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Dominique Blais, la présence du caché à la Chapelle du Genêteil (53)

Publié le : 16 Octobre 2019
Pour sa nouvelle exposition, le Carré, scène nationale et centre d’art contemporain à Château-Gontier en Mayenne, a donné carte blanche à Dominique Blais à la chapelle du Genêteil. Invitant à l'observation et à la déambulation, Dominique Blais ramène la Chapelle du Genêteil à une certaine sacralité au travers d'un dispositif sculptural et pictural pensé pour le lieu. L’édifice religieux est réinvesti d'éléments de mobilier divers et de tableaux peints spécifiquement à cette occasion. Impressions et point de vue du Père Michel Brière.

Ailleurs des friches industrielles, ici des chapelles désaffectées, là des châteaux abandonnés, de nombreux bâtiments chargés d’histoire accueillent aujourd’hui musées, expositions, manifestations diverses, concerts et spectacles. La culture boucherait-elle les trous laissés par des faillites économiques et idéologiques, des conceptions épuisées ? L’âme de la culture, l’art authentique, y fait entendre ses interpellations prophétiques.

Un lieu

Un simple regard sur l’intérieur de la chapelle du Genêteil à Château-Gontier révèle une longue histoire : ouvertures murées, éléments rajoutés, symétrie désordonnée. Construite au XIIe siècle, sa nef est coupée du transept et du chœur au tournant du XVIIe siècle. Elle sera définitivement séparée en deux au milieu du XVIIIe. Lieu de culte pour les moines, annexe d'un collège puis casernement, elle est sauvée de la démolition en 1973 et classée monument historique en 1980. Après avoir servi à des expositions ponctuelles, en 1996, Le Carré, scène nationale - centre d'art contemporain, prend en charge une programmation annuelle. J’y ai le souvenir d’expositions inoubliables de Bertrand Gadenne (Le temps suspendu, 1997) à Fiona Tan au printemps 2008 en passant par Claude Lévêque (Boomerang, 2003). Elles imprègnent ma mémoire et participent à la charge de ce qui fait proprement un lieu. Aujourd’hui, Dominique Blais investit ce lieu. Son installation s’intitule : « Messe grise ».

Dominique Blais « Messe grise », 2019 – Le Carré, Scène nationale – Centre d’art contemporain d’intérêt national / Château-Gontier sur Mayenne - © Marc Domage – Adagp 2019

Évocation, provocation

Ma première impression en entrant : on a couvert les meubles de la chapelle pour les protéger de la poussière. Il va donc y avoir des travaux ? Mais l’instant d’après, à la fois je me souviens que la chapelle est désaffectée et je remarque quelques invraisemblances. Tout est trop propre, trop blanc, trop bien rangé, et ce que j’avais pris pour un retable a plutôt la forme d’un orgue mais à une place inattendue. De plus une musique étrange émane de sous son voile. Juste posés, des panneaux peints s’appuient sur les murs latéraux.

Tout est évocation et provocation. Le dispositif imite celui d’une église en bonne et due forme. Mais caché ou différé. Il est probable que sous les voiles blancs, les matériaux utilisés n’ont pour seule fonction que d’évoquer : bancs, autel et orgue sont factices. La rigoureuse symétrie du dispositif permet de remarque la dissymétrie que l’histoire à fait subir à l’architecture. Un plancher sommaire détonne. On apprend qu’il n’a pas été retiré suite à la précédente exposition. Les grands panneaux peints évoquent les polyptyques traditionnels. Cinq volets d’un côté, quatre plus un de l’autre, déposés sur des cales. Comme en attente. On apprend qu’ils sont réalisés à partir de peuplier comme ceux de la Renaissance italienne. Noirs, mats avec des trainées luisantes, ils rejouent à leur manière les couleurs mêlées des marmi finti. Des pigments dorés parfois dilués à l’huile rehaussent les noirs du bitume de Judée. Ou s’y noient. Sur le long temps les propriétés chimiques de ces constituants font une peinture en perpétuelle évolution. L’artiste la nomme Dynamique des fluides. J’y vois les combats, autant intimes que cosmiques, de la lumière dans les ténèbres.

La musique diffusée à partir de l’orgue voilé n’a rien d’une musique pour assemblée liturgique. Pas de refrain. Elle associe des dissonances et manifeste son origine électronique en ne renvoyant à aucun instrument identifiable. Personne ne peut reconnaître deux sonates d’Alexandre Scriabine, étirées et inversées, diffusées simultanément, Messe blanche et Messe noire.

DOMINIQUE BLAIS « MESSE GRISE », 2019 – LE CARRÉ, SCÈNE NATIONALE – CENTRE D’ART CONTEMPORAIN D’INTÉRÊT NATIONAL / CHÂTEAU-GONTIER SUR MAYENNE - © MARC DOMAGE – ADAGP 2019

Entre noir et blanc

Entre noir et blanc, l’artiste propose cette Messe grise, indéterminée mais capable de provoquer mon aspiration au divin. Ce sentiment océanique (1) a pour écrin un bâtiment consacré construit pour abriter la réunion des fidèles de Jésus-Christ autour de l’Eucharistie.

De nombreuses questions me viennent à l’esprit. Bâtiment consacré ou seulement affecté ? On peut douter de l’importance que nous, en Eglise, nous accordons au rite de consécration de nos chapelles et églises en activité quand nous les voyons, sous prétextes pastoraux, transformées en salles polyvalentes, lieu d’exposition ou salles de concert. Lorsqu’elles sont désaffectées, existe-t-il un rite de dé-consécration ? On lit que la puissance publique propriétaire, « si le bâtiment n'abrite pas plus de deux événements par an, a le droit de demander sa désaffectation ». Mais une église désaffectée n’est pas déconsacrée…

Messe grise met « en attente » éléments visuels et sonores de la liturgie catholique. En les voilant, Dominique Blais ouvre à tous un champ de méditation poétique. Il augmente le pouvoir suggestif de ce dispositif sur des spectateurs renvoyés à leur imaginaire selon leur sensibilité, leur culture, leur croyance. Les mettant en dialogue avec une peinture dynamique, en train de se faire, il insère son travail dans le vaste travail de la nature inséparable de la culture. Cette présence du caché en mouvement, juste évoquée, les chrétiens la croient à l’œuvre, de même, non seulement dans l’esthétique liturgique mais partout où se vivent don de soi et solidarité fraternelle au nom du Christ.

Père Michel Brière

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(1) Cette expression trouve son origine dans une lettre du trop oublié Romain Rolland à Sigmund Freud.

Toutes les informations pratiques pour visiter l'exposition en cliquant ici.

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