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Lee Ufan à Arles : un dialogue méditatif

Publié le : 12 Mai 2022
Preuve supplémentaire du dynamisme culturel de la cité arlésienne, la nouvelle Fondation Lee Ufan Arles y était récemment inaugurée. Sur 1350m2, on peut désormais admirer les peintures et installations de cet artiste né en Corée en 1936, qui fit ses études de philosophie au Japon et y fonda le mouvement artistique Mono-ha (« Ecole des choses »). A Arles, il fait également entrer en résonance des œuvres conçues pour l’occasion avec la nécropole antique des Alyscamps en une exposition composée à la façon d’un « Requiem ».
Lee Ufan, The Narrow Road, 2021, © Claire Dorn

Le temps d’arriver aux Alyscamps, il est déjà midi ce matin-là. Un dais de platanes offre dès l’entrée son feuillage protecteur au visiteur. Les lieux sont déserts à cette heure intermédiaire. Pas âme qui vive, et pourtant… Chargée d’histoire, l’antique nécropole arlésienne datée de l’époque romaine n’est-elle pas l’ultime séjour des âmes réputées vertueuses qui hantent encore ces « Champs Elysées » provençaux ? Aujourd’hui abandonnés, ses tombes et sarcophages n’en demeurent pas moins habités des fantômes ornant parfois leurs acrotères auxquels s'adressent toujours les inscriptions gravées dans la pierre. De fragiles iris rappellent d’ailleurs que Van Gogh les arpenta autrefois. Lee Ufan y a récemment imaginé un parcours initiatique en dialogue silencieux avec les morts, à la façon d’un « Requiem » destiné à aiguiser l’écoute et affûter le regard. Ses quatorze étapes (dont le nombre coïncide avec celles du chemin de croix – un hasard ?) y jouent leur partition le temps d’une saison.

Lee Ufan, Relatum : Circle and Straight, 2021, © Claire Dorn

C’est à la jonction du couloir de platanes et de l’allée des sarcophages que l’artiste a installé sa première œuvre, Relatum : Circle and Straight (2021). Étendue au sol, une barre d’acier poli perce l’espace vacant de celle qui l’encercle verticalement. Entre vie trépidante de la cité et sommeil éternel des défunts, l’œuvre est ce seuil par lequel le visiteur pénètre pour déambuler à travers le temps et les ruines. Minimale, elle résume tout entière l’art de Lee Ufan : conversation de formes élémentaires – cercle et ligne ici –, elle est aussi celle de l’homme avec la nature environnante, mais également celle du lieu avec le temps. Un art de la rencontre ; pour Lee Ufan un relatum, comme la plupart de ses sculptures. « Je veux être en relation avec la part du monde la plus vaste possible, par le biais d’une intervention aussi minime qu’intense » affirme ainsi l’artiste . Une relation ou résonance induisant la rencontre entre des entités trop souvent opposées que notre artiste coréen, imprégné de culture japonaise et occidentale, entend réconcilier ou du moins ne pas disjoindre. Son travail de sculpteur consiste dès lors à mettre en rapport des éléments choisis dans la nature (pierres, eau, terre, air…) avec des produits de l’industrie humaine (miroirs ou plaques de fer), sans autre intervention que leur assemblage, en interaction avec son propre corps, l’espace et le spectateur. Un geste d’une absolue sobriété désireux de lutter contre l’expressivité outrancière caractérisant l‘art d’Occident depuis le XXe siècle, estime encore Lee Ufan qui poursuit : « Pour moi, l’art doit être non-identité. Ce qui m’importe, ce n’est pas l’expression du moi, mais c’est d’entrer en relation avec le monde extérieur par l’intermédiaire de mon corps. L’œuvre est le lieu de rencontre avec le monde extérieur. »  Un art d’apparence parfois austère ou répétitive qui témoigne pourtant de sa volonté d’être toujours plus juste afin de relier « ce qui est agi et ce qui ne l’est pas ». Un art résultant d’un geste en tension entre vie intérieure et réalité extérieure, accordé en pensée à la phénoménologie de Heidegger et de Merleau-Ponty. Une forme de rituel, aussi, pour que le moment où le corps de l’artiste rencontre l’œuvre soit « une élévation », ajoute-t-il encore.

