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LE MUSICIEN ET « SON » INSTRUMENT

Nous célébrons cette année le centenaire de la mort de l’organiste Eugène Gigout (1844-1925) qui fut le titulaire de l’orgue de la paroisse Saint-Augustin à Paris durant 57 ans ! Au bout de tant d’années, peut-on parler seulement de fidélité, de stabilité ou de persévérance ? Quels rapports se sont noués au fil du temps entre le musicien et son instrument ? Quand on parle du chant de l’instrument, qui chante vraiment ?
Publié le 22 octobre 2025

Ceux qui ont eu la chance de visiter un orgue en compagnie de son titulaire demeurent impressionnés par l’attachement physique et affectif du musicien pour « son » instrument. 

Il n’en est pas seulement ainsi pour les organistes mais pour tous les instrumentistes. 

« A 11 ans, j’entendis pour la première fois jouer du violoncelle. Ce fut le début d’une longue et merveilleuse association […] Je n’avais jamais vu de violoncelle auparavant et dès les premières notes, j’eus le souffle coupé. Le son du violoncelle était si beau, si tendre, si humain […] son rayonnement m’atteignit en plein cœur. »
Tous les musiciens pourraient s’approprier ce témoignage de Pablo Casals. Le violoncelle fut pour lui une subite révélation, une rencontre avec un être qui allait bouleverser sa vie. Casals n’utilisait pas le violoncelle, il ne jouait pas du violoncelle, il s’est ‘associé » avec lui, le chant de l’instrument est devenu son propre chant, l’instrument a donné corps au chant de Pablo. On peut parler ici de fusion entre deux  « êtres ».
Le violoncelle est un exemple évident de cette fusion : l’interprète enveloppe de ses bras son instrument, les deux unis en une étroite intimité : le son du violoncelle est le chant du musicien qui respire au rythme des mouvements de son archet caressant les cordes.
Comme il est fascinant d’observer dans cette prise de vue cette connivence musicien/instrument :

Cette fusion instrument/interprète est au cœur de la vie de tout musicien, quel que soit son instrument, même le plus éloigné apparemment du corps humain comme l’orgue. Il n’est pas, en effet, d’instrument « plus totalement indifférent, neutre, de tous les instruments le moins musical, ses claviers n’étant qu’une succession de leviers aboutissant à des ‘’clapets’’, introduisant l’air dans des tuyaux qui, d’un coup, comme frappés de stupeur, vomissent tout net le son dont ils sont capables » selon la description de l’organiste Pierre Vidal. La musique qui naît d’une telle machine, c’est bien celle du musicien, l’orgue n’étant que le prolongement de ses doigts, le déploiement de son chant intérieur.
« On s’attachera à faire chanter alternativement chaque partie » demandait Jean-Sébastien Bach à ses interprètes. 

Cela suppose un long apprivoisement mutuel : il faut laisser chacun s’adapter à l’autre, l’orgue à « son » organiste, l’organiste à « son » orgue. Ce n’est pas l’orgue qui chante mais bien l’organiste et pourtant celui-ci n’est rien sans son instrument.
La musique inscrite sur la partition prend vie sous les doigts de l’interprète, les signes inertes répandus sur les portées s’animent de la fusion mystérieuse entre la soufflerie de l’orgue et le souffle du musicien, le chant emplit l’espace où il doit sonner.

Si on remplace « signes répandus sur la portée » par « Parole de Dieu », instrument et instrumentistes se trouvent investis d’une mission incroyablement exaltante : faire prendre un corps vibrant  à une Parole reçue et éprouvée comme Parole vivante.
Jean-Sébastien Bach ne disait pas autre chose quand il conseillait à son élève Gottfried Ziegler :
« Pour ce qui est du choral, mon maître Jean-Sébastien Bach me l’a enseigné de telle sorte que je ne le joue jamais simplement tel quel, mais de façon à exprimer la passion qui se trouve dans le poème. »        

 

 Emmanuel Bellanger

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