Parmi les œuvres présentées, une gouache sur papier de Takashi Nagai, peinte par le professeur-radiologue japonais en 1945, après le bombardement et la découverte des ossements calcinés de sa femme au milieu des cendres de sa maison, s’intitule : « Assomption de Midori vers le ciel ».

La grâce de la figure, le choix du modèle, son vêtement, le tracé au pinceau et le traitement en lavis avec les Kanji (caractères japonais) qui légendent l’œuvre signent incontestablement l’origine nippone de l’artiste. Cependant, la délicate Midori au port de reine, en tenue de combat (elle porte le pantalon rayé des samouraï) a une attitude étrangère à la culture asiatique, avec ses mains jointes et son regard extasié d’orante, levé vers un ciel que l’on devine habité d’une présence divine :

Nous sommes en présence d’une figure étonnante, dans la veine du courant artistique Nihonga apparu durant l’ère Meiji, comme un pont entre l’Orient et l’Occident. L’essence spirituelle du sujet, exprimée par le tracé sans repentir dans un geste rapide et fluide, est à la manière Zen. Pourtant, le nuage, thème cher aux artistes chinois et japonais, nous amène doucement vers l’inspiration occidentale de cette œuvre :


Il ne s’agit pas ici seulement de volutes moutonnantes « en escargot », comme on en voit dans les peintures japonaises pour rytmer l’espace, mais d’un champignon ascensionnel qui rappelle tragiquement le nuage atomique du 9 août 1945.
Au dessus de ce nuage, la jeune femme aux mains jointes dans un abandon confiant, au visage priant mais en même temps serein, fait écho à la Vierge de « l’Immaculée conception » de Murillo. Takashi Nagai, grand artiste autant que professeur de radiologie reconnu par la faculté de médecine de Nagasaki, a certainement puisé dans la rencontre avec cette image pour créer son œuvre.


Le tableau de Murillo avait inspiré une grande statue en bois, offerte par l’ambassadeur d’Espagne à l’Eglise de Nagasaki au début du XXème siècle et placée au dessus de l’autel majeur de la cathédrale de Nagasaki, après l’achèvement de cette dernière en 1905. De la vierge en bois, après le bombardement, il reste seulement une tête calcinée aux orbites vides, d’une tristesse déchirante, « témoignant de l’intensité et de la folie de la guerre », comme l’indique le catalogue de l’exposition « L’Art de la Paix, Nagasaki, 9 août 10945, 11h02 » où un moulage du vestige est également présenté.

Mais le message de la peinture de Takashi Nagai offre un élan de résilience aux habitants traumatisés de Nagasaki, en appui sur une Histoire dans la longue durée. Son travail d’artiste témoigne de la profonde influence culturelle et spirituelle des missions depuis leur arrivée au Japon au XVIème siècle, ainsi que des échanges culturels et intellectuels Japon-Occident du XIXème siècle et du début du XXème siècle durant l’ère Meiji.
Midori Moryama – Nagai, fille de chrétiens persécutés et clandestins sur sept générations a accompagné la conversion et la maturation de la foi chez son ami puis époux Takashi. Dans l’horreur de la catastrophe nucléaire, le médecin devenu veuf donne sans compter les dernières années qui lui restent à vivre (en avril 1945, il se découvre atteint d’une leucémie chronique fatale, à cause d’une trop grande exposition aux rayons X depuis le début de la guerre afin d’examiner les blessés des bombardements aériens). Il soigne encore et encore et délivre le sens spirituel de cette épreuve infligée aux habitants de Nagasaki, dans un discours prononcé à la demande de l’archevêque de Nagasaki, le 23 novembre 1945, lors d’un hommage funéraire aux victimes de la bombe atomique en la cathédrale de Nagasaki. Nagasaki, qui ne figurait pas au départ sur la liste des cibles américaines, est une victime innocente dont le sacrifice a permis l’arrêt de la guerre.
Ici, le catéchisme s’incarne dans une œuvre à la fois asiatique et occidentale : l’«Assomption de Midori vers le ciel» nous montre un dessin nihonga mais aussi une assimilation de l’enseignement chrétien, celui qui invite à percevoir à travers une épreuve affective personnelle, l’intuition de l’offrande expiatoire de la souffrance, l’hommage de l’amour conjugal chrétien et enfin l’espérance en la vie éternelle.
Est-ce de l’art sacré ? Non sans doute, pas au sens liturgique du terme : cette gouache, qui porte un caractère profondément anecdotique, n’a pas vocation à orner une église. Cependant elle touche, en une synthèse de l’art et de la méditation chrétienne, la corde sensible de la vie du cœur, celle qui est à la source des œuvres d’art sacré.
A travers les dernières œuvres de Takashi Nagai, l’Invisible se révèle. Comme une Madone en Assomption, Midori est une inspiratrice de la foi en la Résurrection. Dans une dernière œuvre, « Branche de Chimonanthe(1) figuré devant une statue de la Vierge », réalisée en 1950(2), après que le médecin ait offert en 1948 la plantation de mille cerisiers sur un versant d’une colline de Nagasaki, appelant à la résurrection de sa ville pour les générations à venir, c’est encore l’ardente foi mariale de Takashi Nagai qui parle, héritée de l’Occident et probablement de sa rencontre avec le franciscain St Maximilien Kolbe, missionnaire à Nagasaki dans les années 30.


A la jonction entre l’Orient et l’Occident, un exemple de l’Art de la Paix inspire une œuvre d’art exprimant le Sacré.
Ariane de Medlege