Lee Ufan, The Requiem Path (Hommage à Christian Boltanski), 2021, © Claire Dorn

Ainsi, de cairns en passages, de seuils en chemins, les compositions de Lee Ufan conçues aux Alyscamps sollicitent tous les sens, égrenant leurs notes tantôt sombres, tantôt claires en des œuvres semées entre nature et édifices funéraires ou religieux : dans la chapelle Saint-Accurse, les craquements des ardoises couvrant le sol, lorsqu’il est piétiné, répondent à la voix grave de la cloche résonnant sous ses voûtes (Relatum-Dwelling) ; plus loin, le cliquetis des clochettes suspendues aux arbres du Requiem Path – hommage à l’ami Boltanski récemment disparu – fait écho au pépiement des oiseaux et au bruissement du vent ; ailleurs, la pesante fixité des blocs de granit rencontre la mouvance d’un long miroir inversant ciel et terre – sorte de tapis flottant invitant à traverser sa « porte étroite » (Relatum-Narrow Road) – ou encore la souplesse d’une tige d’acier dressée telle un gouvernail, un bâton de pèlerin ou une antenne destinée à capter les oscillations du monde, à la croisée des chemins menant vers l’église Saint-Honorat (Relatum - The Cane of Titan)… Chacun de ces poèmes visuels converse à sa façon avec l’éternité, en hommage à l'instant fugace et au temps qui passe. Leurs titres parlent d’eux-mêmes : Relatum - The Infinite Thread, The Solitude, The Silence, The Soul Room

A gauche : Lee Ufan, Relatum-Dwelling, 2021, © Claire Dorn. Au centre :  Lee Ufan, Response, 2021, © Claire Dorn. A droite : Lee Ufan, Relatum-The Fragments, 2021, © Claire Dorn

Car c’est bien à un langage universel qu’aspire Lee Ufan : « ce lieu [de l’art] où l’homme entre en résonance avec ce qui le dépasse » pour instaurer un dialogue poétique avec le monde. Une Response, comme cette infime touche émeraude ornant la fenêtre du chœur de l’église Saint-Honorat, semblable à un fragment de végétation qui se serait invité dans l’édifice en une subtile interpénétration du dedans et du dehors. De même à la Fondation Lee Ufan Arles, nouvellement aménagée par Tadao Ando dans le centre historique de la ville, les œuvres ont-elles été choisies comme autant de dispositifs permettant à l’imagination d‘établir une correspondance poétique avec l’espace ; en témoigne le labyrinthe du Relatum - Ciel sous terre accueillant le visiteur dès l’entrée. Sculptures et peintures s’y répondent d’un étage à l’autre, invariablement animées par cette conception orientale du « vide »(« ma » en japonais) privilégiant l’espace entre les choses comme champ à explorer, dans l’attention à ce qui vient. Si certaines font effectivement vibrer nos sens comme une corde, d’autres peinent à émouvoir, soit qu’elles se trouvent à l’étroit en ces lieux clos, soit que la neutralité recherchée par l’artiste en anesthésie l'émotion. Entre ego pléthorique et attirance du vide effaçant toute singularité (au risque d’une certaine froideur), la voie de l’accord sensible est décidément parfois étroite.

Odile de Loisy

Notes :

1) Lee Ufan, Un art de la rencontre, trad. du japonais par Anne Gossot, Arles, Actes Sud, 2002.
2) Ibid., p.6.
3) Ibid., p.7.
4) Ibid., p.6.

A gauche : Lee Ufan, Relatum-Fontaine en pierre, 2021. A droite : Lee Ufan, Relatum-Ciel sous terre, 2021. Pour les deux : © ADAGP Lee Ufan. Photo archives Kamel Mennour. Courtesy the artist and Kamel Mennour, Paris

« Requiem », une exposition de 14 œuvres de Lee Ufan dans la nécropole des Alyscamps, à Arles. Ouvert tous les jours (sauf jours fériés), de 9h à 19h, jusqu’au 29 septembre 2022.

Lee Ufan Arles
5 rue Vernon 13200 Arles
Contact : 09 78 07 83 26 - contact@leeufan-arles.org - www.leeufan-arles.org
Du mardi au samedi de 10h à 18h.

 

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