Quel point commun unit les peintres Raoul Ubac, Claude Viallat, Gottfried Honegger, François Rouan ou Jean-Michel Alberola, dont les trajectoires, les ambitions plastiques, les carrières sont d’une diversité extrême ? Aucun si ce n’est qu’ils ont uni leurs forces d’invention plastique, diverses voire contraires, pour faire de leurs vitraux contemporains couvrant 1052 m2 de surface dans la cathédrale de Nevers une réalisation singulière, extraordinaire au sens littéral du mot. Et l’ensemble, dans son foisonnement que certains taxeraient d’incohérence, s’impose aujourd’hui comme une création esthétiquement exceptionnelle qui marque avec éclat les dernières décennies du XXe siècle et l’aube de notre siècle.
Le directeur de cet ouvrage de synthèse, Jean de Loisy, qui préside actuellement aux destinées du Palais de Tokyo, rappelle en un stimulant avant-propos les enjeux et les difficultés de cette commande qui mit près de quatre décennies pour aboutir, de 1973 à 2010. Au sein de notre société sécularisée et grâce à l’aide continue de l’Etat, ces artistes, qui comptent parmi les plus grands de leur temps, ont pu servir autant leur sens personnel de la création qu’une expérience intime du religieux. Ils ont surtout eu à cœur d’inventer dans une matière et un métier exigeants, avec l’aide de maitres verriers et d’ateliers de vitraux tels que les ateliers Duchemin, Dhonneur et Simon, des formes porteuses d’un sens et d’un effet plastique qui dépassent l´expérience ordinaire: le mot de sacré, dans sa puissance polysémique, rend justice à la force inventive de ces torrents de lumière et de couleur qui vivifient ce patrimoine de pierre.
Mais il ne sert à rien de jouer sur l’effet magique des mots et sur le sens imprécis de ce vocable « sacré », si galvaudé. Avec la rigueur et la radicalité qu’on lui connaît, le Père Couturier savait dans les années 1950 être provocateur en affirmant sans ambages qu’ “il est plus sûr de s’adresser à des génies sans la foi qu’à des croyants sans talent”. Plusieurs décennies plus tard, la question est toujours d’actualité et le pari demeure crucial : à qui faire appel pour réaliser des vitraux religieux ? La foi sincère et ardente supplée-t-elle le génie ? Et comment la puissance du génie permet-elle de nourrir vraiment une œuvre d’art à destination catholique ? Seul a toujours compté, nous le savons bien le résultat final : à Nevers les fulgurances et les illuminations de certaines verrières sauvent assurément l’ensemble.
Dans l’évidence plastique des coulées de lumière et de couleur qui se déploient avec l’invention d’un Claude Viallat, dans la nouveauté et la puissance figurative des compositions colorées d’un Jean-Michel Alberola, dans les subtils et mystérieux entrecroisements formels d’un François Rouan, la puissance d’évocation du vitrail contemporain se manifeste en plénitude. Et la qualité des textes de cet ouvrage– saluons parmi les auteurs nos collaboratrices Fanny Drugeon et Christine Blanchet-Vaque- jointe à la beauté des illustrations comme à l’efficacité de la mise en page attestent que la cathédrale de Nevers a joué, dans le monde du vitrail des quatre dernières décennies, le rôle qui revint à la chapelle d’Assy dans le renouveau de l’art sacré d’église pour les années 1950. L’exemple de Nevers, jusque dans les difficultés et les atermoiements de sa réalisation effective, donne la preuve éclatante que le génie inventif est prêt à surgir et à s’incarner dans des formes inédites, même si le programme esthétique ou iconographique a manqué d’une véritable unité.
Cet ensemble de vitraux, divers et multiples, couvre 1052 m2, qui sont devenues un des visages dont peut être fier le monde catholique contemporain. Trois mots résument cette entreprise, où se sont unis les efforts et l’argent de l’Etat, les désirs de l’Eglise et les ambitions visionnaires des artistes : liberté, audace, invention.
Paul-Louis Rinuy
« L’affaire des 1052 m2. Les vitraux de la cathédrale de Nevers », sous la direction de Jean de Loisy,
Dijon, Presses du Réel, 2010, 254 p., photographies en couleurs.
Textes de Jean-Michel Alberola, Jérôme Alexandre, Paul Barnoud, Christine Blanchet, Anne Dallant, Francis Deniau, Isabelle Denis, Fanny Drugeon, Gottfried Honegger, Christelle Langrené, Jean de Loisy, François Rouan, Claude Viallat.
Paru en mai 2011
édition française
22,7 x 28,7 cm (relié)
256 pages (ill. coul. et n&b)
40.00 €