La flamme de feu jaillissant du Buisson ardent au cours de l’Exode, les traits de feu du Cantique des Cantiques, le char de feu du prophète Elie, le coeur tout brûlant des pèlerins d’Emmaüs, lorsque le Christ ressuscité leur explique les Ecritures, sont autant d’images bibliques de la manifestation de l’Amour divin. Jean de la Croix, à son tour, recourt à la métaphore du feu.
Le poème Flamme d’amour vive et son commentaire ont été composés au couvent Los Martires de Grenade, lorsque Jean de la Croix était vicaire provincial d’Andalousie. Ils répondaient à une demande d’une de ses filles spirituelles, Dona Ana de Penalosa, devenue veuve de Juan de Guevara à Ségovie en 1579. Elle perdit aussi sa fille unique. Elle possédait de grands biens et était devenue bienfaitrice en 1586 pour le couvent carmélite de Ségovie. A sa demande, le corps du saint sera transféré en 1593 d’Ubeda à Ségovie.
Le poème Flamme d’amour vive est composé de quatre « chansons de l’âme en l’intime communication d’union d’amour de Dieu ». Jean de la Croix s’inspire pour la structure d’un poème de Garcilaso de Vega « la soledad siguiendo ». En espagnol, ces canciones, chants d’amour, présentent quatre sizains, les liras castillanes de six vers hétérométriques, où alternent heptasyllabes et hendécasyllabes 7/7/11/7/7/11. On constate ainsi la prédominance des heptasyllabes, ces vers de sept pieds, qui confèrent au poème un caractère plus léger et doux, à cause de la proximité de leurs rimes. Régulièrement l’hendécasyllabe, le vers de 11 pieds, apporte la touche plus grave. C’est donc un subtil équilibre de douceur et de gravité offert par la forme poétique du cancion. Le style et les sentiments conviennent parfaitement l’un à l’autre.
O flamme d’amour vive
Qui tendrement me blesses
Au centre le plus profond de mon âme,
Toi qui n’es plus rétive,
Si tu le veux bien, laisse,
De ce doux rencontre brise la trame.
O brûlure de miel,
O délicieuse plaie,
O douce main, ô délicat toucher
Qui a goût d’éternel
Et toute dette paie,
Tuant la mort, en vie tu l’as changée.
O torches de lumière,
Dans vos vives lueurs
Les profondes cavernes du sentir
Aveugle, obscur naguère,
Par d’étranges faveurs,
Chaleur, clarté à l’ami font sentir.
O doux et amoureux
Tu t’éveilles en mon sein
Où toi seul en secret as ton séjour,
Ton souffle savoureux
Tout de gloire et de bien,
O délicat, comme il m’emplit d’amour.
L’image centrale du feu chante « l’ardeur et la douceur » de l’amour divin au centre de l’âme. On est frappé par le lyrisme de ce poème, marqué par les nombreux vocatifs, en anaphore, adressés par l’âme à la flamme d’amour : ô flamme, ô brûlure, ô torches de lumière. C’est le feu dans tous ses états : feu-flamme d’amour vive, feu qui cautérise en « brûlure de miel, délicieuse plaie », feu qui illumine par ses « torches de lumière » aux « vives lueurs », feu qui réchauffe « par d’étranges faveurs/ chaleur et clarté à l’ami font sentir. » Ce feu, c’est l’Amour divin, l’Esprit-Saint qui brûle d’un « incendie d’amour » le cœur du mystique.
Dans son commentaire de la Nuit obscure, Jean de la Croix compare l’âme, docile au souffle de l’Esprit-Saint, à du bois travaillé par la flamme du feu :
« Pour un plus grand éclaircissement de ce que nous avons dit et de ce que nous dirons, il faut remarquer ici que cette purgative et amoureuse notice ou lumière divine dont nous traitons, se comporte envers l’âme, la purgeant et disposant pour l’unir parfaitement avec soi, de même que le feu envers le bois pour le transformer en soi. Parce que le feu matériel appliqué au bois commence premièrement à sécher, chassant l’humidité dehors et faisant pleurer l’eau qui est encore au-dedans. Après il le noircit, l’obscurcit et enlaidit, et même le rend malodorant; et en le séchant peu à peu, il l’éclaircit et jette dehors tous les accidents difformes et obscurs qui sont contraires au feu. Et finalement, commençant à s’enflammer par dehors et à l’échauffer, il vient à le transformer en soi et à le rendre aussi beau que le feu même. Ce qu’étant fait, il n’y a plus de la part du bois aucune passion ni action propre – excepté la pesanteur et la quantité plus épaisses que celles du feu – vu qu’il a en soi les propriétés et les actions du feu; car il est sec et dessèche, il est chaud et il échauffe; il est clair et éclaircit; il est beaucoup plus léger qu’auparavant, le feu opérant en lui toutes ces propriétés et ces effets. » Commentaire de la Nuit obscure, Livre 2, chapitre 10
Une fois cette purification opérée, l’embrasement d’amour touche l’âme.
Martine Petrini-Poli
27 août 2013