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De l’anneau au calice : histoire d’une amitié œcuménique

Je consulte des documents pour un livre sur l'anneau épiscopal et découvre l'histoire de l'anneau de Mgr Mercier, cardinal de Malines (Belgique). Cet anneau, le prélat le mentionne en novembre 1916, dans une allocution à l'église Sainte Gudule de Bruxelles, où il dénonce la cruauté de l'occupation allemande : "Je vous dis cela, mes frères, sans haine ni esprit de représailles. Je serais indigne de cet anneau épiscopal que l'Eglise m'a mis au doigt, de cette croix qu'elle a posée sur ma poitrine, si obéissant à une passion humaine, je tremblais de proclamer que le droit violenté reste le droit".
Publié le 18 septembre 2025
Bruno Leprat

Sa prise de position achève d’en faire un héraut national de la résistance. Mais son anneau va prendre une nouvelle dimension après-guerre. Mgr Mercier est engagé avec lord Halifax, politicien anglais, et l’abbé Portal, lazariste français, dans ce que l’on appelle, entre 1921 et 1925, les « conversations de Malines ». Ces discussions secrètes visent à apaiser les rapports entre catholiques et anglicans. 

Elles se passent si bien que le cardinal se noue d’amitié avec lord Halifax, et que cela se concrétisera par un beau geste. Nous sommes en janvier 1926, dans une clinique de Bruxelles. Mgr Mercier se meurt d’un cancer, et lors d’un ultime échange avec l’Anglais, venu en urgence, il lui promet son anneau. « Cet anneau, cher ami, dit-il, m’a été donné par ma famille quand j’ai été nommé évêque. Je l’ai toujours porté, bien que j’en eusse d’autres. Eh bien ! si je viens à disparaître, je vous prie de le recevoir ». 

Lord Halifax refuse, Mgr Mercier insiste : « Pour vous… et votre fils Édouard ». Il accepte, et deux jours plus tard, le cardinal s’éteint. Lord Halifax porte, le restant de sa vie, l’anneau au cou, au bout d’une chaîne (ou d’un ruban selon les versions). Janvier 1934 : il meurt, son fils (ou un « monastère anglican » selon un ouvrage) hérite du bijou – et l’histoire aurait pu s’arrêter là, comme souvent : l’anneau rejoint un coffre, il est « perdu » pour des générations. 

Enchâssement

Mais un rebondissement nous attend. Car lord Halifax junior, sitôt la mort de son père, donne l’anneau à la cathédrale (anglicane) de York. Avant, il le fait enchasser dans un calice flamand du 17è siècle, et ce calice de vermeil, fait à Liège et haut de 28 cm, s’expose aujourd’hui dans le Trésor de l’édifice. 

Je m’en suis procuré des photos et l’on voit bien l’anneau d’améthyste – la « pierre d’évêque » – enchâssé à la base de la coupe et au sommet de son pied

Précisément il entoure le « nœud » de calice. Ce dernier sert dans les grandes occasions, notamment pour les messes œcuméniques et anniversaire des morts de MM Halifax et Mercier, ainsi qu’à la messe hommage à Saint Pierre, patron de l’édifice. On peut trouver l’enchâssement habile ou maladroit ; je l’aime bien et me demandai si de tels montages se trouveraient en France. Eh bien oui, je vous cite l’anneau de l’abbé Rumeau, futur évêque d’Angers, en 1899, qui inclut l’alliance de sa mère. « C’est toute la délicatesse filiale du nouvel évêque qui est passée dans cette pensée » note un journal à l’époque. Je trouvai aussi, parmi d’autres, l’histoire de quatre anneaux de l’évêque de Gap, Mgr Blanchet, qui avec ses (trois) croix pectorales, furent enchâssés à sa mort, en 1888, dans un ostensoir donné ensuite à la cathédrale par sa sœur. Commentaire de La Semaine religieuse de Gap : « Bon nombre de pierres précieuses, topazes, améthystes, émeraudes, qui formaient une partie de ce trésor des souvenirs, brillent maintenant dans l’ostensoir ». 

Attention et convoitises

Ces destins d’anneau, et plus largement d’ornements (crosse, croix…) se trouvent beaucoup dans la presse de l’époque, religieuse ou pas (La Croix, Le Phare, L’Avenir de la Mayenne, L’Univers, etc.). Il faut dire qu’au 19è et début 20è, les évêques ont une telle aura qu’ils sont très suivis par les journalistes, même pour une angine de poitrine. 

Mais il reste beaucoup à savoir. Je me concentre sur l’anneau épiscopal et le matériel ne manque pas. Il attire l’attention, parfois la convoitise (beaucoup de vols voire des assassinats), capture énormément de symbolisme et de « vibrations » et s’avère une pièce de patrimoine mal connue et enthousiasmante. L’exposition de Toul en 2024, qui lui fut consacrée, dans le Trésor de la cathédrale, a ouvert la voie (noter que la crosse est le thème de cette année). Merci de votre accueil, c’est avec joie que j’imagine maintenant ce « Mercier calice », réservé depuis 1934 au visiteur de York, désormais connu de votre lecteur.

 

Bruno Leprat, auteur chercheur sur l’anneau d’évêque ;
chroniqueur de Radio Chrétienne de France (RCF) ; ancien président des Amis du musée d’art religieux de Blois

Pour des photos du calice ou toute question : bruno.leprat@gmail.com

 

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