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« Rebecca Horn - Théâtre des métamorphoses » au Centre Pompidou Metz.

Publié le : 19 Août 2019
L’exposition « Rebecca Horn. Théâtre des métamorphoses » au Centre Pompidou-Metz met en lumière le riche éventail de formes d’expression déployées par l’artiste. Suite à une maladie pulmonaire, Rebecca Horn fait du corps le matériau privilégié de son œuvre. À travers son goût pour les associations paradoxales, elle met en scène les antagonismes qui sous-tendent nos vies : sujet et objet, corps et machine, humain et animal, désir et violence, force et infirmité, harmonie et désordre. Décryptage attentif de deux œuvres de Rebecca Horn par le Père Michel Brière.

Dans l’exposition « Rebecca Horn - Théâtre des métamorphoses », au Centre Pompidou Metz, je regarde attentivement deux œuvres.

Observation

Une dizaine de partitions et une plume noire. Une mécanique entrainée par un petit moteur les écarte et les referme comme des ailes d’oiseau. C’est tout ? C’est tout.

Rebecca Horn, Floating souls, 1994, partitions, plume, encre, construction en métal, moteur © ADAGP, PARIS, 2019

D’emblée, j’aime la modestie de l’objet. On dirait un élément de vitrine de Noël avec ses automates. Animation désuète, regards émerveillés. Ainsi, le contraste entre l’appel aérien de la plume, du battement d’ailes et même des partitions d’une part, avec quelques taches d’encre et l’aspect rouillé du mécanisme d’autre part. Démesure des rêves, pauvreté des moyens. Plusieurs traces écarlates maculent une partition voisine de la plume noire. « Le sang d’un poète » ? On pense au film de Jean Cocteau (1930) et considéré comme surréaliste. Un univers dont Rebecca Horn se sent proche. L’exposition est ponctuée de photos des films La Belle et la Bête de Jean Cocteau, Un chien andalou de Luis Buñuel, d’œuvres de Salvador Dali, Paul Eluard et Max Ernst, Man Ray et Marcel Duchamp, etc. L’œuvre s’intitule Floating souls (1994).

Rebecca Horn, Brennender Busch (Le Buisson ardent) © Adagp, Paris, 2019

Non loin, quelques tubes de cuivre tordus, animés par un petit moteur. Serait-il alimenté par du charbon que l’on voit transmis au moyen de trois entonnoirs en verre ? On sourit. L’énergie vient d’ailleurs. Pourquoi avoir cherché à animer une sculpture qui, immobile, n’est pas dénuée de grâce ? On s’interroge d’autant plus que le mouvement engendré par le petit moteur est bien pauvre, réduit à quelques oscillations et qui plus est, à intervalles assez espacés. Serpentins en cuivre, entonnoirs et matière brute du charbon me font penser à un alambic, au phénomène de la distillation, la quête de l’essence par extraction. Si l’alchimie s’est développée en marge de l’Eglise, Angelus Silesius nous aide à n’en pas perdre l’opération symbolique : « C’est le cœur qui se change en l’or le plus fin ; c’est le Christ et la grâce divine qui agissent. »

Le titre, Buisson ardent (2001) me renvoie au livre de l’Exode. Le grand miracle, cette chose extraordinaire de la présence de Dieu dans la flamme d’un buisson qui brûle sans se consumer (Ex. 3,2) représentés par ce bricolage un peu ridicule ! Or la magie réside ici non dans la mimétique dont est capable la haute technologie, mais dans la poésie. La représentation y manifeste son ineptie pour initier à la force de l’art, à l’énergie primordiale.

Une exposition stimulante

Désormais sculptures et installations cinétiques vivent de ces énergies nouvelles. Elles émanent des profondeurs de la terre minérale, au plus près d’un magma primordial

Bien plus qu’une didactique succession d’œuvres, « Théâtre des métamorphoses » sollicite mon attention, ma sensibilité et rend mon imagination créatrice à son tour. Je découvre ainsi qu’un long travail précède Floating souls et Buisson ardent. Sous forme de performances filmées, dès 1970, on y voit le corps peint, muni de prothèses, enserré de rubans, de camisoles et autres revêtements de plumes et de protubérances diverses. Comme autant d’antennes branchées sur l’espace, à l’affût d’énergies inconnues. Désormais sculptures et installations cinétiques vivent de ces énergies nouvelles. Elles émanent des profondeurs de la terre minérale, au plus près d’un magma primordial, comme de l’animalité nichée au ventre du psychisme humain. Et tout orientées vers l’espace où prendre essor.

Rebecca Horn, Die sanfte Gefangene (La douce prisonnière), 1978 Photographie de tournage du film Der Eintänzer (Le Danseur mondain) Collection Rebecca Horn © Adagp, Paris, 2019 © Droits réservés

L’itinéraire invite à la pause et aux rencontres parmi les œuvres. Leur quantité ne prétend pas l’exhaustivité. On sait qu’en parallèle une autre exposition  : « Rebecca Horn, Fantasmagories corporelles », se tient simultanément au musée Tinguely de Bâle. Ces rencontres naissent d’une émotion très particulière, d’un petit événement incompréhensible qui me touche - et je ne sais pas pourquoi.

L’art c’est vital.

Cette dynamique de retour au primordial anime régulièrement les grands mouvements de la culture et palpite au cœur du Théâtre des métamorphoses.

Revenir aux fondamentaux, ou à l’essentiel, remonter à la source. Cette dynamique de retour au primordial anime régulièrement les grands mouvements de la culture et palpite au cœur du « Théâtre des métamorphoses ». Elle n’est pas retour en arrière réactionnaire mais recherche de l’originel. Retour au centre, caractéristique du contemporain. À éprouver par une authentique présence aux œuvres. Il s’agit non seulement d’entrer dans l’univers créatif de l’artiste mais d’y éprouver ma propre créativité. Pas de survol mais une plongée. Pas d’immersion fallacieuse en images spectaculaires et séduisantes mais un appel à l’écoute du monde intérieur qui m’anime.

Rebecca Horn, Chant pour Pessoa, 2005 1'28'' © ADAGP, PARIS, 2019

Le travail mouvant de Rebecca Horn nous entraine par l’émotion dans sa quête d’une métamorphose. En poète, par le jeu des analogies et des métaphores, elle donne à chacun d’expérimenter physiquement et de « composer son propre poème ». « Les spectateurs voient, ressentent et comprennent quelque chose pour autant qu’ils composent leur propre poème comme le font à leur manière » tous les interprètes, comédiens, musiciens, etc. (1) Corps en mouvement, fait de chair fragile, de sang déjà secrètement mouvant et d’os organisés en squelette articulé, l’humain visiteur s’éprouve irrigué de désirs et de rêves illimités. Chacun redit avec Baudelaire « J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans ». (2) Mais à la suite du Christ, nous reconnaissons dans l’énergie vitale l’Esprit-même de notre Dieu créateur, insufflé en chacune de ses créatures et couvrant de son vol le chaos primordial (Gn.1-2). Notre unique métamorphose, nous la recevons chaque jour comme une grâce de transfiguration par le Ressuscité.

Michel Brière

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1- Jacques Rancière, Le spectateur émancipé, La Fabrique éditions, Paris, 2008, p.19

2- Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal, LXXVI — Spleen, Garnier-Flammarion, Paris, 1964, p.94

Toutes les informations pratiques pour visiter l'exposition en cliquant ici.

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