Organisée par Fabrizio Biferali, Conservateur du Département de l’Art des XVe-XVIe siècles des Musées du Vaticcan, l’exposition de cette saison propose, par la confrontation de deux œuvres, de nous faire méditer sur le mystère du sacrifice rédempteur du Christ.
Il s’agit d’abord de remettre en lumière deux oeuvres de deux maîtres de la Renaissance italienne : la cimaise du retable de l’Eglise franciscaine de Pessaro, par le vénitien Bellini, et un tableau de l’archiconfraternité de Santa Maria dell Orto à Rome, de son cadet le siennois Giovanni Bazzi, dit Sodoma.
La puissance des images permet d’enrichir la méditation sur le thème de la Passion du Christ, cœur de la tradition chrétienne et symbole du sacrifice de Jésus pour la rédemption de l’humanité. La comparaison des deux œuvres, que propose l’exposition, apporte, de plus, une lecture originale sur ce thème.
Entre 2021 et 2023 le site Vatican News présentait une rubrique : « L’Art qui console », visant à présenter les chefs d’œuvre des collections pontificales accompagnés par les paroles des Papes. On pouvait y voir déjà le tableau de Bellini associé à une citation de St Jean Paul II sur la Résurrection.
Nous proposons de découvrir ici comment une contemplation conjointe de ces deux tableaux à la lumière de la théologie du corps résonne encore plus fortement avec les paroles de ce Pape et même avec celles de son successeur.

Cette huile sur toile réalisée vers 1475 comme pieta au-dessus d’un retable figurant le couronnement de Marie, représente le moment où Marie Madeleine, Joseph d’Arimathie et Nicodème préparent le corps du Christ avant son ensevelissement (Jn, 19, 38-42 et Mt 27, 57- 61).
Observez la carnation du visage du Christ par rapport à celui des personnages. Le teint est verdâtre, la mort fait son œuvre, le corps est cadavre.
Observez également le mélange d’abandon et de raideur du corps du Christ. L’épaule et les mains, comme l’œil clos disent la résignation obéissante, passive. Le nez et le menton tendus vers le haut suggèrent la révulsion face à la fin de la vie.
L’homme, mort, est au plus bas de sa condition; il va descendre au tombeau sous le regard grave, éploré mais aussi pudique des trois vivants qui le surplombent. La lumière diurne de ce ciel bleu éclaire crûment la tristesse de la scène. Les paupières voilent le regard face au mystère incompréhensible et à la désolation de la chair, seule visible.
Qu’est-ce que la Foi permet d’attendre ?

Ce tableau-ci, également une huile sur toile, réalisée 30 ans après la Lamentation sur le Christ mort, pour la méditation privée, montre le corps du Christ soutenu par quatre anges.
Observons le contraste fort entre le noir du fond ou de certains vêtements et le blanc laiteux, quasi rosé, lumineux, des corps.
Observons les visages des anges : ils sont très peu modelés, ce sont des êtres spirituels, leurs corps sont de simples images. Au contraire celui du Christ présente des muscles comme encore palpitants. Le sang coule vif de la plaie au côté et de la main. Dans le visage, les narines pincées et la bouche entr’ouvertes évoquent le sommeil.
Les cuisses tirées du tombeau sont grises mais le thorax et le visage, soutenus par ce concert d’anges qui intercède, sont d’ivoire : la vie spirituelle ne meurt pas avec le corps mortel, elle attend, portée par la communion des âmes, la résurrection.
Dans le noir mystérieux du tombeau, les yeux spirituels, eux, comprennent : au-delà de la mort, avec le Christ, demeure la Vie.
Ces deux tableaux ne sont pas des scènes réelles, mais ils manifestent la fécondité des œuvres conçues en esprit.
Le premier, de Bellini, est une reconstitution imaginaire car les trois personnages autour du Christ ne sont mentionnés en même temps dans aucun des quatre évangiles pour le passage sur l’ensevelissement. Pourtant, leur présence conjointe donne une grande intensité dramatique et symbolique à la scène : Joseph d’Arimathie, le juste, tient le Christ dans ses bras. Nicodème, le sage qui avait reçu la révélation du baptême de l’eau et de l’Esprit pour renaître d’en haut, tient le vase contenant l’huile pour l’onction d’embaumement. Marie Madeleine, la grande pardonnée et la grande aimante, oint les mains du Christ avec affection et recueillement.
Faisant comme un berceau de leurs corps autour de celui du pauvre homme mort, il l’enfouissent déjà dans leur compassion respectueuse. Ici se noue, par les liens du cœur, la sur-vivance de ce défunt dont le message et la présence les a tous marqués à jamais. Il faut maintenant aux trois restants vivre avec cette énigme et espérer que ses promesses se réaliseront. Bellini nous raconte l’histoire de nos propres séparations d’avec les vivants que nous avons profondément aimés.
Le second tableau ne met en scène aucune histoire relatée auparavant. Allant plus loin que l’imagination, il nous propose une sorte de compréhension mystique de la mort, qu’il nous fait comprendre comme un passage, de la vie terrestre à la vie éternelle. Les anges sont quatre, comme les quatre points cardinaux, signe du Cosmos, pour soutenir l’Unique, l’Homme-Dieu qui est entré dans la mort pour sauver l’Humanité. Leurs têtes, avec leurs yeux en larmes ou extatiques et leurs ailes animées par la couleur font comme une présence vibrante spirituelle qui manifeste l’intensité de l’esprit du personnage qu’ils entourent. Ce grand corps blanc transpercé, tordu par la douleur est celui d’un agneau offert en sacrifice, mais ces quatre silhouettes aux riches vêtements, qui soutiennent et réconfortent au premier plan, qui contemplent et implorent vers plus haut qu’eux au second plan, disent que la mort ne supprime pas les liens d’identité, le lien suprême de la créature avec son Créateur. Bazzi nous fait espérer, par la foi, l’entrée de ceux qui sont restés fidèles à la volonté du Père dans la vie éternelle, à la suite du Christ qui les précède ici. Par cette vision, il nous offre un viatique pour les moments où nous affrontons à notre tour la conscience de l’arrivée, un jour, de notre propre mort. Saurons-nous croire que nous ne serons pas seuls face à elle ?
« Il faut certes passer à travers la mort, mais désormais avec la certitude que nous rencontrerons le Père lorsque » cet être corruptible aura revêtu l’incorruptibilité et que cet être mortel aura revêtu l’immortalité « . Alors on verra clairement que » la mort a été engloutie dans la victoire » et on pourra l’interpeller avec une attitude de défi, sans peur: » Où est-elle, ô mort, ta victoire? Où est-il, ô mort, ton aiguillon? » »

« les artistes et les hommes de culture sont appelés à être les témoins de la vision révolutionnaire des Béatitudes, leur mission n’est pas seulement de créer de la beauté, mais de révéler la vérité, la bonté et la beauté enfouies dans les plis de l’histoire, de donner une voix aux sans-voix, de transformer la douleur en espérance ».
Pape François Homélie du 16 février 2025 à l’occasion du Jubilé des artistes, retranscrite par Vatican News.
Ariane de Medlege