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« La Salus Populi Romani »

« Ils pourront couper toutes les fleurs, ils n’empêcheront jamais le printemps de venir » Pablo Neruda (Vers 1973) (1)
Publié le 11 juin 2025
Écrit par Jeanne Villeneuve

A l’occasion du Jubilé des artistes, le pape François avait dit :
« L’art n’est pas un luxe mais une nécessité de l’esprit. La foi est la principale source  d’inspiration des artistes et de leurs œuvres ; un vecteur indispensable du message  religieux. »
Le pape François a donné un rôle beaucoup plus actif que par le passé à l’Eglise, tout en demandant aux artistes à être et à devenir les témoins spirituels de notre époque, en  construisant plus de ponts entre les différentes formes d’art. Il a d’ailleurs résumé et  développé plus longuement sa conception de l’art, dans son livre « Papa Francesco- La Mia Idea di Arte »(2) co-écrit avec Tiziano Lupi, (auteur du sujet et  du scénario) et Sandra Barbagallo (responsable du département des collections  historiques des musées du Vatican). Cependant nous avons tous en mémoire, lors des  funérailles du pape François, samedi 26 avril 2025, de la présentation, à coté de l’autel,  d’une icône célèbre nommée la Salus Populi Romani. 

C’est là, une œuvre sans équivalent dans l’histoire de l’art des icônes, étroitement liée à  la vie des papes, que l’on a longtemps attribué à l’évangéliste Saint Luc (patron des  peintres et qui aurait rencontré la Vierge Marie au I° siècle ), qui serait peinte sur une  table en bois de cèdre ou de tilleul, et qui aurait été assemblée par Jésus dans l’atelier de  son père ; que la légende reconnaît aussi comme d’origine divine et que le pape François  adorait et vénérait avec dévotion. Depuis ses premières attestations à Rome, l’icône est  associée au culte marial et est très estimée par de nombreux fidèles, pèlerins. Considérée comme miraculeuse, elle est portée à la vénération des fidèles à travers  Rome. Le culte de cette icône est aussi très populaire en Grèce, en Italie du sud, en  Sardaigne, en Sicile… 

Le souverain pontife devait certainement invoquer cette image dans son désir de  rechristianiser le monde, dans l’idée de remettre l’Eglise –pilier de la charité universelle un peu comme le ferait toute bonne mère, dans son assistance et son éducation, au  centre du grand Tout et tant le pape François souhaitait aussi arracher la jeunesse  habitant les périphéries des villes du monde, à sa cohorte de misère. Tant il est vrai aussi que la Vierge qui détient une position unique dans la foi chrétienne, a toujours souhaité nous réunir autour d’elle, parce que nous faisons intimement partie  d’elle-même. En effet, à chaque fois qu’un de ses enfants souffre, elle souffre avec lui. Elle se tient au pied de son lit comme elle se tenait au pied de la Croix. Elle nous exhorte aussi à lire la parole de Dieu, de la mettre au centre de nos vies, de le prier. Dans son rôle unique, elle ne se limite pas à divulguer son amour maternel mais elle incarne aussi l’obéissance et la foi inébranlable en Dieu. Sa réponse positive à  l’annonce de l’archange Gabriel malgré les incertitudes et les défis, illustre si besoin en  est sa profonde confiance en Dieu. Son acceptation a marqué irrémédiablement  l’Annonciation : un moment fort du christianisme où Marie devient le » canal « de  l’Incarnation divine. L’art chrétien a donc toujours considéré la Vierge comme partie  entière de la liturgie (depuis Pie XII), et il a souvent souligné le rapport théologique qui  existe entre l’eucharistie et Marie.  

La Salus Populi Romani (en français : » Sauvegarde du Peuple Romain) est  conservée aujourd’hui dans la chapelle Pauline ou Borghèse de la basilique Sainte  Marie-Majeure à Rome, depuis 1613. 

