Un des plus anciens buffets d’orgue de cathédrale est celui de Strasbourg dont la tribune avec son pendentif et sa balustrade date du 14ème siècle. Le grand buffet avec sa réplique au-devant de la tribune, qu’on appelle le positif, fut installé entre 1430 et 1434 : sa grande tourelle centrale à trois pans reprise au positif est caractéristique de cette haute époque de la facture d’orgue. Les décors ajoutés au 18ème siècle dialoguent harmonieusement avec l’ornementation de la tribune et du couronnement venue de l’époque gothique.
Le grand orgue de la cathédrale de Poitiers est un magnifique exemple de buffet classique, français, construit à l’extrême fin du 18ème siècle, juste avant la Révolution. On peut y voir tout ce qui caractérise ce style d’architecture mobilière : symétrie parfaite, alternance de tourelles arrondies aux extrémités et au centre du grand buffet encadrant des plates-faces rappelant l’image d’un château avec ses murailles et ses tours (le positif ne comporte pas de tourelle centrale), couronnement de pots à feu et d’un ange sonnant de la trompette au centre, trophées d’instruments de musique sur le positif, têtes d’angelots aux pieds des grandes tourelles. Equilibre de la symétrie, sobriété de l’ensemble et richesse des détails font de ce buffet de Poitiers un chef d’œuvre de hucherie.
L’orgue de la cathédrale d’Evreux a été inauguré en 2006. Il s’agit d’un buffet contemporain utilisant formes et matériaux bien de notre temps et qui s’harmonisent heureusement avec l’architecture de la cathédrale, haute et étroite. Deux grandes idées ont présidé aux choix du créateur :
1° entrer en résonance avec la verticalité des piliers et ainsi inviter à s’élever vers les sons comme on s’élève vers la lumière,
2° favoriser la propagation des sons dans tout l’édifice au moyen d’un abat-son sur le positif et de volets verticaux pivotant qui s’ouvrent ou se ferment comme pour annoncer que la musique va surgir ou, au contraire qu’elle va s’éteindre et que la cathédrale retrouvera son silence.
Les buffets d’orgue, par la diversité de leurs styles, sont les témoins immobiles mais vivants des siècles qui les ont vu éclore. La musique née de ces instruments sonne elle aussi comme un écho du passé mais aussi comme la résonance transfigurée de nos vies d’aujourd’hui. C’est à la fois la permanence de la foi chrétienne manifestée dans l’architecture comme dans la musique et le renouvellement de son expression au long des âges qu’a cherché à exprimer Olivier Messiaen dans cette pièce intitulée Apparition de l’Eglise éternelle composée en 1937. Messiaen écrivit à propos de cette page : « Les églises matérielles sont le symbole de l’Eglise spirituelle faite de pierres vivantes. »
La musique, art essentiellement éphémère, nous fait mystérieusement pressentir l’éternité peut-être davantage encore que l’architecture apparemment immuable : encore une merveille surprenante de l’art !