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La musique divine harmonie: Hildegard von Bingen 2/3

Publié le : 8 Août 2016
Les œuvres musicales composées par Hildegard von Bingen sont regroupées en deux recueils : la « Symphonia harmoniae caelestium revelationum » ou « symphonie de l’harmonie des révélations célestes » et un drame intitulé « Ordo virtutum » dans la tradition médiévale du combat des vices et des vertus. C’est par une pièce du premier de ces recueils que nous entrerons dans l’univers musical d’Hildegarde.

C’est d’abord par l’oreille que nous arrive la musique : cela paraît une évidence, mais ne l’est pas tant que cela si l’on considère nos démarches d’analyse qui partent presque toujours du texte, de la vie de l’auteur, des circonstances de composition et ensuite seulement du son lui-même.
Ce que nous venons d’entendre est une belle image de cette musique d’Hildegarde : une grande liberté mélodique presque comme une improvisation, un ambitus très large qui explore la totalité de l’espace disponible – l’ambitus est l’étendue d’une mélodie entre sa note la plus grave et la plus aigüe – une grande liberté entre les syllabes ornées de longs mélismes – un mélisme est une vocalise plus ou moins longue sur une syllabe – tout cela donnant l’impression d’une musique surgie de l’inspiration immédiate, spontanée.

Il s’agit pourtant d’une musique certes spontanée mais recueillie comme le fruit de longues méditations et d’écoute intérieure : Hildegarde ne se prétendait pas musicienne ayant acquis le métier au terme de longues études. Sa musique nous donne à entendre bien autre chose que de simples enchaînements de notes. Nous avons pourtant la chance de pouvoir connaître cette musique grâce aux manuscrits médiévaux qui nous l’ont transmise. Au 12ème siècle, on commence à transcrire ce que nous appelons les hauteurs : on commence à cette époque à percevoir une équivalence entre ce que nous appelons la hauteur des notes et la notion spatiale de haut et de bas, ce qui n’a rien d’évident si on y réfléchit. On passe insensiblement de la notion de chant « acutus et gravis » c’est-à-dire « pointu et lourd » à celle de haut et de bas. Transcrire la musique devient alors possible et donc la retrouver après des siècles d’oubli, ce qui est le cas de l’œuvre mélodique d’Hildegarde.

partition d'Hildegarde
Qu’est-ce que la musique pour Hildegarde ?

Avant la chute, Adam jouissait de la voix du « Vivant Esprit », voix spirituelle semblable à celle des anges chantant la louange éternelle de Dieu. Cette voix, Adam l’a perdue et aspire à la retrouver : la musique, chant et instruments, est le chemin de ce retour à la louange pure.

« Pour que l’homme puisse jouir de cette douceur et de la louange divine dont le même Adam jouissait avant sa chute, et dont il ne pouvait plus se souvenir dans son exil, pour l’inciter à les rechercher, les prophètes, instruits par ce même Esprit qu’ils avaient reçu, inventèrent non seulement des psaumes et des cantiques, qui étaient chantés pour augmenter la dévotion de ceux qui les entendaient mais aussi divers instruments de musique, grâce auxquels ils émettaient de multiples sons afin que, tant des formes et des qualités de ces mêmes instruments que du sens des mots qu’ils entendaient et qui leur étaient répétés, éveillés et exercés par ces moyens, ils puissent être instruits intérieurement. » (Lettre aux Prélats de Mayence, citée par Régine Pernoud)

Ainsi la musique pour Hildegarde est d’abord écoute intérieure dans le silence de la méditation et de la contemplation : il ne s’agit pas de s’écouter soi-même mais bien d’une ouverture. Le musicien ne se tourne pas vers lui-même mais s’ouvre dans le silence à recevoir la musique qui vient de Dieu en lui. Il s’agit de tendre l’oreille vers le Verbe Divin. Le chemin vers la musique véritable passe par le silence de l’écoute intérieure : la musique pour Hildegarde est reçue à la manière d’une vision dans l’ordre sonore, accordée à celle qui y est vraiment disposée et qui s’y est rendue disponible.