C’est un type d’icônes très répandues de la Vierge Marie, mère de Dieu, présentée au  deux tiers du buste, debout (et non assise), portant dans les bras son fils en position de  bénédiction. Le panneau de larges dimensions pour une icône (117X 79 cm) présente donc une image familière de la Vierge Marie dont les bras croisés à la taille soutiennent  l’Enfant. Il s’agit en réalité d’une représentation rigide, hiératique, enveloppée dans la  draperie sévère d’un maphorion (du grec maphorion : la chose portée). C’est une sorte  de long voile ou de manteau que les femmes arboraient dans l’Antiquité, couvrant la  tête, les épaules et parfois tout le corps. Il semble dériver de l’Himation (manteau drapé  sans manche de la Grèce antique) qui se serait progressivement adapté aux codes de  pudeur des femmes. Dans l’iconographie byzantine, le maphorion deviendra ensuite le  vêtement distinctif de la Vierge Marie : la Theodokos, (en grec ancien cela veut dire Mère  de Dieu, celle qui a enfanté Dieu, la Mater Dei Dignissima), le symbole de sa dignité, de sa  chasteté pure, de sa fonction maternelle qui est symbolisée sur les icônes par le  monogramme M.P. Ce vêtement est teint en pourpre foncé (origine impériale) orné  d’une étoile symbolisant sa virginité avant, pendant et après l’enfantement ; il exprime aussi sa sainteté unique, sa virginité perpétuelle. Le manteau enveloppe entièrement ses  épaules et sa tête tout en laissant entrevoir une tunique brodée. Dans cette image  élégante au beau regard intense, ses grands yeux noirs semblent regarder un ailleurs. Le  visage est auréolé d’un beau nimbe doré indiquant sa sainteté. Cette utilisation du cercle  parfait exprime le caractère sacré de l’icône. Par ailleurs, Elle tient dans sa main gauche  une mappa blanche ou bleutée (sorte de mouchoir de tissu qui symbolise l’autorité  consulaire dans la Rome antique et à Byzance et qui deviendra ensuite un symbole  impérial) qui permet de désigner la Vierge Marie comme Regina Coeli (Reine du ciel).  Elle porte à sa main droite l’anulus pronubus : un anneau doré, signe de fidélité et de félicité dans son alliance éternelle au Christ. La symbologie de l’anneau a ses racines  dans les traditions anciennes, l’anneau de par sa forme rappelle éternellement et  infiniment la divinité. Il n’a ni début, ni fin. C’est avec le bras gauche qu’elle soutient  l’Enfant. Les mains croisées en forme de croix, rappellent le Sacrifice Pascal. L’enfant, à l’expression d’un adulte, il a les yeux tournés légèrement vers sa mère, et il porte quant à lui aussi un autre hymation, la main droite avancée dans un geste de  bénédiction caractérisé par le pouce, l’index et le majeur levés ensemble et symbolisant  la Sainte Trinité (le père-le fils-et le Saint Esprit), les autres doigts repliés représentent  la double nature du Christ : divine et humaine.  Les pieds nus sont ceints de sandalettes  de cuir. Il est auréolé d’un nimbe crucifère doré également, (auréole dans lequel s’inscrit  la croix gemmée). Il tient de sa main gauche un codex fait de parchemins pliés et précieusement reliés avec des gemmes et des perles, et qui contient les textes sacrés. Ce  codex de la Bible apparaît entre le II° et Le V °siècles a remplacé le Volumen (le rouleau) dans l’iconographie ancienne. L’image montre ainsi une fusion entre l’iconographie de la  Mère à l’Enfant du type grec de l’odighitria (du grec ancien qui montre la voie, la  direction) avec celui de l’art primitif byzantin. 

