1. LES PANNEAUX PEINTS DE L’EGLISE DE PANILLEUSE
Leur auteur inconnu a ouvert, voici près de cinq siècles, par sa peinture sur le mur est de l’église dirigé vers Jérusalem, une perspective sur le monde de la Bible.
Il utilise pour ce faire la technique, initiée au XVe siècle par Andrea Mantegna et perfectionnée au XVIe par Michel-Ange, de la contre-plongée, soit d’une vue du bas vers le haut.
Cette technique sera reprise par la photographie et le cinéma, comme, par exemple, dans le « Citizen Kane » d’Orson Welles. Mais, au lieu de l’utiliser, comme dans ce film de 1941, pour décrire les plafonds d’un empire de la presse qui restreint la liberté des personnages, le peintre de Panilleuse l’ouvre sur l’espérance certaine du monde à venir et de la liberté offerte.
Deux interprétations pourraient en être faites.
Selon la première, ces panneaux, qui dateraient de la seconde moitié du XVIe siècle, reprendraient le thème de la fresque de « La Création d’Adam », achevée en 1512 par Michel-Ange sur la voûte du plafond de la chapelle Sixtine.
La scène décrite se situerait, non plus au début de l’histoire biblique de l’humanité, mais lorsqu’après la venue de Jésus sur terre, sa mort sur la croix pour expier nos fautes, sa résurrection et son ascension aux cieux, « il siège à la droite de Dieu, le Père tout-puissant » (« Symbole des apôtres »).
Si Jésus prend à Panilleuse la place qu’Adam détient à Rome, ce serait du fait du parallèle que l’apôtre Paul dresse entre les deux :
« Car, tout comme la mort a fait son entrée dans le monde par un homme, la résurrection vient aussi par un homme. En effet, de même que tous les hommes meurent du fait de leur union avec Adam, tous seront ramenés à la vie du fait de leur union avec le Christ » (1ère Epître aux Corinthiens 15.21).
Et le geste de Dieu dans la fresque de Michel-Ange, tendant son index vers celui d’Adam, se retrouve à Panilleuse dans le don du Père offrant au Fils, en présence de l’Esprit, la couronne du Royaume.
L’explication se trouve encore chez Paul : « Il faut, en effet, qu’il (Christ) règne jusqu’à ce que Dieu ait mis tous ses ennemis sous ses pieds. Et le dernier ennemi qui sera anéanti, c’est la mort. » (1 Corinthiens 15.25)
Paul conclut : « Et lorsque tout se trouvera ainsi amené sous l’autorité du Christ, alors le Fils lui-même se placera sous l’autorité de celui qui lui a tout soumis. Ainsi Dieu sera tout en tous. » (1 Corinthiens 15.28)
Devant le mur peint, le fidèle de Panilleuse, comme l’assemblée (« ekklesia », en grec) elle-même, ne sont donc pas des spectateurs passifs d’une scène qui leur échappe. Ils sont partie prenante de cette relation ouverte avec les trois personnes de la Trinité. Jésus s’adresse d’ailleurs directement à eux quand il déclare : « Quiconque se déclarera pour moi devant les hommes, moi aussi je me déclarerai pour lui devant mon Père qui est dans les cieux » (Evangile selon Matthieu 10.32).
Seconde interprétation possible : les panneaux peints dateraient du XVIIIe siècle et une statue de Marie, absente aujourd’hui, a dû se trouver sous la couronne peinte, au centre de la composition. Il s’agirait donc de son couronnement.
L’épisode ne figure pas dans la Bible et ne fait pas l’objet d’un dogme reconnu par l’Eglise catholique.
L’artiste se serait inspiré auprès de différents maîtres, dont Pieter de Jode (1570-1634), graveur flamand dont les œuvres ont circulé en Europe comme en Amérique.
A l’appui de cette interprétation, viendrait le tableau de 1778 de « L’Assomption », qui masque le bas des panneaux peints. Copie d’une peinture originale de Peter Paul Rubens (1577-1640), cette Assomption a été réalisée par le peintre Deschamps, à la demande de M. Cavelier, curé de Panilleuse.
Le Père et le Fils sont accompagnés, sur les panneaux peints de Panilleuse, par deux anges situés en contre bas. S’agirait-il de l’archange (du grec « arkhê », commandement, et « aggelos », messager) Michel – « qui est comme Dieu ? » – et de l’ange Gabriel – « héros de Dieu » – de l’annonce faite à Marie ?
Situés à un troisième niveau, quatre autres anges, deux sur les côtés aux ailes d’un bleu sombre, et deux au centre, clôturent la présence de ces créatures spirituelles au service du Dieu trois fois saint.
