insiste sur l’urgence de la conversion.
Parmi le trésor de Boscoreale découvert en 1895, on a trouvé ce gobelet d’argent avec d’autres pièces d’orfèvrerie romaine du Ier siècle, au moment de l’éruption du Vésuve en 79 après J.-C. « Le décor de ce gobelet illustre la fragilité et la vanité de la condition humaine : réduits en squelettes, poètes et philosophes grecs invitent à jouir de l’instant présent, accompagnés par des maximes épicuriennes gravées en pointillé ».
Le thème de la précarité de la vie humaine s’inscrit aussi dans la tradition médiévale chrétienne des danses macabres. Cependant, il se crée, à partir du XVIe siècle avec le courant baroque de la Contre Réforme, une iconographie symbolique dans la peinture de Vanités, ainsi qu’une poésie religieuse orientée sur les fins dernières et la destinée spirituelle de l’homme. Ainsi dans sa «Madeleine au Désert», Pierre de Saint-Louis, fait parler dans une prosopopée (discours fictif), le crâne d’une morte :
Au pied d’un crucifix, une teste de mort,
Ou de morte plutôt, lui déclare son sort,
Y voyant sur son front, ces paroles écrites,
Qu’avec elle, lecteur, il faut que tu médites :
« Dans les trous de mes yeux, et sur ce crâne ras,
Vois comme je suis morte, et comme tu mourras,
J’avais eu, comme toi, la chevelure blonde,
Les brillants de mes yeux ravissaient tout le monde,
Maintenant je ne suis que ce que tu peux voir,
Sers-toi donc de moi, comme de ton miroir. »
Sur ce portrait sans masque, où tout lui peut paraître,
Elle voit ce qu’elle est, et ce qu’elle doit être,
Et regardant toujours ce têt de trépassé,
Elle voit le futur dans ce présent passé…
( Rousset, 1968, t. II, p. 144)
Tous les thèmes du mouvement baroque sont présents dans ce poème : spectacle de la mort, goût du macabre, image du miroir, écoulement du temps, recherche des antithèses, apostrophe au lecteur, et surtout leçon religieuse qui n’est plus guère perçue aujourd’hui.
En effet, le crâne qui s’offre à la méditation de Marie-Madeleine lui montre la fragilité de la jeunesse, l’aspect éphémère de la beauté féminine et la destinée mortelle de tout être humain. On trouve souvent la présence d’un crâne au pied de la croix dans les tableaux représentant la Crucifixion, car le Golgotha signifie « lieu du crâne ». C’est pourquoi une très ancienne tradition rapporte qu’il s’agirait du crâne d’Adam. Cet aspect certes légendaire veut du moins signifier symboliquement que le Christ est le « Nouvel Adam » venu racheter Adam, le « terreux », archétype du pécheur. La méditation sur le crâne révèle ainsi l’essence-même du Christianisme, mystère de la Mort et de la Rédemption du Christ. C’est pourquoi l’iconographie privilégie la représentation de Marie-Madeleine, pécheresse pardonnée.
Martine Petrini-Poli