Dimitri Chostakovitch (1906-1975) dont nous fêtons le cinquantenaire de la mort, n’a connu comme compositeur que le régime soviétique avec son cortège de censure, de menaces et de violences en tous genres. La musique lui a permis d’exprimer ce que les mots étaient empêchés de dire, atout précieux dans un monde sans liberté.
La cinquième symphonie en ré mineur date de 1937, une année difficile pour le peuple russe, le pouvoir accentuant violences, arrestations, envoi au goulag, exécutions. Que dire quand les mots sont bâillonnés sinon le découragement, la dérision ? C’est ce que nous donne à entendre, subtilement évidemment, la succession des quatre mouvements. Voici quelques détails pour aider l’écoute.
1er mouvement : moderato, allegro non troppo :
La symphonie s’ouvre dans un climat désolé chanté sur les cordes : rythme pointé, thèmes en chute à peine lancés…
Une montée en tension aboutit à une marche militaire de caractère grotesque, lourd. Le mouvement se conclut, après la reprise du début, sur la douceur de la flute avec le cor, puis du violon solo accompagné par le célesta.
2ème mouvement : Allegretto :
C’est l’ironie qui domine cette succession de marches grossières, stridentes, parodiques. C’est vraiment le ton général plus que les thèmes eux-mêmes qu’il faut entendre. Cette musique s’adresse à ceux qui ont des oreilles bien ouvertes pour percevoir l’au-delà des notes.
3ème mouvement : Largo :
Après le fracas de ce qui précède, voici un moment d’émotion lyrique aux longues lignes largement étirées, créant une musique de dépouillement. Chostakovitch cite au cours de ce mouvement un extrait de l’opéra de Moussorgsky Boris Godounov, le chœur final que chante le peuple russe, un des personnages principaux de cette œuvre : « Coulez, larmes amères. Pleure, mon âme croyante. Bientôt l’ennemi arrivera et les ténèbres descendront. Les ténèbres des ténèbres noires et impénétrables. »
Le célesta conclut encore une fois ce mouvement accompagné de la harpe.
4ème mouvement : Allegro ma non troppo :
Energie implacable, timbales, cuivres, fanfares… Un moment d’apaisement chanté par le cor accompagné par les cordes dans l’aigu, progression de plus en plus animée, conclusion assourdissante en ré majeur.
En conclusion après cette écoute de la cinquième symphonie de Dimitri Chostakovitch, n’est-ce pas un sentiment de désespérance dérisoire qui domine ? Les thèmes principaux à peine projetés retombent de leur envol vite brisé. Les mouvements vifs, destinés à faire contraste avec les moments d’effusion lyrique, se transforment en marches militaires caricaturales, déployant une énergie inutile, donc vouée à l’échec. Le ré majeur final éclate de sa lumière aveuglante, plaqué, sans lien thématique avec ce qui précède, surgi à cet instant comme un cri terrible, désespéré, vain…
En cette même année 1937, Francis Poulenc (1894-1963) compose sa messe en sol majeur pour chœur sans instrument. N’est-ce pas le miracle de la musique de faire se rencontrer deux compositeurs qui ne se sont pas connus ?
L’Agnus Dei de cette messe semble apporter une douce lumière au fracas désespéré de Rachmaninov. La paix à laquelle le monde aspire, c’est à chacun de la construire bien sûr, mais aussi à apprendre à l’accueillir comme un cadeau venu d’un Autre. C’est bien ce que suggère l’Agnus Dei de Poulenc, avec ce chant perché au plus haut de la voix de soprane, bien au-dessus de nos polyphonies humaines trop souvent dissonantes, cette paix venue d’en-haut, toujours prête à descendre sur tous ceux qui sont disponibles pour la recevoir.
Non, la paix n’est pas un leurre dérisoire, elle est toujours possible :
DONA NOBIS PACEM