Les mots de la liturgie sont nourriture pour les chrétiens. Le chant dans sa simplicité est l’acte physique par lequel ils malaxent les mots, les laissant ainsi pénétrer en eux à force de les répéter : la mélodie bien connue du Veni Creator Spiritus que l’on chante au temps de la Pentecôte n’est pas d’abord œuvre qui ne se voudrait que musicale, mais support merveilleusement adapté à une forme de prière chantée.
Cette hymne à l’Esprit-Saint n’aurait-elle pas droit à une mise en musique qui en révélerait davantage la force poétique ? C’est ce que propose Karol Szymanowski avec son opus 57 : une lecture personnelle du Veni Creator destinée à la salle de concert. Cette musique, conçue hors du cadre liturgique, manifeste à sa manière la puissance de ce texte.
Karol Szymanowski est né en Ukraine le 3 octobre 1882, à Tymoskowka au sud-est de Kiev et mort à Lausanne en 1937. Issu d’une famille polonaise, il resta toute sa vie profondément attaché à ce pays et à sa culture. Son Veni Creator écrit en 1930 sur une traduction polonaise du dramaturge Stanislaw Wyspianski (né et mort à Cracovie, 1869-1907), nous donne à entendre des échos de ses recherches passionnées sur la musique traditionnelle des monts Tatras au sud de la Pologne.
« Viens, Esprit Créateur » : la musique dès ses premiers accords nous rappelle avec éclat ce qu’est un impératif : appels puissants des cuivres, cris violents du chœur « VIENS ! »
« Force et douceur de la grâce du Seigneur » : le chant d’un violon solo au-dessus de l’orchestre vient soudain apaiser cet exorde. L’esprit invoqué habite intimement en chacun, comme le son du violon s’impose par sa douceur pénétrante.
« Toi le doigt qui œuvre au nom du Père » : après le violon, voici l’entrée de la voix soliste soutenue par la scansion régulière de l’orchestre. Ce n’est plus seulement le violon qui chante, mais bien la voix humaine qui habite les mots de son souffle : Toi qui inspires nos langues pour te chanter.
« Mets en nous ta clarté, embrase-nous » : c’est ici, au cœur de l’œuvre que l’on discerne des souvenirs de la musique traditionnelle des Tatras, dans l’alternance hommes/femmes, dans les tournures mélodiques si particulières ou les harmonies aux couleurs exotiques.
« Chasse au loin l’ennemi qui nous menace » : on retrouve dans cette page la force de l’impératif, jusqu’à la violence.
« Gloire à l’Esprit de force et de sagesse » : l’œuvre s’achemine vers son aboutissement.
L’ensemble des chœurs, de la soliste et de tout l’orchestre enrichi des résonances du carillon, image sonore traditionnelle, chante la louange dans l’éclat aveuglant d’un lumineux accord de Mi majeur.
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Voilà une lecture inhabituelle pour nous de cette hymne : le compositeur s’y est exprimé en toute honnêteté avec ses outils propres, c’est pour cela qu’il peut nous rejoindre. Nos oreilles s’ouvrent à cette langue que l’on croyait inconnue et que l’on entend à notre propre surprise : « Comment se fait-il que chacun de nous les entende dans sa langue maternelle ? » Ac 2, 8.
Emmanuel Bellanger