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Plein Est : « Opéra-Monde » au Centre Pompidou-Metz - Le Monde comme un Opéra

Publié le : 12 Août 2019
Entrer dans une exposition comme aller à l’opéra, c’est l’expérience inédite à laquelle le Centre Pompidou-Metz invite le visiteur, qui entre au musée comme il entre au théâtre. Le titre programmatique « Opéra-Monde, la quête d’un art total » emprunte à Wagner son fameux « Gesamtkunstwerk » formulé en 1847 : l’œuvre d’art totale. Cette recherche de la fusion des arts s'opère au moyen des correspondances entre les sens – la synesthésie -, comme lorsque la musique rencontre par exemple la couleur. Elle vise à produire l’émotion de la vie dans un éclair de joie. A découvrir jusqu'au 27 janvier 2020.

Vie ou opéra ? Le commissaire de l’exposition, Stéphane Ghislain Roussel, défait toute réponse convenue. Il laisse place à la capacité d’une exposition à réactiver cette explosion sensorielle qui conduit à l’émotion : expérience de l’opéra à laquelle concourent les décors, les voix, la musique, la danse et le génie du livret. Aussi, le parcours muséographique lui-même est pensé comme un opéra composé en actes, eux-mêmes déployés en plusieurs scènes de théâtre car il s’agit bien d’interroger d’abord le lieu où s’opère l’alchimie des arts et de le déplacer hors du bâtiment Opéra.

Grazia Toderi, Semper eadem, 2004 Projet spécial pour le théatre La Fenice de Venise Projection vidéo, boucle, dimensions variables, couleur et son Courtesy de l'artiste © Adagp, Paris, 2018

Ce temps dilaté, au sens fort du terme, est le temps des œuvres, ce qui explique aussi pourquoi les arts visuels et l’opéra se sont autant nourris mutuellement depuis le début du XXe siècle.

Si la vie est opéra, et l’opéra, œuvre vivante, cette symbiose s’opère en effet dans un temps transformé en espace : « ici le temps devient l’espace » lit-on à mi-chemin du parcours du parcours au milieu des maquettes, des costumes, des installations et des imposantes scénographies. Ce temps dilaté, au sens fort du terme, est celui que cherche le Gesamtkunstwerk. D’une manière générale, il est le temps des œuvres, ce qui explique aussi pourquoi les arts visuels et l’opéra se sont autant nourris mutuellement depuis le début du XXe siècle. Les commandes faites aux artistes contemporains innervent de plus en plus les créations, ce qui est aussi une singularité actuelle de l’opéra.

L’Affaire Makropoulos, mise en scène de Krzysztof Warlikowski, décors et costumes de Małgorzata Szczęśniak, Opéra Bastille, Paris, 2007, avec Angela Denoke (Emilia Marty). © Pascal Victor / ArtComPress. Courtesy Opéra national de Paris

La joie est spacieuse lorsque l’opéra comme « Gesamtkunstwerk » fait correspondre le temps et l’espace.

Place donc à ces œuvres qui mettent l’œil en situation d’entendre, et l’oreille en capacité de voir ! A l’ouverture de l’exposition, par exemple, la monumentale sculpture de King Kong conçue par Małgorzata Szczęśniak pour la mise en scène de L’Affaire Makropoulos (2007) de Leoš Janáček par Krzysztof Warlikowski cherche à participer à cette synesthésie qui mettra le visiteur en situation de voir les voix. Lorsque sur la scène d’opéra s’opère un tel précipité, l’opéra devient à son tour tableau vivant selon les mots de William Hogarth « ma peinture est ma scène ». Le théâtre s’anime alors comme le cinéma d’animation pour rendre le « visuel aussi mouvant que l’univers sonore » à l’instar des grandes fresques de Roland Topor pour Le Grand Macabre de György Ligeti en 1979. La joie est spacieuse lorsque l’opéra comme Gesamtkunstwerk fait correspondre le temps et l’espace.

Tristan und Isolde (Tristan et Isolde), mise en scène de Peter Sellars, vidéo de Bill Viola, Opéra Bastille, Paris, 2005, Photo Charles Duprat Courtesy du photographe et de l’Opéra national de Paris © Bill Viola

Les vidéastes, tels que l’artiste américain Bill Viola pour Tristan et Isolde, sont les révélateurs de ces images en mouvement issues de la lumière à jamais sublimées par la musique de Wagner.

Comme si le monde pouvait devenir opéra, son livret se prête également à une interprétation aussi universelle que l’histoire qu’il raconte. Le Gesamtkunstwerk entretient à ce titre un lien fort avec le récit des grands mythes de l’humanité. La Flûte enchantée de Mozart créée en 1791 à Vienne participe d’une telle fête des sens. Cette pièce ne cesse ensuite d’être ré-enchantée par les metteurs en scène. Ingmar Bergman en a signé une version inoubliable dans son film éponyme de 1975, tout comme William Kentridge dans son animation vidéo de 2005 poussant jusqu’au bout l’équivalence entre dispositif scénique et appareil photographique. Le Gesamtkunstwerk participe ici de l’image qui se révèle dans le bain photographique. Les vidéastes, tels que l’artiste américain Bill Viola pour la mise en scène de Tristan et Isolde (2005) à l’Opéra Bastille, sont les révélateurs de ces images en mouvement issues de la lumière à jamais sublimées par la musique de Wagner.

