La célébration liturgique commence dans l’Eglise catholique, aux vêpres le trente et un octobre et se termine à la fin du premier novembre. Elle précède donc d’un jour la commémoration de tous les fidèles défunts dont la solennité est fixée au deux novembre. Les chrétiens se réunissant cette fois pour prier les défunts qui ne sont pas au Paradis mais au purgatoire. La Toussaint étant souvent confondue avec la commémoration de tous les fidèles défunts. Célébrer les obsèques devenant ainsi presque une réalité quasi métaphysique entre les défunts et les vivants pour faire partie d’un seul corps mystique dont le Christ serait à la tête.
Néanmoins, quels sont les artistes qui ont consacré leur art religieux à la représentation de la Toussaint ? Quelles sont leurs motivations ?
Ils ne sont pas très nombreux à peindre cette communion des saints, tant cette commémoration demande une intériorité préparée à la croisée du spirituel et du rituel ; un accompagnement marqué par la représentation iconographique des familles endeuillées. Peindre ce moment requiert d’appréhender de même un héritage cultuel complexe avec clairvoyance et sans prosélytisme. C’est aussi avoir en mémoire que cette fête de tous les saints, est ainsi nommée car ces personnes sont devenues saintes en raison de leur participation aux fruits de la rédemption, au rachat de leurs âmes par le Christ. Le but aussi dans ce genre de peinture est bien d’insister stylistiquement sur le fait qu’il ne faut pas uniquement conserver nos églises (le patrimoine matériel) pour une pratique religieuse ou spirituelle mais qu’il est important pour les artistes de montrer au delà d’un savoir faire technique qui remonterait à l’histoire de la peinture : les traditions. (Le patrimoine immatériel chrétien)
L’impact de ce patrimoine religieux peut-être vue par exemple sur une œuvre d’Emile Friant qui réalisa en 1888 une composition qui obtint un prix spécial : une médaille d’or au Salon de 1889 et qui est intitulée : La Toussaint.
Ce tableau est conservé aujourd’hui au musée des Beaux-Arts de Nancy. L’artiste a obtenu la reconnaissance du jury et du Ministère de l’Instruction Publique et des Beaux-Arts, car il y avait une véritable prouesse technique à représenter des grandes zones blanches et noires avec ses multiples déclinaisons sinistres et ses nuances sombres. Le succès sera au rendez-vous.
C’est une huile sur toile et la scène se situe exactement le jour de la Toussaint, à l’entrée du cimetière de Préville à Nancy, en Lorraine. Nous sommes donc le premier novembre 1888 et le tableau sera présenté, l’année suivante au Salon décoré de lourdes tentures avec d’autres tableaux accrochés à touche-touche. Il se démarque des autres toiles, par son format (254 X 334cm), par son sujet et sa construction effectuée comme un instantané photographique avec une division des plans qui suit une grande diagonale qui barre le tableau en deux. Derrière le premier plan, cohabite un deuxième plan avec une touche plus impressionniste, éclatante de par la blancheur de la neige, en cet instant hivernal : c’est le cimetière hâtivement ébauché.
D’un coté sur la gauche, adossé à un mur délavé et décrépi de l’entrée du cimetière nancéien, un aveugle pauvrement vêtu, les mains recouvertes de vieux gants, tient un affichette indéchiffrable et un gobelet. Il est assis sur un tabouret recouvert d’un coussin usé, les jambes réchauffées par une couverture rayée ; il implore la charité des visiteurs. Il espère tristement récolter une petite aumône, la tête légèrement penchée, recouverte d’un bonnet noir. Le peintre a signé de ce côté de la composition : E. FRIANT-1888 – De l’autre coté, nous trouvons une famille de la haute bourgeoisie vêtue entièrement de vêtements de deuil et de dentelles. On trouve un homme adulte qui porte un chapeau haut de forme, noir et un parapluie. Il arbore fièrement une moustache comme le veut la mode de cette fin du XIX° siècle. Deux femmes dont l’une porte un bouquet de chrysanthèmes de toutes les couleurs, et une fillette, se dépêchent de donner leur obole au mendiant. Derrière une autre femme (qui semble sortir du cadre du tableau) tient elle aussi un pot de chrysanthèmes blancs.
De cette frise noire constituée par le groupe, de cette procession lugubre, se détachent des visages parfaitement dessinés, fermes et qui ne laissent passer aucune émotion, aucuns pleurs. Ils ont été patiemment étudiés et vraisemblablement peints dans l’atelier d’Emile Friant d’après des photographies. Cette façon de peindre presque réaliste contraste avec le traitement de la suite de la composition.
Au-delà de la grille qui ferme le cimetière et devant laquelle se pressait la famille, un paysage hâtivement brossé est semé de silhouettes noires. Cette foule dans une deuxième procession se dirige vers les tombeaux.
En 1912, le Ministère de l’Instruction Publique et des Beaux-Arts demandait à Louis Genevray de rédiger une notice à propos du tableau de Friant :
« Toute cela, on le voit, ne dépasse pas les proportions d’un banal épisode de la vie parisienne, car il savait encore lire ce qu’impliquait la scène représentée. La codification du deuil bourgeois, connue à travers de multiples recueils d’usages et de comportements, nous permet de reconstituer avec certitude ce qui précéda ce premier novembre. Un des hommes de la famille est mort il y a cela plus de six semaines- aucune sortie en ville n’étant possible pour les femmes avant l’expiration de ce délai-, mais moins de dix-huit, puisque la tenue est encore celle du « grand deuil » et qu’aucun bijou n’est porté. Les rituels funéraires hérités de la monarchie restent très présents encore à la fin du XIX° siècle, et s’assortissent encore du secours aux miséreux auquel va procéder la fillette qui mène le cortège. (2) Nous pouvons donc aisément conclure qu’Emile Friant a fort bien réussi à nous présenter une grande famille lorraine respectant scrupuleusement les rites du deuil de la Toussaint, avec sa conception de la charité et peut-être aussi les principes éducatifs qui en découlent. Ce rituel funéraire hérité des siècles précédents se répand au cours du XIX° siècle depuis les villes vers les campagnes. C’est bien le sens de ce tableau nommé « La Toussaint ».
Jeanne Villeneuve


