
Le Christ malgré tout demeure présent : « Je vous le déclare c’est la vérité : toutes les fois que vous l’avez fait à l’un des plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.
Jésus dit aussi : « Je suis le pain de la vie. Celui qui vient à moi n’aura jamais faim, et celui qui croit en moi n’aura jamais soif. » (2)
Saint Jean de la Croix l’a parfaitement compris en ajoutant « Au soir de notre vie nous serons jugés sur l’amour. »
Un soldat de l’armée romaine, Saint Martin de Tours, fait partie des saints les plus populaires pour avoir donné l’exemple de « vêtir ceux qui sont nus ». A l’hiver 337, il rencontrera en effet un mendiant transis de froid, il partagera alors avec lui la moitié de son manteau. La nuit suivante le Christ lui apparaîrat vêtu de la moitié de sa cape, le remerciant pour son geste. Martin comprendra qu’il a rencontré le Christ en ce pauvre mendiant.
La bible invite à cette même attitude de compassion : « Donne (…) tes habits à ceux qui sont nus. » (3)
La tradition de l’Eglise reconnaît, quant à elle, et promeut sept œuvres de miséricordes corporelles et des œuvres de miséricorde spirituelles qui sont détaillées dans l’évangile selon Saint Matthieu au chapitre 25. Le pape François, à l’occasion du jubilé de la Miséricorde en 2016, reparle aussi de l’importance pour chaque chrétien de réfléchir aux œuvres de miséricorde corporelles et spirituelles : « Ce sera une façon de réveiller notre conscience souvent endormie face au drame de la pauvreté et pénétrer toujours d’avantage le cœur de l’Evangile, ou les pauvres sont les destinataires privilégiés de la Miséricorde Divine. » (4)
Ainsi, dans son exhortation apostolique du 19 mars 2018: Gaudete et Exsultate, le Saint Père est revenu sur ce qui plaît à Dieu : « N’est-ce pas partager ton pain avec l’affamé, héberger chez toi les pauvres sans abri, si tu vois un homme nu, le vêtir, ne pas te dérober devant celui qui est ta propre chair. »
Quelles sont donc ces œuvres de miséricorde?
Pour les œuvres de miséricorde corporelles :
- donner à manger aux affamés
- donner à boire à ceux qui ont soif
- vêtir ceux qui sont nus
- accueillir les pèlerins
- assister les malades
- visiter les prisonniers
- ensevelir les défunts
Pour les œuvres de miséricorde spirituelles :
- conseiller ceux qui sont dans le doute
- enseigner les ignorants
- avertir les pêcheurs
- consoler les affligés
- pardonner les offenses
- prier Dieu pour les vivants et les morts
Mais aujourd’hui, nous sommes en droit de nous poser une autre question : Avons-nous perdu le sens commun, devant tous les attentats perpétrés, devant toutes les souffrances inacceptables des familles épuisées, affamées, dans leurs vêtements sales et déchirés par ces longs conflits ?
Comment pouvons actualiser notre engagement politique, artistique et chrétien ? Comment répondre à l’appel de la sainteté dans le monde actuel ? Pouvons-nous simplement continuer à nous réjouir devant tant de malheurs ?
La réponse est, je le crains, dans l’abandon de certains de nos principes égoïstes, certaines de nos pensées supérieures, et de notre dérision devant l’absurde de cette existence, dans une crise mondiale de survie. L’obtention ou non du rite de la Recognitio (la reconnaissance) n’est pas ici suffisant. Il faudrait plus qu’une seule et symbolique cérémonie d’ouverture d’une Porte Sainte dans la basilique vaticane à Rome; demander plus que de chanter des litanies jusqu’à l’autel de la confession ou même de célébrer des liturgies pontificales pour obtenir bonne conscience, repos et sérénité de nos esprits chagrins.
Cependant, une femme (dont le procès de béatification est aujourd’hui ouvert), peut-être aussi une autre réponse tant elle a réussi à secourir ceux qui sont dans la détresse, aider les démunis et les affamés, servir les pauvres, pratiquer une vie de miséricorde par réel amour de Dieu.
C’est Dorothy Day. Et en 1932 à New-York des centaines de malheureux patienteront pendant des heures durant dans des files d’attentes qui se formeront sans la moindre distribution de nourriture.
Dans son livre : Dorothy Day une rebelle au paradis, l’auteur Mathilde Montovert (5), insiste sur le fait que Day ne souhaitait pas qu’on la prenne pour une sainte. Elle se considérait comme une simple figure catholique américaine qui s’était convertit au catholicisme à l’âge de trente ans et qui fonda le Catholic Worker Movement ; une association érigée au service des plus pauvres. Mère célibataire, journaliste, militante Day s’est donc battue contre la pauvreté, l’exclusion, les guerres. Elle s’est battue pour plus de justice et de paix. Et pour cela, elle s’est justement appuyée sur la doctrine sociale de l’Eglise et sur les œuvres de miséricorde corporelles et spirituelles que tous chrétiens est invité à pratiquer. Elle disait : « Je considérais les collectes de nourriture et de vêtements pour les grévistes à la lumière de la justice, comme l’aide pour contenir la révolution.»
