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Marco Barbon, photographe : entre l'ici et l'ailleurs

Publié le : 7 Novembre 2021
Né à Rome en 1972, le photographe Marco Barbon vit en France depuis 2001. Après des études de philosophie à l’université romaine La Sapienza et un doctorat en Esthétique de la photographie à l’E.H.E.S.S. de Paris, il travaille pour l’agence Magnum avant de se consacrer à une recherche artistique plus personnelle. Interrogeant inlassablement l’ambiguïté de l’image photographique située à la frontière du réel et de l’imaginaire, il explore villes ou lieux en autant de séries à mi-chemin entre support documentaire et récit de fiction. A découvrir au moment où va s'ouvrir l'édition 2021 de Paris Photo.

Marco Barbon, The Interzone, 'Villa Harris', 2016, © Marco Barbon

Ce sont des photos de villes, de rues et de jardins, d’architectures élégantes ou de ruines vétustes, de coins insignifiants ou de zones marginales, le plus souvent vides de présence humaine. Des portes, fenêtres ou grilles les clôturent parfois, un regard se perd au loin d’un horizon marin. De temps à autre, une silhouette, des passants ou même un détail animent ces vues désertées. Protagonistes d’un théâtre humain invisible, ils sont les figurants de quelque représentation fantôme : ici, deux colonnes dressées sur un dallage irrégulier ne portent ni ne cadrent rien et mettent en scène l’absence; là, un homme vu à mi-corps, mains sur les hanches, détourne son visage vers un ailleurs inaperçu.

Marco Barbon, The Interzone, 'A l’entrée du lieu-dit des Tombeaux-Phéniciens', 2015
© Marco Barbon
Marco Barbon, The Interzone, 'Coiffeur devant sa boutique, dans le quartier de Boukhachkhach', 2015, © Marco Barbon

Juxtaposés, ces fragments dessinent un étrange rébus : un drapeau gonflé par le vent, un pied chaussé de claquettes, un sac à mains abandonné, un téléphone mural à pièces, un reflet dans un miroir, un chien errant ou des fauteuils abandonnés en composent l’alphabet... Des brumes opalescentes voilent parfois ces images, comme pour les mettre à distance. Les couleurs pâles dominent : cieux laiteux, façades blanchies, murs salis ou décrépis. Les prises de vue multiplient les obliques, les angles et les points de fuite : hors-champ, quelque chose passe et disparaît, insaisissable… Le temps paraît suspendu, le vide omniprésent dans ces photos empreintes de nostalgie.

Marco Barbon, The Interzone, 'Poste téléphonique', 2014, © Marco Barbon

Car les séries de Marco Barbon esquissent les portraits de paysages ou plus souvent de villes  — Asmara en Érythrée, Tanger ou Casablanca au Maroc, Rome en projet — comme autant de mises en scènes fragmentaires où le réel semble basculer dans la fiction en une écriture quasi-cinématographique, silencieuse et méditative. Ainsi se fait-il le gardien d’un espace imaginaire où le vide peut agir comme lieu d’un scénario possible : l’imagination investit ces « espaces transitionnels », selon ses propres termes, « au point de convergence de son désir et de la réalité perçue ». Ne pas tout dire, permettre à l’imagination de l’artiste mais aussi à celle du spectateur de se déployer dans cet espace laissé vacant : n’est-ce pas ce à quoi nous invite cette place manquante, parmi la ronde des sièges du café d’Aïn Diab, à Casablanca ? Alors, entre l’ici et l’ailleurs, entre le moment présent et celui à venir, entre la présence et l’absence, une tension s’instaure à la croisée du temps et du lieu. Ainsi de la série Cronotopie, étrange cadran solaire d’un temps éternellement figé, univers onirique peuplé d’objets hantés, comme en apesanteur.

Marco Barbon, 'Casablanca', Aïn Diab, Tropicana Beach, #34, 2010, © Marco Barbon

Marco Barbon, Cronotopie, Polaroïd #09, 2007, © Marco Barbon

Au vu de cet énigmatique contour des êtres et des choses dans les photographies de Marco Barbon, on pourrait s’interroger sur sa supposée tentation de fuir la réalité dans un monde fantasmé par trop désincarné. Mais ce secret penchant n’est-il pas aussitôt contrebalancé par l’émerveillement face au réel et par la vigilance qu’il exige ? Ce réel qui, via l’attention de Marco Barbon aux détails, à la matière et à la qualité de la lumière selon les heures, permet la résurgence de cette même chose « là-bas au cœur du monde et ici au cœur de la vision. » Et celui-ci de citer Roland Barthes pour lequel la photo est l’image impressionnée de la réalité : preuve que ça a été. Aussi, en pratiquant cet « art de l’entre-deux » qu’est la photographie, Marco Barbon s’adonne-t-il à ce jeu intranquille cherchant à « habiter — ne serait-ce que de manière provisoire — le vide du monde et rendre la scène temporairement vivante », affirme-t-il encore. Tentant de saisir et d’être saisi par la grâce de l’instant pour dévoiler, dans l’air qui tremble et vacille, un peu de la phosphorescence présente en toute chose et conjurer ainsi sa disparition.

Odile de Loisy

Marco Barbon, 'Casablanca', Aïn Diab, Kontiki Plage, #04, 2010,
© Marco Barbon

Notes

1- Maurice Merleau-Ponty, L’Œil et l’Esprit, Paris, Gallimard, p.28.
2- Roland Barthes, La Chambre Claire. Note sur la photographie, Paris, Gallimard, 1980.

Marco Barbon est représenté par la galerie Clémentine de La Féronnière à Paris:
51 rue Saint-Louis-en-L’Ile, 75004 Paris - Tél: 01 43 54 07 79

Pour en savoir plus sur le travail de Marco Barbon : www.documentsdartistes.org

 

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