LA TOUSSAINT

La commémoration de la fête de la Toussaint consacrée à tous les saints martyrs est une des manifestations du patrimoine immatériel, la plus présente et la plus populaire des fêtes religieuses. Elle puise son origine entre tradition et dévotion tout en mêlant folklore et sacralité, chrysanthèmes (1) et visites aux défunts. La Toussaint célèbre la joie de » tous les saints « qui sont déjà au Paradis auprès de Dieu.
Publié le 31 octobre 2025

La célébration liturgique commence dans l’Eglise catholique, aux vêpres le trente et un octobre et se termine à la fin du premier novembre. Elle précède donc d’un jour la  commémoration de tous les fidèles défunts dont la solennité est fixée au deux novembre. Les chrétiens se réunissant cette fois pour prier les défunts qui ne sont pas au Paradis  mais au purgatoire. La Toussaint étant souvent confondue avec la commémoration de  tous les fidèles défunts. Célébrer les obsèques devenant ainsi presque une réalité quasi  métaphysique entre les défunts et les vivants pour faire partie d’un seul corps mystique  dont le Christ serait à la tête. 

Néanmoins, quels sont les artistes qui ont consacré leur art religieux à la représentation  de la Toussaint ? Quelles sont leurs motivations ?  

Ils ne sont pas très nombreux à peindre cette communion des saints, tant cette  commémoration demande une intériorité préparée à la croisée du spirituel et du rituel ; un accompagnement marqué par la représentation iconographique des familles  endeuillées. Peindre ce moment requiert d’appréhender de même un héritage cultuel  complexe avec clairvoyance et sans prosélytisme. C’est aussi avoir en mémoire que cette  fête de tous les saints, est ainsi nommée car ces personnes sont devenues saintes en  raison de leur participation aux fruits de la rédemption, au rachat de leurs âmes par le  Christ. Le but aussi dans ce genre de peinture est bien d’insister stylistiquement sur le  fait qu’il ne faut pas uniquement conserver nos églises (le patrimoine matériel) pour une  pratique religieuse ou spirituelle mais qu’il est important pour les artistes de montrer au  delà d’un savoir faire technique qui remonterait à l’histoire de la peinture : les  traditions. (Le patrimoine immatériel chrétien) 

L’impact de ce patrimoine religieux peut-être vue par exemple sur une œuvre d’Emile  Friant qui réalisa en 1888 une composition qui obtint un prix spécial : une médaille d’or au Salon de 1889 et qui est intitulée : La Toussaint.
Ce tableau est conservé aujourd’hui au musée des Beaux-Arts de Nancy. L’artiste a obtenu la reconnaissance du jury et du Ministère de l’Instruction Publique et  des Beaux-Arts, car il y avait une véritable prouesse technique à représenter des  grandes zones blanches et noires avec ses multiples déclinaisons sinistres et ses nuances sombres. Le succès sera au rendez-vous.
C’est une huile sur toile et la scène se situe exactement le jour de la Toussaint, à l’entrée  du cimetière de Préville à Nancy, en Lorraine. Nous sommes donc le premier novembre 1888 et le tableau sera présenté, l’année suivante au Salon décoré de lourdes tentures  avec d’autres tableaux accrochés à touche-touche. Il se démarque des autres toiles, par  son format (254 X 334cm), par son sujet et sa construction effectuée comme un instantané photographique avec une division des plans qui suit une grande diagonale  qui barre le tableau en deux. Derrière le premier plan, cohabite un deuxième plan avec  une touche plus impressionniste, éclatante de par la blancheur de la neige, en cet instant hivernal : c’est le cimetière hâtivement ébauché.  

D’un coté sur la gauche, adossé à un mur délavé et décrépi de l’entrée du cimetière  nancéien, un aveugle pauvrement vêtu, les mains recouvertes de vieux gants, tient un  affichette indéchiffrable et un gobelet. Il est assis sur un tabouret recouvert d’un coussin  usé, les jambes réchauffées par une couverture rayée ; il implore la charité des visiteurs.  Il espère tristement récolter une petite aumône, la tête légèrement penchée, recouverte  d’un bonnet noir. Le peintre a signé de ce côté de la composition : E. FRIANT-1888 – De l’autre coté, nous trouvons une famille de la haute bourgeoisie vêtue entièrement de  vêtements de deuil et de dentelles. On trouve un homme adulte qui porte un chapeau  haut de forme, noir et un parapluie. Il arbore fièrement une moustache comme le veut la  mode de cette fin du XIX° siècle. Deux femmes dont l’une porte un bouquet de  chrysanthèmes de toutes les couleurs, et une fillette, se dépêchent de donner leur obole  au mendiant. Derrière une autre femme (qui semble sortir du cadre du tableau) tient  elle aussi un pot de chrysanthèmes blancs.
De cette frise noire constituée par le groupe, de cette procession lugubre, se détachent  des visages parfaitement dessinés, fermes et qui ne laissent passer aucune émotion,  aucuns pleurs. Ils ont été patiemment étudiés et vraisemblablement peints dans l’atelier  d’Emile Friant d’après des photographies. Cette façon de peindre presque réaliste  contraste avec le traitement de la suite de la composition.
Au-delà de la grille qui ferme le cimetière et devant laquelle se pressait la famille, un  paysage hâtivement brossé est semé de silhouettes noires. Cette foule dans une  deuxième procession se dirige vers les tombeaux.

En 1912, le Ministère de l’Instruction Publique et des Beaux-Arts demandait à Louis  Genevray de rédiger une notice à propos du tableau de Friant :
« Toute cela, on le voit, ne dépasse pas les proportions d’un banal épisode de la vie  parisienne, car il savait encore lire ce qu’impliquait la scène représentée. La codification du  deuil bourgeois, connue à travers de multiples recueils d’usages et de comportements, nous  permet de reconstituer avec certitude ce qui précéda ce premier novembre. Un des hommes  de la famille est mort il y a cela plus de six semaines- aucune sortie en ville n’étant possible  pour les femmes avant l’expiration de ce délai-, mais moins de dix-huit, puisque la tenue est  encore celle du « grand deuil » et qu’aucun bijou n’est porté. Les rituels funéraires hérités  de la monarchie restent très présents encore à la fin du XIX° siècle, et s’assortissent encore  du secours aux miséreux auquel va procéder la fillette qui mène le cortège. (2) Nous pouvons donc aisément conclure qu’Emile Friant a fort bien réussi à nous  présenter une grande famille lorraine respectant scrupuleusement les rites du deuil de  la Toussaint, avec sa conception de la charité et peut-être aussi les principes éducatifs  qui en découlent. Ce rituel funéraire hérité des siècles précédents se répand au cours du  XIX° siècle depuis les villes vers les campagnes. C’est bien le sens de ce tableau nommé  « La Toussaint ».

 

Jeanne Villeneuve 

Notes

  • (1). Le chrysanthème est la fleur d’or qui vient de Chine. C’est un symbole confucéen de  l’automne et promesse d’éternité. Elle fut choisie pour sa résistance aux premières  gelées sur les tombes le jour de la Toussaint.
  • (2). Collection « Musée pédagogique » fascicule de vingt-six planches avec commentaire  intitulé Peintre de la vie moderne par Louis Genevray
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