Mais, la personnalité de D.Day avait fait un émule.
Une exposition qui s’est tenue en juin 2025 au Cloitre des Billettes à Paris, intitulée « Dorothy Day : Changer l’Ordre Social » est accompagnée d’un livre d’art du même titre publié en français et en anglais, a permis de présenter des tableaux d’un artiste expressionniste : François Rieux.
Il s’est inspiré fort justement de l’œuvre de Dorothy Day et de l’aide qu’elle a apporté aux nécessiteux qui ont tout perdu. Cela a laissé une trace indélébile sur la peinture de François Rieux. S’imprégnant de la spiritualité diffuse de Day, Rieux a utilisé le thème du trauma pour évoquer la résilience en fond de ces toiles qui sont toutes le résultat d’un dialogue de plus de huit ans entre Rieux et Jean-Claude Millet, fondateur prolixe du réseau culturel de Mercurat
Gardant en tête, cet esprit de secours et de charité envers les pauvres, il a peint par ricochet cette bonté et cette entraide qui jaillissent de l’épreuve.
Une œuvre nommée « La distribution » (6) semble être marquée encore plus que les autres par le choc émotionnel de cette révélation : quand Rieux découvre justement l’œuvre de Day, c’est toute une galerie d’êtres vivants, invisibilisés, comme déjà morts qui arrivent en surface de la composition longitudinale.
Dans une sorte d’urgence à peindre, sous le pinceau et la palette de l’artiste, est dévoilée dans une réverbération en écho, une charité bien organisée; un groupe qui défile pour une essentielle soupe populaire dans un lieu emblématique et mémoriel qu’est la rue.
Deux figures hâtivement peintes donnent la nourriture sous de grands aplats de tons gris et noirs en demi-teinte autour d’un halo blanc avec une matière anarchique, un caractère organique. Elles se situent de part et d’autre d’un gros chaudron fumant posé sur un tabouret de fortune et ressemblent à deux anges tombés du ciel de part leur attitude penchée. On ressent alors une véritable intensité qui semblent révéler quelque chose de l’ordre du divin, une véritable assignation entre peinture et sacralité de l’instant. Ce qui est surprenant, c’est que l’espace n’est pas traversé par la lumière, mais plutôt par le vide et le silence en dépit de cette foule grouillante; dense compacte et qui sort du cadre. Le peintre observe ici le groupe avec une prédilection pour une ambiance hivernale et dans le tourbillon de cette foule vêtue de lourds manteaux rapiécés, se cache alors la vue sur la solitude urbaine. Un homme agenouillé semble tenir une béquille de bois, et un enfant en rouge s’acccroche au bras de son père. Il représente la seule tache du tableau. L’on se souvient alors, de cette parole christique : « Laissez venir à moi, les petits enfants. » Millet insiste en écrivant: « On ne voit pas le bout de la file ; elle s’étend à perte de vue. » Bien qu’il évoque aussi les files d’attente pour le pain dure de la Grande Dépression, Millet souligne que l’œuvre a été crée en 2020, c’est rajoute t-il une prise de position sur « la consolidation de toutes les files d’attentes, réelles ou potentielles, engendrées par l’organisation actuelle du monde. »
François Rieux a ressenti à l’évidence une responsabilité, une connexion particulière entre lui-même, l’œuvre de Day et les milliers de pauvres qui composent un écosystème si fragilisé par l’oppression, tout en conciliant idéalisme et réalisme. Ce tableau devient par là même un lieu de passage entre la réalité des cultures minoritaires et l’invisible d’une paupérisation galopante derrière les murs du monde.
C’est une nécessité absolue pour l’artiste Rieux de passer par la peinture figurative pour visualiser la transmission de ses aspirations spirituelles et celles de Dorothy Day, dans une démarche volontairement synthétique, syncrétique.
Pointer aussi du doigt les grandes questions existentielles de l’actualite omni-présente comme: l’isolement? La montée de l’individualisme? La dérélection? La misère? Le flux migratoire?
Comme le disent si bien Elisabeth Geffroy, Beaudouin de Guillebon, Floriane de Rivay au Café associatif: le Dorothy : “ Tachons de faire nôtre, l’injonction de Dorothy Day, nous n’avons pas le droit de nous arrêter et de nous sentir désespéré. Il y a trop à faire.”
François Rieux dans son oeuvre plastique l’a parfaitement intégrée.
Jeanne Villeneuve