S’y ajoutent les nombreux angelots.
« Les chérubins ailés se multiplient dans la peinture comme une astuce permettant de mieux rendre la perspective », explique Catherine Auguste (Site « Les Anges dans l’Art », 2025), et créent une dynamique « en plein vertige d’apesanteur » dans ces constructions en contre-plongée.
Les rabbins talmudistes seraient à l’origine de ces images d’enfants joufflus et potelés, qui rapprochaient le mot hébreu « kerubim » de l’expression « kerabya’ », signifiant « comme un enfant » (H. Lesêtre, « Dictionnaire de la Bible », Letouzey et Ané, 1926).
Dans la Bible, les chérubins, symboles de la justice divine, loin d’être des enfants, font tournoyer une épée flamboyante « à l’est du jardin d’Eden (…) pour barrer l’accès de l’arbre de vie » (Livre de la Genèse 3.21) et protègent de leurs ailes, dans le Temple, l’Arche de l’alliance où Dieu en personne vient se manifester (Livre de l’Exode 25.18).
Deux paires d’angelots – la première portant rubans et plumes sombres sur la gauche, et la seconde sans plumes et aux rubans plus clairs sur la droite – nous offrent enfin – au bas de ce que l’on voit aujourd’hui des panneaux peints – les armoiries de deux familles nobles de Panilleuse.
En lien avec ces paires situées de part et d’autre de l’axe central, un angelot sur la gauche tient une plume sombre et interroge du regard l’ange qui lui fait face, tandis qu’un angelot sur la droite descend avec une écharpe de couleur rouge vers la paire d’angelots qui semble l’attendre.
La couleur sombre est elle liée à un deuil sur la partie droite ? A quoi correspondrait le rouge de la partie gauche ?
Selon Erwin Panofsky (« Albrecht Dürer », Hazan, 2004), commentant une gravure de l’artiste germanique, les écus étaient manifestement conçus pour recevoir les armes respectives des propriétaires de l’estampe, celles du mari à la droite du personnage représenté, celles de l’épouse à sa gauche.
Les armes de « Henri René Charles de Préteval, chevalier, marquis de Clere & Panilleuse (qui) naquit le 30 juin de l’an 1664 & épousa en 1697 Anne Florence de Hallus », étaient : « d’or, à la bande de gueules, chargée de trois besans d’argent. » (La Chesnaye des Bois).
Et la famille de Clères portait : « d’argent à fasce de paillé, c’est-à-dire d’azur diaprée de 3 médaillons d’or portant alternativement un lion et une aigle éployée » (Nobiliaire de Normandie).
Ainsi placées sous la royauté divine, les autorités ont pour responsabilité d’être au service du bien. Si elles renient leur vocation et deviennent tyranniques, la soumission à Dieu passe avant celle due aux autorités.
Au total, l’Esprit saint sous la forme d’une colombe, le Père et le Fils dont il procède, sont au sommet d’une pyramide presque parfaite qui contraste avec la mobilité des chérubins et des armoiries humaines, comme « un cantus firmus (mélodie préexistante sur laquelle se construit la polyphonie) sert de base aux développements vifs et complexes d’une fugue » (E. Panofsky).
Les panneaux peints de Panilleuse, dégradés, doivent être sauvés et protégés. C’est urgent.
A leur droite, se trouvent la statue de St Jean Baptiste, et à leur gauche, celle de la Vierge à l’enfant, toutes deux datent du XVème siècle, tout comme celles de Ste Barbe et de St Laurent.
Du XVIe siècle, proviennent le Christ en croix, la statue de Ste Suzanne, et les fonts baptismaux à double cuve comme ceux de Fours en Vexin. Et du XVIIIe siècle, les tableaux de la Vierge à l’enfant ainsi que de la Sainte Famille.
Sur le mur de la nef, une plaque funéraire nous appelle au souvenir : « Cy devant gist Pasquette Bertin en son vivant femme de deffunct Guille Dubosc laquel deceda le XXVIème de Novembre 1608. Pries Dieu pour elle ».
2. QUELQUES ELEMENTS DE L’HISTOIRE DE PANILLEUSE
Xe siècle : l’église de Panilleuse fut, dit-on, donnée à la cathédrale de Rouen par Rolon, comte norvégien, lors de son baptême, au lendemain du traité de 911 de St Clair sur Epte signé avec le roi des Francs, Charles III le Simple.
XIe siècle : Oger de Panilleuse, chevalier, donna à l’église de Rouen une vigne à Longueville.
