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Une rencontre mystique entre Orient et Occident : Takashi-Paul Nagai

Dans le parcours de l’exposition « L’Art de la Paix : Nagasaki, 9 août 1945, 11h02 » qui se tient  à la mairie du Vème arrondissement à Paris jusqu’au 17 novembre, vous pouvez voir une  évocation de la destruction de Nagasaki par la bombe atomique à travers 120 photos et objets  contemporains de l’événement, mais aussi découvrir les liens historiques entre le Japon et  l’Occident qui ont amené Nagasaki à être le berceau de la chrétienté au Japon, avant d’être la  victime du paroxysme du conflit entre le Japon et les Etats-Unis au cœur de la seconde guerre  mondiale. 
Publié le 12 novembre 2025

Parmi les œuvres présentées, une gouache sur papier de Takashi Nagai, peinte par le  professeur-radiologue japonais en 1945, après le bombardement et la découverte des ossements calcinés de sa femme au milieu des cendres de sa maison, s’intitule : « Assomption de Midori vers le ciel ». 

« L’Assomption de Midori vers le ciel », Takashi Nagai, gouache sur papier, vers 1945. Nagasaki, Takashi Nagai Museum

La grâce de la figure, le choix du modèle, son vêtement, le tracé au pinceau et le traitement  en lavis avec les Kanji (caractères japonais) qui légendent l’œuvre signent incontestablement  l’origine nippone de l’artiste. Cependant, la délicate Midori au port de reine, en tenue de combat (elle porte le pantalon rayé des samouraï) a une attitude étrangère à la culture asiatique, avec ses mains jointes et son regard extasié d’orante, levé vers un ciel que l’on devine  habité d’une présence divine :

Détail de « l’Assomption de Midori vers le ciel »

Nous sommes en présence d’une figure étonnante, dans la veine du courant artistique Nihonga  apparu durant l’ère Meiji, comme un pont entre l’Orient et l’Occident. L’essence spirituelle du  sujet, exprimée par le tracé sans repentir dans un geste rapide et fluide, est à la manière Zen.  Pourtant, le nuage, thème cher aux artistes chinois et japonais, nous amène doucement vers  l’inspiration occidentale de cette œuvre : 

Détail de « l’Assomption de Midori vers le ciel »
« 9 août 1945 », Cliché N/B pris par l’aviation américaine, WW II Museum

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il ne s’agit pas ici seulement de volutes moutonnantes « en escargot », comme on en voit dans  les peintures japonaises pour rytmer l’espace, mais d’un champignon ascensionnel qui  rappelle tragiquement le nuage atomique du 9 août 1945. 

Au dessus de ce nuage, la jeune femme aux mains jointes dans un abandon confiant, au visage  priant mais en même temps serein, fait écho à la Vierge de « l’Immaculée conception » de  Murillo. Takashi Nagai, grand artiste autant que professeur de radiologie reconnu par la faculté  de médecine de Nagasaki, a certainement puisé dans la rencontre avec cette image pour créer  son œuvre.

« L’immaculée conception », Bartolomé Murillo, huile sur toile, 1678
« Assomption », Takashi Nagai, gouache sur papier et « L’Assomption de Midori… » op. cit.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le tableau de Murillo avait inspiré une grande statue en bois, offerte par l’ambassadeur  d’Espagne à l’Eglise de Nagasaki au début du XXème siècle et placée au dessus de l’autel  majeur de la cathédrale de Nagasaki, après l’achèvement de cette dernière en 1905. De la  vierge en bois, après le bombardement, il reste seulement une tête calcinée aux orbites vides,  d’une tristesse déchirante, « témoignant de l’intensité et de la folie de la guerre », comme  l’indique le catalogue de l’exposition « L’Art de la Paix, Nagasaki, 9 août 10945, 11h02 » où un  moulage du vestige est également présenté.

Moulage de la tête de la Vierge atomisée de la cathédrale d’Urakami (faubourg de Nagasaki) Modèle original en bois, Espagne début du XXème siècle.

Mais le message de la peinture de Takashi Nagai offre un élan de résilience aux habitants  traumatisés de Nagasaki, en appui sur une Histoire dans la longue durée. Son travail d’artiste  témoigne de la profonde influence culturelle et spirituelle des missions depuis leur arrivée au  Japon au XVIème siècle, ainsi que des échanges culturels et intellectuels Japon-Occident du  XIXème siècle et du début du XXème siècle durant l’ère Meiji. 

Midori Moryama – Nagai, fille de chrétiens persécutés et clandestins sur sept générations a  accompagné la conversion et la maturation de la foi chez son ami puis époux Takashi. Dans  l’horreur de la catastrophe nucléaire, le médecin devenu veuf donne sans compter les  dernières années qui lui restent à vivre (en avril 1945, il se découvre atteint d’une leucémie  chronique fatale, à cause d’une trop grande exposition aux rayons X depuis le début de la guerre afin d’examiner les blessés des bombardements aériens). Il soigne encore et encore et  délivre le sens spirituel de cette épreuve infligée aux habitants de Nagasaki, dans un discours  prononcé à la demande de l’archevêque de Nagasaki, le 23 novembre 1945, lors d’un  hommage funéraire aux victimes de la bombe atomique en la cathédrale de Nagasaki. Nagasaki, qui ne figurait pas au départ sur la liste des cibles américaines, est une victime  innocente dont le sacrifice a permis l’arrêt de la guerre.  

Ici, le catéchisme s’incarne dans une œuvre à la fois asiatique et occidentale : l’«Assomption  de Midori vers le ciel» nous montre un dessin nihonga mais aussi une assimilation de  l’enseignement chrétien, celui qui invite à percevoir à travers une épreuve affective  personnelle, l’intuition de l’offrande expiatoire de la souffrance, l’hommage de l’amour  conjugal chrétien et enfin l’espérance en la vie éternelle. 

Est-ce de l’art sacré ? Non sans doute, pas au sens liturgique du terme : cette gouache, qui  porte un caractère profondément anecdotique, n’a pas vocation à orner une église. Cependant  elle touche, en une synthèse de l’art et de la méditation chrétienne, la corde sensible de la vie  du cœur, celle qui est à la source des œuvres d’art sacré.  

A travers les dernières œuvres de Takashi Nagai, l’Invisible se révèle. Comme une Madone en  Assomption, Midori est une inspiratrice de la foi en la Résurrection. Dans une dernière œuvre, « Branche de Chimonanthe(1) figuré devant une statue de la Vierge », réalisée en 1950(2), après que le médecin ait offert en 1948 la plantation de mille cerisiers sur un versant d’une colline de Nagasaki, appelant à la résurrection de sa ville pour les générations à venir, c’est encore  l’ardente foi mariale de Takashi Nagai qui parle, héritée de l’Occident et probablement de sa  rencontre avec le franciscain St Maximilien Kolbe, missionnaire à Nagasaki dans les années 30.

« L’Assomption de Midori vers le ciel », Takashi Nagai, gouache sur papier, vers 1945. Nagasaki, Takashi Nagai Museum
« Branche de chimonanthe figuré devant une statue de la Vierge », Takashi Nagai. Gouache originale, vers 1950. Nagasaki, Takashi Nagai Museum

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

A la jonction entre l’Orient et l’Occident, un exemple de l’Art de la Paix inspire une œuvre d’art  exprimant le Sacré.

 

Ariane de Medlege 

Notes

  • (1) Chimonanthe : arbre précoce dont la floraison apparaît dès l’hiver et dont le feuillage embaume.
  • (2) Takashi Nagai meurt le 1er mai 1951.

 

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