Experte à Drouot depuis 1987 et enseignante aux Bernardins, Ariane de Saint Marcq est une des meilleures spécialistes françaises des icônes. Son œil exercé et toujours émerveillé nous fait découvrir une curiosité de l’histoire de l’art, une peinture anonyme de l’école crétoise de la seconde moitié du XVème siècle, à la fois icône et tableau italien. La Crète, colonie de la république de Venise depuis 1204 et la 4ème croisade, était devenue le refuge des savants et des artistes byzantin après la prise de Constantinople par les Turcs en 1453. Dans ce creuset se mêlèrent l’influence de la Renaissance italienne et les caractéristiques de l’art byzantin. Les vénitiens vendant les icônes à une clientèle hétérogène, les iconographes produisirent des créations inédites comme la peinture que nous allons admirer.

Noël est affaire de rencontre…
Ici, c’est la rencontre du ciel et de la terre dans le mystère de Noël qui nous est proposée, avec l’Enfant-Jésus dans sa mangeoire, réchauffé par l’âne et le bœuf. Et c’est aussi le dialogue entre deux manières artistiques, comme en témoigne la division en deux triangles rectangles symétriques de la composition, le long d’une diagonale qui suit la ligne de la montagne.
Arrêtons-nous sur la partie se déployant en dessous de cette diagonale :
Nous voilà en présence d’une icône de style traditionnel byzantin, avec son parti pris de représentation symbolique des personnages, de la roche et des animaux composant le motif. Nul point de fuite, nul modelé des formes, la primauté est donnée à l’écriture du mystère théologique. La montagne qui s’élève de gauche à droite crée un fond d’or pour la scène. La Vierge Marie, au centre, est vêtue à la byzantine avec son voile, le maphorion, orné de trois étoiles qui témoignent de sa viriginité avant, pendant et après la naissance de l’Enfant-Jésus. Plus grande que les autres personnages, elle est couchée sur un lit pourpre, signe de sa royauté et lieu de son repos d’accouchée.

Noël est affaire de naissance…
Marie médite en contemplant son enfant. Au-dessus d’eux, au sommet de la montagne, sept anges chantent la gloire de Dieu au ciel et sur la terre : celui du haut regarde vers le ciel, les six autres se tournent vers la terre pour annoncer la merveille aux bergers. Leur « Gloria in excelsis Deo » fait écho à la mélodie qu’un autre berger joue sur sa flûte, dans le coin inférieur gauche du tableau, pour charmer ses brebis.
Marie, Jésus et Joseph sont graves et traités chacun d’une manière spécifique car, dans le mystère du salut, ils ont chacun leur part d’épreuve.
Joseph affronte le doute, représenté par les deux personnages face à lui, de profil, comme il sied aux « mauvais » dans l’iconographie.

C’est dans la Foi qu’il accepte cette maternité divine qui le dépasse.
Marie, dans son vêtement pourpre et bleu sombre, pressent que son fils accomplira un sacrifice douloureux. Elle est montrée détachée de lui.
Jésus est désigné « Christ » par les lettres d’or qui se détachent du fond noir de la grotte où il repose. Cette naissance exceptionnelle fait éclater la terre : le salut fend même la roche la plus dure !
L’enfant est langé dans des bandelettes qui pourraient être aussi celles d’un corps préparé pour être enseveli, mais qui sont d’un blanc rayonnant : la naissance et la mort sont associées de façon synthétique et optimiste, annonçant la résurrection.
Les trois membres de la sainte famille ont la tête nimbée d’une auréole d’or manifestant la lumière divine qui les habite : leur sainteté.
Le chien blotti paisiblement aux pieds de Joseph et de Marie exprime leur fidélité.
Noël est affaire d’Espérance…
Dans le coin inférieur droit, deux servantes préparent le bain habituel du nouveau-né, mais l’eau purificatrice se déverse dans un bassin en forme de calice, annonciateur du sacrifice qui amènera la rédemption. Le nourrisson qui va être baigné est représenté dans un corps robuste rehaussé de lumière blanche : la vie sera plus forte que la mort. Marie le voit déjà, par la force de l’Espérance.
La partie de l’image au-dessus de la diagonale nous entraîne dans un autre univers. Ici, nous sommes dans un paysage naturaliste, typique des tableaux de l’école vénitienne et du Quattrocento.
Les mages à gauche, nobles cavaliers à cheval, scrutent le ciel à la recherche de l’étoile. Ils sont guidés par un ange aux ailes d’or de style byzantin.

En arrière-plan, un lac, la mer et les montagnes sont estompés pour se fondre dans un ciel vaporeux selon le principe de la perspective atmosphérique. Une ville éclairée aux tours seigneuriales et aux nombreux clochers fait face à une autre ville fortifiée laissée dans l’ombre, à l’intérieur des terres : le Christ vient porter la lumière aux hommes de bonne volonté.
Enfin les deux styles picturaux viennent s’unifier en guidant le regard vers trois nouveaux détails : entre ombre et lumière, les bergers qui gardent leurs troupeaux entendent la voix d’un ange « latin ». Ce dernier vole à la rencontre de l’ange «byzantin» dans le ciel laiteux.

A droite, ce même ciel naturaliste est traversé par un rayon scintillant correspondant au traitement byzantin du thème de la trinité, pour toucher la Vierge et l’enfant dans la partie byzantine de l’icône.
On peut entendre en résonnance les mots du pape Léon XIV dans son discours lors du congrès international mariologique de septembre 2025 à Rome : « Marie est une femme synodale car elle est pleinement et maternellement engagée dans l’action de l’Esprit Saint qui réunit comme frères et sœurs ceux qui croyaient auparavant avoir des raisons de rester divisés. » Oui, en cet Avent, que Noël soit affaire de rencontre, de naissance et d’Espérance !
Ariane de Medlege