1238 : Jean de Clère, seigneur de Panilleuse, suzerain de Chauvincourt, apparaît sur les registres.
1348 : les baronnies de Clère et Panilleuse sont unies.
1410 : Jeanne de Clère, veuve de Philipe de Calleville, rend aveu de la terre de Panilleuse, qu’elle donne en 1450 à son neveu, Georges III de Clère.
1483 : celui-ci en fait hommage. Puis, Georges IV, Jean IV, Jacques et Charles de Clère sont successivement seigneurs de Panilleuse.
1594 : Charles épouse Claude de Combault, fille de Robert de Combault, seigneur d’Arcis sur Aube, chevalier de l’Ordre du St Esprit, et de Louise de la Béraudière du Rouhet, fille d’honneur de Catherine de Médicis, amie de Michel de Montaigne et Brantôme.
1615 : la fille aînée de Charles et Claude, Louise, « Dame & Baronne de Clère et Panilleuse », épouse, en premières noces, Adrien d’Arcona (1584-1626), seigneur d’Heubécourt et de la Queue d’Haye, de Corbie et de Bionval. Celui-ci est le fils de Jean Gaspard d’Arcona, mort au combat en 1590 à la bataille de St André (Ivry la Bataille) du côté du roi Henri IV contre les Ligueurs qui seront défaits. Il est également le frère d’Hiéronime (Jérôme) d’Arcona, seigneur de Pressagny, qui sera gouverneur de Vernon.
1628 : Louise épouse, en secondes noces, à Vernon, Henri de Prétreval (Presteval).
1651 : la portion aînée de la baronnie de Panilleuse est érigée en marquisat sous le nom de Clère-Panilleuse en faveur de René de Prétreval qui a épousé en 1650 Marguerite de Pompadour. Le manoir seigneurial du marquisat situé à Panilleuse consistait en plusieurs maisons et édifices, colombier à pied, etc.
1700 : le marquisat est vendu et adjugé à André Jubert de Bouville, chevalier, marquis de Bizy où il décède en 1720. Dans l’église St Denis d’Ecos, figure sa litre funéraire. Il avait en effet le patronage de la cure cinq fois sur six, la sixième appartenait aux religieuses de l’Abbaye N.-D. du Trésor (Patrick Olivier).
1789 : à la suite de l’émigration du dernier marquis de Panilleuse, Marie Alexandre Gabriel Jubert de Bourville, né à Port Mort (1756) et décédé à Aachen (1793), le domaine, vendu aux enchères, est acquis par Charles Maurice de Talleyrand Périgord, évêque d’Autun, qui devient ainsi propriétaire de 523 hectares (240 sur Panilleuse et 283 sur Mézières).
1838 : au décès du prince de Talleyrand, homme d’Etat et diplomate français de Louis XVI à Louis-Philippe, le domaine de Panilleuse est attribué en héritage à sa nièce, la duchesse de Dino. Son arrière-petite-fille, Violette de Talleyrand Périgord, épouse, en 1969, Gaston Palewski (1901-1984), homme d’Etat, Compagnon de la Libération (Patrick Olivier).
Charles Garnuchot, un des entrepreneurs du pont de pierre de Vernon inauguré en 1861, qui fut maire de cette ville dans la période difficile de 1875 à 1878 au lendemain de l’occupation prussienne, acquiert, auprès de la duchesse, le domaine de Panilleuse. Le manoir devient ensuite une exploitation agricole.
1872 : les travaux de reconstruction de la façade de l’église de Panilleuse s’achèvent. Le maître d’œuvre en est Joseph Louis Delbrouck (1819-1871), architecte, socialiste, membre de la Commune de Paris et de l’Association internationale des travailleurs.
1944 : les soldats britanniques des Duke of Cornwall’s Light Infantry et Sherwood Rangers Yeomanry libèrent Panilleuse. Une plaque leur est dédiée devant le monument aux morts pour la France.
Les combats touchent également l’église. Une inscription le rappelle sur sa façade occidentale : « Cette église, meurtrie en 1944 par les bombardements, a été réparée définitivement en 1947 » (« Vernon et sa région : 1890-1940 », Jocelyne et Serge Legendre, Imp. Bertout, 1999).
Sources autres :
- M. Charpillon, Dictionnaire historique de toutes les communes du département de l’Eure, 1606.
- M.-F. Briselance et J.-C. Morin, Grammaire du cinéma, Nouveau Monde, Paris, 2010.
- Site Wikipédia, Panilleuse, Histoire.
John Dupont