La datation de cette icône reste toutefois très controversée et ce en dépit de sa  restauration en 2018 dont les résultats on été publiés en 2022. (3)
Traditionnellement, elle est considérée comme originaire de Jérusalem, où elle aurait été  peinte et rapportée à Constantinople puis à Rome par Sainte Hélène (la mère de  Constantin) à l’époque du pape Sixte III (432-440). Mais la description calligraphique  des vêtements, la structure des visages, des mains, les mélanges chromatiques tentent à  rapprocher l’icône, d’œuvres similaires du Moyen Age (entre le XI° et le XIII° siècle). De plus, selon le cabinet de recherche scientifique des Musées du Vatican, la Salus Populi  Romani est peinte sur une toile emplâtrée apposée sur un panneau de bois composé de  planches verticales jointes qui ne datent pas de la même époque. Le panneau central  daterait plutôt du début du X° siècle (ou de la fin du XI° siècle) et de la première moitié  du XI siècle, pour les autres. Certains historiens pensent même que l’original a été perdu  ou du moins qu’un travail en surcouche a été réalisé. Mais la plupart de spécialistes  datent bien l’icône entre le XII° et le XV° siècle.
L’hypothèse la plus vraisemblable date donc la peinture du XIII° siècle mais l’analyse  révèle une couche inférieure datant peut-être du VII° siècle. 

Cette icône de grande valeur dévotionnelle a été restaurée avec soin et concertation par  Alessandra Zarelli et Francesca Persegati. La restauration a permis un nettoyage général  de l’image oxydée par l’application de  diverses pièces d’orfèvrerie (notamment une  lourde plaque d’argent qui recouvrait la peinture) des stucs, des retouches, des  altérations de vernis, des bijoux. A l’occasion de ces travaux de restauration, un nouveau  châssis (la chasse originale avec le couvercle en argent datant du XVII° siècle est conservée au Musée Historique Libérien) avec des poignets a été créé, afin de  transporter l’œuvre plus facilement au cours des célébrations annuelles. Ce châssis parfaitement étanche contient un matériau spécial (gel de silicagel) capable  d’absorber l’humidité et de respecter les paramètres recommandés par les normes de  conservation, limitant ainsi les risques de dégradation. L’icône est de plus, équipée au  revers d’une sonde qui permet aux équipes de restaurateurs des musées du Vatican de  veiller en permanence à son état de conservation.
Après avoir été restaurée, l’icône a donc été installée dans la basilique au cours d’une  messe célébrée par le pape François le 28 janvier 2018. La basilique a été fondée en 356  sur la colline de l’Esquilin, à la suite de l’apparition de La vierge en songe au pape Libère.  Un siècle plus tard, le Concile d’Ephèse et la proclamation du dogme de la maternité  divine de Marie contre l’hérésie nestorienne (Marie Théotokos, qui enfante Dieu »), sont  l’occasion pour le pape Sixte III de reconstruire l’édifice et de renforcer la dévotion à  Marie. Avant d’intégrer la chapelle Pauline, l’icône était probablement placée au-dessus  de la porte du baptistère de la basilique, puis dans la nef.
Pour endiguer la pandémie mondiale de la Covid-19, le dimanche 15 mars 2020, le pape  François a prié en donnant la bénédiction, urbi et orbi devant cette icône qu’il avait fait  transporter au préalable sur le parvis de la basilique Saint Pierre de Rome. 

Ces lignes pourraient peut-être expliquer l’explosion d’amour pour cette œuvre si liée à  l’identité de Rome qu’elle va jusqu’à se nommer : Peuple de Rome.
Nous sommes alors tous invités à nous mettre sous la protection mariale et sous la  grande miséricorde spirituelle de la Salus Populi Romani. 

Notes

(1) Ce vers célèbre de Pablo Neruda est le reflet de la force de l’espérance qui est en tout  être humain et qui se réveille au moment opportun. La survie s’opposant toujours à la  répression.
(2) Papa Francesco-La Mia Idea di Arte, (le pape François-mon idée de l’art). Editions Musée du Vatican et Montadori. Città del Vaticano-Milano 2015.
(3)
 La Salus Populi Romani. La restauration de l’ancienne icône de Sainte Marie-Majeure.  Edizioni Musei vaticani.
En décembre 2023, en témoignage de sa dévotion et symbole de la bénédiction papale, le  souverain pontife François offrira une rose en or. ( la tradition de la rose d’or  remonterait au moyen-âge)

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