« Entends dans la musique le chant venant de l’ardeur enflammée de la pudeur virginale d’une tige épanouie dans l’embrassement des mots, le chant venant de la pointe des vivantes lumières qui vivent dans la cité d’en-haut, le chant de la prophétie des profondes paroles, le chant venant de l’extension de l’apostolat des paroles merveilleuses, le chant de l’effusion du sang de ceux qui s’offrent fidèlement. » (Scivias 13ème vision)

La musique libère l’homme de ce qui le sépare de Dieu,
la musique préfigure le bonheur auquel il est appelé,
la musique révèle à l’homme sa propre vérité au-delà de la mort,
la musique, en dépassant l’intelligence rationnelle, ouvre l’homme à l’Esprit.  

Un exemple : « O ignis Spiritus Paracliti

Dans le précédent article, nous entendions la séquence liturgique « Veni Sancte Spiritus », voici le chant que nous donne Hildegarde, texte et musique.

O ignis Spiritu Paracliti vita vite omnis creature Sanctus es vivificando formas.
Ô feu de l’Esprit Protecteur vie de la vie de toute créature Tu es saint, vivifiant toute forme.

Sanctus es unguendo pericolose fractos, sanctus es tergendo fetide vulnera.
Tu es saint toi qui oins les blessés en péril. Tu es saint toi qui essuies les blessures puantes.
O spiraculum sanctificatis o ignis caritatis, o dulcis gustus in peccatoribus infusio cordium in bono odore virtutum.

Ô toi qui insuffles la sainteté et le feu de l’amour, ô goût de douceur dans la poitrine infusion des cœurs dans la bonne odeur des vertus.

O fons purissimus in quo consideratur quod Deus alienos colligit et perditos requirit.
Ô source très pure en laquelle est contemplé ce qu Dieu attire les étrangers et recherche les âmes perdues.

O lorica vite et spes compagnis membrorum omnium et o cingulum salve beatos.
Ô cuirasse de vie et espoir de protection de tous les membres, ô ceinture d’honnêteté, sauve les bienheureux.

Custodie eos qui carcerati sunt ab inimico et solve ligatos quos divina vis salvarevult.
Garde ceux qui furent emprisonnés par l’ennemi et délie les enchaînés que ta force divine veut sauver.

O iter fortissimum, quod penetravit omnia in altissimis et in terrenis et in omnibus abyssis, tu omnes componis et colligis.
Ô chemin des plus courageux qui as tout pénétré dans les hauteurs et sur la terre et dans tous les abîmes tu les réunis et les rassembles tous.

De te nubes fluunt, ether volat, lapides humorem habent, atque rivulos edducunt, et terra viriditatem sudat.
De toi s’écoulent les nuages, l’éther vole, les pierres prennent humidité, les eaux coulent en ruisseaux et la terre exsude viridité.

Tu etiam semper educis doctos per inspirationem sapientie letificatos.
Tu induis toujours les doctes par inspiration de sagesse et les rends joyeux.

Unde laus tibi sit, qui es sonus laudis et gaudiul vite, spes et honor fortissimus dans premia lucis.
Que louange soit donc à toi qui résonnes de louange et joie de vie, espoir et honneur des plus vifs donnant des récompenses de lumière.

 

Cette musique ne cherche pas à proférer le texte, elle est mélodie librement surgie de l’écoute intérieure, se déployant librement dans un dialogue étonnant entre élancements vigoureux vers l’aigu ou plongées vertigineuses dans le grave : il ne s’agit pas d’illustrer les mots par des images qui ne feraient que redoubler inutilement le texte mais bien de les laisser vibrer dans l’espace architectural pour qu’ils vibrent dans le secret de l’auditeur. Signalons tout de même la surprenante inflexion modale sur les deux dernières strophes avec l’apparition du si bémol qui éclaire le paysage mélodique d’une lumière inattendue, justement celle du 3ème mode grégorien dont il a été question dans l’article précédent, celui du Mystère Divin.

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Emmanuel Bellanger

Après des études au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris et à l’Institut Grégorien, Emmanuel Bellanger a mené une carrière d’organiste comme titulaire de l’orgue de Saint Honoré d’Eylau à Paris, et d’enseignant à l’Institut Catholique de Paris : Institut de Musique Liturgique et Institut des Arts Sacrés (aujourd’hui ISTA) dont il fut successivement élu directeur. Ancien responsable du département de musique au SNPLS de la Conférence des évêques de France, il est actuellement directeur du comité de rédaction de Narthex. Il s’est toujours intéressé à la musique comme un lieu d’expérience sensible que chaque personne, qu’elle se considère comme musicienne ou non, est appelée à vivre.

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