Ernest Klausz, La Damnation de Faust, L’Enfer, maquette de décor, 1933 Gouache sur papier © Bibliothèque nationale de France, Paris © Remy Klausz

Le désir d’œuvre d’art totale féconde ainsi toute une vision de l’art vivant. Dès les années 30, l'artiste hongrois Ernest Klausz est convaincu que « dans cette œuvre d’art totale résultant de la collaboration de tous les arts que doit être un opéra », la « partie visuelle » prédomine sur « la partie auditive ». Pour la représentation du 17 mars 1933 de La damnation de Faust au Théâtre national de l’Opéra, L’Enfer défile sur scène sous la forme d’un monumental décor en projection, spectaculaire image en mouvement. Dans le contexte de la montée du nazisme, l’œuvre de Berlioz revue par Klausz prend alors toute sa dimension politique en faisant entendre au temps présent ce qu’il faut voir. Elle joue ici son rôle de Gesamtkunstwerk.

Moses und Aron (Moïse et Aaron), Opéra Bastille, Paris, 2015 Courtesy du photographe et de l’Opéra national de Paris © Bernd Uhlig / Opéra national de Paris © Romeo Castellucci

Les expérimentations poursuivies laissent également place à un éclatement des structures traditionnelles. L’opéra sort progressivement de son écrin de théâtre à l’italienne pour lequel il avait été conçu au XVIIe siècle. Il invente un théâtre libéré en quelque sorte du théâtre – l’opéra du bâtiment Opéra -, à l’exemple d’Einstein on the Beach donné le 25 juillet 1976 au Festival d’Avignon. Dans cet opéra phare de la seconde moitié du XXe siècle, le metteur en scène Robert Wilson et le compositeur Philip Glass font correspondre l’image et la voix, l’espace et le temps - synesthésie transportée par la danse au sommet de la grâce. Cette recherche des correspondances traverse encore l’opéra inachevé d’Arnold Schönberg, Moïse et Aaron que Romeo Castellucci revisite pour l’Opéra Bastille en 2015.

Daniel Cande, Saint François d’Assise, palais Garnier, Paris, avec Christiane Eda-Pierre (L’Ange), 1983 © Bibliothèque nationale de France, Paris / photo Daniel Cande

Depuis saint Augustin, l’union de tous les sens invite l’homme médiéval de toucher un Dieu qui s’écoute comme il se voit ou se goûte comme il se sent.

L’art total cherche à faire écho à cette quête. Présenté en 1983 pour la première fois à l’Opéra Garnier, le Saint François d’Assise d’Olivier Messiaen mène à son extrême cette recherche des correspondances où la couleur peut devenir musique et le son, lumière. Depuis saint Augustin, l’union de tous les sens invite l’homme médiéval de toucher un Dieu qui s’écoute comme il se voit ou se goûte comme il se sent. Dans cet élan, saint François parle aux oiseaux… Hermann Nitsch s’empare trente ans plus tard du chef d’œuvre de Messiaen pour le Bayerische Staatsoper à Munich en 2011. Le fondateur de l’actionnisme viennois s’inspire de la peinture de Fra Angelico où les couleurs des ailes des anges font un bruit de fin silence avec laquelle il entre en correspondance. La mise en scène, la scénographie, les décors et les costumes imaginés par l’artiste deviennent comme un son pour l’image, une odeur pour le goût, un mouvement pour celui qui regarde et assiste, assis, à ce qui se lève en lui devant une telle apothéose : une émotion qui le mette en mouvement.

To Be Sung, mise en scène de Pascal Dusapin, installation scénographique de James Turrell, théâtre des Amandiers, Nanterre, 1994© Marthe Lemelle © James Turrell

Un tel mouvement peut aussi être porteur de soulèvement et délivrer un message à destination de la cité. C’est pourquoi la scénographie d'« Opéra-Monde », elle-même conçue comme une fête de l’esprit par Małgorzata Szczęśniak conduit in fine à penser cet art comme une forme d’engagement politique bien au-delà des définitions bourgeoises du divertissement qui étaient celles du XIXe siècle La Norma (1831), opéra en deux actes de Vincenzo Bellini, est de tous les temps et de tous les espaces quand il s’agit que son lieu advienne en un jour, que s’incarne son histoire et que l’opéra devienne résistance. A l’instar de Operndorf Afrika (2009) au Burkina Faso de Christoph Schlingensief, de telles expériences d’opéra peuvent alors ouvrir de nouveaux espaces à de nouveaux temps, délimiter une voie pour que soit délivrée la voix de ceux qui n’en n’ont pas. Alors le monde et l’opéra s’équivalent dans une magistrale création de Gesamtkunstwerk.

Et la vie chante, lorsqu’on sort du musée comme on sort de l’Opéra.

Sylvie Manuel-Barnay
Maître de conférences à l’Université de Lorraine

Toutes les informations pratiques pour visiter l'exposition en cliquant ici.

Ewald Dülberg, Die Zauberflöte (La Flûte enchantée), maquette de décor pour le Temple du Soleil, acte II, scène 38, 1929 Bois, bronze doré, feutre, gouache et installation électrique © Theaterwissenschaftliche Sammlung, Cologne
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