Ce nocher conduisant sa barque (fig. 1), ce cavalier sur un cheval grandeur nature, ce chien endormi, et ce crâne monumental nous dévisagent silencieusement.

L’illusionnisme mimétique des sculptures, leur rappel de la statuaire classique et leurs grandes dimensions nous font entrer, de plain-pied, dans un univers énigmatique et onirique peuplé d’arbres, de bambous, de fleurs qui coexistent étrangement avec une petite fille assise aux ailes d’ange perdu ou un singe portant un parasol (fig.2). Dans quel cauchemar sommes-nous soudain embarqués ? Qu’est ce monde décoloré où chaque élément, végétal, animal ou objet, est recouvert d’un même enduit gris ? La pénombre, la saturation de l’espace, les jeux d’échelle composent un ensemble fantastique, effrayant, contaminé par la mort.

Nulle légende ici, nulle mythologie païenne ou histoire précisément narrée ; le temps comme l’espace se trouvent suspendus en une silencieuse mélancolie. Nous sommes avant ou après une catastrophe, comme si la fin du monde était en cours, sans accident, sans cataclysme. On vanishing – Sur la soudaine disparition- tel est le titre de cette installation immense qui n’en finit jamais. Dans cette réinvention de la sculpture traditionnelle, les grands héros ou les figures tragiques ont disparu. Sous une peinture uniforme qui égalise les modelés et adoucit les ombres, les formes réalistes et hyperréalistes, révèlent des êtres ordinaires dans des attitudes souvent énigmatiques.
Que voyons-nous donc en train de disparaître ? En quoi ce monde ayant perdu sa couleur, sa vitalité, jusqu’à son sens des relations entre les personnages, est-il en ce moment même en voie d’évanouissement ?
Exposant de monumentales installations comme son Camping dévasté – We were the last to stay- à la Biennale de Lyon en 2022 ou, récemment, le Voyage nocturne au Musée royal des beaux-arts d’Anvers, Hans Op de Beeck introduit le spectateur dans un monde privé de saveur, d’odeur et d’histoire, un monde désenchanté, saturé d’objets et pourtant vide ! Expérience ô combien prenante, et décapante, d’un désert étrangement peuplé (fig.3).

Sans doute suffit-il de ressortir de cette plongée en apnée dans le vide, pour (re)trouver, dans les multiples attraits des visages, des corps, des réalités du quotidien qui nous environne ici et maintenant, la foi en ce monde. Deleuze disait que « le fait moderne, c’est que nous ne croyons plus en ce monde ». De ces installations décapantes et morbides d’Hans Op de Beeck, nous sortons curieusement revivifiés, animés d’une foi nouvelle en ce monde, tel qu’il est, tel qu’il pourrait être, tel qu’il dépasse aussi ce que nous en voyons simplement.
Paul-Louis Rinuy








